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Billet de blog 5 décembre 2022

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LES AMANDIERS (le film, hein)

(aïe aïe aïe, je vais essayer de ne pas exploser sur telle ou telle mine) Sacré mille-feuilles, et sacrée patate chaude (même en ne parlant que du film), et assemblage d’éléments, de sensations, d’idées et de réactions qui tirent à hue et à dia. Pour moi, en tout cas.

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D’abord je dois dire que je passe un très bon moment (même s’il est aussi très chargé de réticences et irritations – mais c’est précisément ce que je vais essayer de dire ici, ce tiraillement, cet encombrement contradictoire permanent : que propose le film, qu’il subit, et à quoi il nous oblige ; ce « même si » sera ainsi le leitmotiv incontournable du texte, le film aurait pu s’appeler comme ça, il est déjà tellement « méta » finalement que ça n’en aurait même pas rajouté une couche). Parce que c’est très vivant, parce que les comédiens sont tellement, tellement beaux, et qu’ils jouent tous merveilleusement bien. Et il y a un grand plaisir de cinéma à regarder des corps, entendre des voix, voir des regards avec cette lumière ce désir, cet engagement, ce plaisir – leur plaisir me donne un grand plaisir (même si – non je développerai ça plus loin). Puis j’adore les tubes, notamment les tubes italiens – même si c’est un leitmotiv un peu usé, de plus en plus facile, de Bruni-Tedeschi. Et même s’il y a beaucoup trop de tubes dans ce film, et de musique en général, ce qui correspond à un vrai problème à mon avis du film, qui est d’être toujours toujours toujours dans l’intensité, d’avoir rempli la marmite à ras bord, qu’il s’en passe trop, que tout le monde est trop tout le temps, qu’il y a trop d’émotion, d’enjeux, en permanence. Un problème de récit : est condensé en deux heures beaucoup plus qu’il ne peut y tenir, en tout cas sous ce mode de réalisation-là. La grande aventure de vie de ces gamins, qui se donnent, toute la troupe, mais quand même surtout les deux au centre, mais quand même pas seulement eux, mais aussi les deux rois derrière, « les grands », et puis tout cela ne se passe pas sur plusieurs années mais une seule, toute l’histoire et plus encore ramassée en quelques mois, c’est trop. Ça devient une choucroute. Donc c’est super mais quand même c’est terriblement surchargé, ce qui fait que ce n’est pas si super que ça, en même temps.

Cette surcharge a évidemment à voir avec la tension entre vouloir tout mettre de cette époque-là, de ce moment-là pour elle, « en vrai », et vouloir transformer ça en fiction, donc changer la dramaturgie mais sans renoncer à l’intensité, et en purs termes de cinéma – de narration cinématographique – pour moi ça ne fonctionne pas bien. Tous les espoirs et toutes les désillusions… L’amour et la drogue… Le sida… La mort de l’amoureux maudit, le bad boy… trop en trop peu de temps et avec trop d’intensité, toujours dans l’intensité. Alors c’est drôle, vibrant, touchant, bien senti, frappant, émouvant, mais ça crée une distance, quand même, parce que tout bêtement c’est mal fichu. Evidemment ça a à voir avec la tension évoquée ci-dessus, qui elle-même est indissociable de cet espèce d’étrange positionnement du film (qui fait partie de manière centrale des « même si ») dans son rapport au réel. « Ce qui s’est vraiment passé ». Le faire revivre ? Une reconstitution ? Un souvenir auquel on donnerait vie ? J’y reviendrai.

Puis il y a cette chose très étrange, aussi, des winners et des losers – et naturellement on ne peut pas le voir de manière uniquement interne au film ; naturellement ça renvoie à tout ce qui se passe autour – bien qu’en biais, mais peut-être que c’est ça le véritable enjeu, et peut-être qu’il serait infiniment plus fort d’interroger ça. En tout cas, moi, c’est ça qui me frappe. Alors voilà, il y a cette troupe de petits jeunes, ils sont beaux y compris quand ils ne sont pas classiquement beaux, mais ils sont tellement bien regardés qu’ils sont beaux, ils transpirent la vie, l’envie, le désir, la trouille, et ils jouent les mêmes qui veulent devenir comédiens. Qui veulent entrer dans cette école, le Graal. Alors on voit le concours. On se doute bien que ceux qui sont mis en avant sont ceux qu’on verra ensuite, qui auront réussi le concours, donc ; mais on n’est certain de rien, on n’est pas certain pour tous. On croit par exemple que Suzanne Lindon aura le concours parce que c’est Suzanne Lindon, et l’on se trompe (elle aura un rôle, mais terrible – et même en détestant la figure de cette jeune fille comme je la déteste, pour ce qu’elle représente, et pour ce qu’elle croit lui être dû, je ne peux que compatir face au traitement que le film lui réserve : un personnage absolument méprisé, et ridicule, à tel point qu’il n’a même pas la place d’être touchant – c’est une réponse du berger à la bergère, en un sens, et en un sens elle est réjouissante : oui Suzanne je te prends dans le film mais tu vas voir ce que je te réserve, mais c’est aussi la marque de ce que j’essaie de nommer ici, le mépris – à peine du mépris – l’indifférence méprisante - envers ceux qui ne sont pas aussi beaux, pas aussi merveilleux, pas aussi talentueux, ceux qui ne sont pas les élus, qui traverse le film). Bref, on se demande qui l’aura, qui ne l’aura pas. On est pas à égalité mais quand même avec chacun d’eux. Puis les résultats arrivent – et ceux qui ne l’ont pas sont aussitôt oubliés, jetés à la poubelle de l’histoire, vraiment, du film. Ça fait un drôle d’effet. Un effet qui dure. Il y a l’annonce des résultats, et vraiment, voilà, les élus sont contents, on voit un tout petit peu les pas-élus qui pleurent – ils sont un peu ridicules, franchement – et hop c’est terminé ils ont déjà disparu (sauf Suzanne L, donc, qui sera doublement ridiculisée ensuite). Et il y a alors ce sentiment très déplaisant de : « the winner takes it all », que le film, c’est quand même ça. Il y a ceux qui l’ont, et ceux qui ne l’ont pas, les élus, et les autres. Le film, ce qui l’intéresse, c’est les élus. Tous les élus : elle n’abandonne pas l’une parce que Chéreau l’aime moins, ou l’autre parce qu’il serait devenu moins célèbre. Non, on a été élus ensemble, donc on fait partie du même club. Et le club s’éclate, vit des choses magnifiques et des choses terribles, est totalement hors du monde, il n’y a qu’eux, les élus dans la vie d’élus. C’est très problématique : non pas que je pense que le film devrait accueillir tout le monde, c’est absurde, bien sûr ; mais quelque chose dans sa construction et sa manière de se raconter tourne résolument le dos au reste du monde qui ne fait pas partie des élus, donc n’est pas intéressant, tout simplement.

Et ça pue. Ça, pour moi, ça pue. Mais je suis embarquée quand même – parce que les mômes eux-mêmes m’embarquent, leur histoire à eux (quand j’oublie le point ci-dessus). Tout de même il y a, dans une veine assez connexe, la richesse de l’héroïne (haha pardon héroïne). Je n’ai rien contre les petites filles riches, travailler le sujet, d’ailleurs j’avais adoré à l’époque le Chameau. Mais quand c’est la 25ème fois et qu’il n’est rien travaillé de plus que la première – bon, c’est acté, elle est très très très riche, elle ne le cache pas, parce que c’est la vérité et qu’elle en a honte – eh bien ça commence à devenir un confort de récit et de réalisation qui me gêne, là aussi. The winner… Arrive un moment du chemin ou peut-être ce « très très riche », qui est effectivement une particularité, une question, une obscénité, qu’on l’ait choisie ou pas, pourrait être soit mis de côté – soit travaillé plus ? interrrogé ? l’époque change, et pas qu’avec Metoo. Les inégalités se creusent, la pauvreté augmente, etc. Peut-être qu’il y a quelque chose à penser de cette richesse – pas seulement la remettre en scène de cette manière mignonne et qui s’excuse mais bon, mais au-delà ? Puisqu’elle tient à ne pas mentir. Alors qu’elle ne mente pas un pas plus loin que ça. Et pas simplement le poser là, à nouveau. Dans « Les estivants », que j’ai détesté, trouvé épouvantablement rance, en un sens c’était plus vrai – quelque chose transpirait, peut-être malgré elle, qui travaillait ça. Ici ce n’est pas travaillé. Et ça me pose un problème, dans le courant du film. Mais je suis embarquée quand même. D’autant que le film me rappelle par ailleurs que ça n’épargne pas les tragédies, la richesse, et le tragique me prend. Et que du côté du tragique il y a de quoi – en fait je suis encore plus prise par les personnages secondaires, que je trouve magnifiques, et en particulier par Micha Lescot d’une part, et le personnage de Franck d’autre part, qui s’en tape pas mal, du tragique. Et qu’elle regarde magnifiquement ; qu’elle aime, et c’est beau. Et puis il y a les chansons italiennes et moi j’adore ça. Et le désir qui circule tout le temps. Je ne parlerai pas plus avant de l’histoire d’amour avec le personnage d’Etienne / Sofiane Bennacer, parce qu’en fait je trouve que c’est le moins intéressant du film, même si elle me prend un peu, parce que je trouve les comédiens très bien (si, si, je suis désolée – incarnant parfaitement ce qu’on leur demande d’incarner). Le bad boy toxico qui emmène son oie blanche dans une histoire évidemment tragique de répétitions encore et encore, avant la perte prévue mais pas moins terrible pour autant… Bon, ce n’est pas ce qui me prend en premier. Aussi parce que, cf plus haut, il y a trop de récits pour que celui-ci prenne vraiment sa place de récit central ; et que je passe mon temps à avoir envie, faim, presque ! de voir les autres encore, je les trouve tellement supers.

Enfin je vois « des Amandiers aux Amandiers », et le malaise, ou, disons, cet empilement de plaisirs et de malaises ici et là et d’insatisfaction au cœur même de ma grande satisfaction, que j’avais face au film, s’éclaire un peu. Non pas sur la manière de faire jouer les comédiens : honnêtement, ça ne me pose aucun problème (pas la peine de me tomber dessus sur ce sujet, je n’entrerai pas dans la discussion ici, je me contenterai de dire que le film est mieux joué que l’immense majorité des films français que je vois, et que je pense que ceux qui y ont joué le savent et en sont fiers et sont heureux de cette expérience). Mais sur la comparaison entre les « vrais » personnes et les personnages à l’écran. C’est-à-dire que voyant soudain VBT à 20 ans dans cette image vidéo du casting, et de la pièce jouée à l’époque, voyant les images de ce Thierry qu’elle a perdu, et toute la troupe, un peu, j’ai soudain le sentiment que le film s’écrase au sol, par définition – indépendamment de ses (pour moi) problèmes évoqués plus haut : il s’écrase parce qu’il y a quelque chose de mal placé dans cette reconstruction, reconstitution. VBT lui insuffle toute la vie qu’elle peut, et elle lui en insuffle beaucoup, mais jamais sa reconstitution ne pourra être à la hauteur de ces images d’elle diaphane et enfantine « en vrai », traversant l’épopée en vrai, pour elle-même, en la découvrant tout simplement parce que personne avant elle n’a jamais vécu cette histoire-là précisément. Il n’y a que VBT qui a été VBT, et l’adorable Nadia ne peut pas faire aussi bien, quoi qu’elle fasse : elle ne peut que mimer. Ça n’a rien à voir avec son talent, ou ce qu’elle pourra offrir ailleurs, ça a à voir avec le cadre, redonner vie à quelque chose qui en un sens ne concerne qu’un. Qui aurait besoin d’un plus grand écart avec le souvenir tel quel, ou le fantasme du souvenir, pour respirer, devenir une réalité de fiction autonome, ou Nadia ne soit plus la resucée de Valéria jeune mais le personnage, autonome, vivant pour nous dans cette réalité de la fiction. (THE SOUVENIR sorti il y a quelques mois réussissait magnifiquement cet écart, par exemple).

Donc le plaisir des comédiens, en particulier le sien à elle, celui de Nadia, mais c'est vrai aussi pour les autres, est en même temps un peu surfait, forcé, parce que quelque chose colle qui empêche. Quelque chose colle tout du long du film qui empêche – qui l’empêche un en sens, malgré ses immenses qualités, d’être vraiment un film, de vivre son chemin, vraiment, y compris pour le spectateur, le plaisir qu'il en reçoit, dans la salle (et peut-être ceci explique en partie cela, d’ailleurs, tout le schmilblick).

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