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Billet de blog 7 février 2025

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Dans LA PAMPA, complètement à l'ouest (et JULIE SE TAIT / LA MER AU LOIN 1/2)

Ils font tous du motocross ou quoi ? Belle-épine, Vingt dieux, la pampa… Moi, il m’arrive d’aller à la campagne, et pas seulement dans les bocages du Perche, je n’en vois pas tant que ça, quelques quads parfois qui passent en vrombissant mais pas une piste de motocross à chaque carrefour de chaque zone rurale, non, il ne me semble pas que ce soit LA activité omniprésente

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...d’ailleurs c’est surtout des jeunes que je ne vois pas beaucoup, à la campagne, alors que dans ces films il n’y a que ça partout. C’est déjà quelque part, me direz-vous : voilà, ils doivent se cacher dans les films, alors.

Les films qui s’occupent du territoire. Notre beau territoire de France pour notre beau cinéma français d’art et d’essai bien financé, heureusement que le CNC existe, hein, pour faire tourner la sous-industrie du gros film d’art et d’essai bien financé, surtout le premier. Argh le sarcasme m’arrive sous les touches du clavier sans que j’y prenne garde, il menace à chaque mot. Reprends-toi Marina. Donc on va arpenter le territoire, le montrer, tout ça. Ici, dans LA PAMPA, lis-je dans un entretien, c’est effectivement celui dans lequel le réalisateur a grandi. J’étais persuadée, voyant le film, qu’il avait été choisi pour obtenir les subventions de la région (région Centre, si je ne m’abuse, qui est assez généreuse, de l’écriture à la production, il aurait eu raison) : tant on y montre tout ce qui y est à montrer, dans les lumières sous lesquelles il faut le montrer. La belle Loire là où on ne va jamais la regarder. La belle campagne. Les routes de campagne. Les lotissements. L’hôpital abandonné. Une vraie publicité de repéreur : « regardez les beaux décors typiques que je vous ai trouvés ! Regardez les beaux décors de nos campagnes ! » Il faut ne pas être du coin pour regarder un territoire de cette manière-là. Eh bien non, on peut le regarder ainsi alors que c’est le sien : la logique publicitaire ayant envahi jusqu’au regard sur soi, en somme.

Les films qui s’occupent d’un « sujet ». Il y a le territoire, mais tout seul ça ne suffit pas, il faut un sujet : l’inceste ? les abus sexuels des entraîneurs sportifs ? Allez hop, l’homophobie, et allons même plus loin, la virilité toxique. Donc (attention spoiler) ici il y a des homosexuels, mais comme c’est à la campagne, ça va très mal se passer, il y en a un qui se cache derrière la grossesse de sa femme, et l’autre qu’on va traiter de fiotte, rejeter salement, y compris son père, y compris sa mère, il va même se suicider tellement c’est violent. C’est pas de l’homophobie de pédé, ça, c’est de la vraie, bonne, grosse. Attention : évidemment ça existe, l’homophobie, et ça peut faire des ravages, et des morts. Mais l’équation campagne = cette homophobie brutale, omniprésente et massive, de cette manière : ça n’existe pas, pas de cette manière. Là ce qui existe, c’est le système, assez dégoûtant, à vrai dire, d’utiliser les étiquettes, « homophobie », « virilité toxique », de la même manière que celles de « territoire », « désoeuvrement des jeunes », « motocross » : comme des sigles pour signifier à quel endroit on est, pas comme des vérités à interroger et faire vivre. Et les sigles, ça fabrique du toc. En revanche, ça fait que tout le monde, tous les spectateurs susceptibles de voir le film – plutôt urbains, pas homophobes, éduqués à détester la virilité toxique, éventuellement montés un jour sur un scooter mais jamais au grand jamais sur une motocross (ne parlons pas d’un quad), sont d’accord, et ça c’est bon pour le succès : le père, il est vraiment affreux. L’homophobie, c’est vraiment pas bien. Mais vraiment, hein.

Tandis que la mère du héros, elle est vraiment chouette. D’ailleurs elle a l’air d’arriver de Montreuil – bien que le scénario lui ait donné un métier, auxiliaire de vie auprès de vieux, elle fait ça comme une intermittente qui aurait enfin trouvé sa vocation d’aide-soignante en partant s’installer à la campagne, pas du tout comme une aide-soignante de la pampa dans la région d’Angers, qui a toujours vécu là, même que le père de ses enfants y était champion de motocross, avant de mourir d’on ne sait quoi, et elle est fatiguée, l’aide-soignante dans la Pampa, beaucoup plus que Florence Janas qui joue le personnage. Et qui fait ce qu’elle peut, ce qui est loin d’être indigne, ce n’est pas de sa faute, mais elle ne porte pas cette fatigue-là ; du tout ; de même Mathieu Demy qui joue son mec cycliste en legging fluo, mais gentil, lui, a beau accepter le legging fluo, il ne fait pas cycliste en pavillon non plus, il fait Mathieu Demy qui fait le cycliste en pavillon, ce qui pourrait être intéressant, mais n’est pas le geste auquel prétend le film. Il prétend à montrer « les vrais gens ». On aura donc Damien Bonnard avec sa prothèse de ventre de prolo - Bonnard qui semble prendre la relève cheap de Lindon-les-hommes-les-vrais-qui-souffrent, en plus méchant – et le joli héros aux yeux de biche, mi racaille mi ange délicat, mais musclé et beau à regarder. Artus (c’est donc lui !) plane au-dessus de ce petit monde, est-ce parce qu’il a vraiment une tête de prolo ? ou parce qu’il est très bon comédien, mais il est le seul à porter du réel avec lui, à ne pas surjouer la chose mais se contenter de sembler la vivre, en être traversé – le seul à qui il semble qu’arrive quelque chose et par qui, donc, nous arrive quelque chose.

Bref on coche toutes les cases, mais toutes. Le territoire c’est : c’est beau la France, et il faut aussi de la poésie (ça, c’est la case du « film naturaliste mais c’est pas pour ça qu’il ne faut pas aussi des beaux paysages et des beaux plans »). Donc le fleuve, et c’est beau, des paysages de carte postale (comme le plan d’ouverture de la bande-annonce de « Le Mohican » - que je n’ai pas vu et qui est peut-être formidable, je ne m’avancerai pas ici, attention, vue sur baie et montagnes de Corse, c’est vrai que c’est beau, mais qu’est-ce que c’est plat – le cadre – le plan – le geste – malgré les montagnes – où est le cinéma ???). Et puis les longues et jolies routes de campagne. Dumont (que je n’aime plus, mais il a su filmer un lieu, jadis), c’était pas beau. Enfin c’était beau par sa dureté, sa platitude, et parfois un horizon, une ligne droite, était puissamment belle, dans le froid entre les champs de betteraves. Et pas seulement parce que c’était « le nord », donc supposément « pas beau » : mais parce que c’était infusé par ce qu’il racontait, le but n’était pas de plaire aux vérificateurs de cases. Il faudrait citer aussi, du même côté que « la beauté des plans », la case « nous vous parlons de choses intelligentes », avec tout le symbolisme de l’Apocalypse et sa belle tapisserie, la Marina étudiante aux Beaux-Arts qui ouvre notre héros à un autre univers, toute la caution culturelle pour donner du sens et de la qualité manifeste au récit.

Mais point trop n’en faut, le sarcasme me reprend.

Néanmoins, dire le plan sur le panneau « à vendre » à l’entrée de la maison. Ça pourrait résumer non seulement le film, mais l’ensemble des films français du registre, sauf exception bien sûr et il y en a, et des séries françaises (dont le réalisateur débarque, tout auréolé de ses succès officiels). On explique. On dit. On déplie. Donc quand on arrive pour la première fois devant la maison du héros, que son pote dépose à moto(cross), le plan intègre le panneau « à vendre » (très laid, ils ont voulu faire réaliste et pour le coup ça l’est, mais c’est vraiment le plus plat du plus moche sur le marché) accroché devant la barrière. On n’est pas sur TF1, tout de même, on le fait avec « élégance », on ne fait pas un plan uniquement sur ce panneau bien sûr. Mais il est là comme le nez au milieu du visage, parce qu’il faut le temps que le héros descende de la moto et dise au revoir à son copain, donc ce temps-là, on l’a, pas de risque qu’on n’ait pas vu le panneau. Vous avez compris ? la maison est à vendre (c’est un enjeu narratif du film, qui sera d’ailleurs évoqué dès la séquence suivante, dès fois qu’on risque de perdre le fil). Il ne faut pas être perdu. Chaque geste narratif, émotionnel, va ainsi être triplé : l’expression du comédien, et la ligne de dialogue, et le contexte – visuel, narratif - qui permette qu’on n’ait aucun doute sur ce qu’on voit. Ce qui fait que tout est absolument vidé de possibilité de vie, écrabouillé. Et ça, c’est la plaie absolue des produits audiovisuels « art et essai » made in France, la peur panique des diffuseurs que ce ne soit pas assez compréhensible, qui a infusé les commissions, le grand jeu du financement à coup de scénarios où tout est psychologisé et expliqué jusqu’à plus soif, où chaque geste doit être lisible, avec une raison, sans épaisseur ni ambivalence, qu’on ne s’y perde surtout pas. On ne s’y perd effectivement pas : on s’y ennuie terriblement, tout espace de vie, de mystère, d’art ? non même pas d’art, de simple adhésion aux personnages et au récit, pour commencer – y étant bouché d’avance.

- et là-dessus pas un gramme de rigueur scénaristique. Les deux jeunes gens dans le vestiaire, quand ça va encore à peu près, et que le film veut nous montrer 1-que le père fait peur et pèse d’une chape de plomb sur eux 2-que ça va encore 3-que les amis sont vraiment amis, qu’est-ce qu’il se passe ? 1-le père appelle d’une grosse voix pour presser les garçons, il les attend. Le fils répond qu’ils arrivent tout de suite ; on sent la pression, parce qu’il a des choses à leur faire faire et que globalement il ne rigole pas ; 2-les garçons passent plusieurs minutes tranquillou à se raconter tout, rigoler, être à nouveau copains, pour la vie, on les aime on est contents, tout en finissant de se rhabiller ; ils ne se pressent pas ; 3-ils sortent, il n’y a ni père ni raison de se presser, hop, séquence suivante. Logique du hors-sol : un signe ne sert qu’à ça, faire signe. N’a pas de valeur réelle. Le père n’a appelé que pour qu’on se rappelle que les garçons sont sous pression. Non pas que je défende le scénario vissé de bout en bout où chaque élément ait un rôle narratif explicite, loin de là. Mais que les éléments soient posés sans conséquence n’est pas plus souhaitable. Surtout quand on joue aux Grosses Conséquences, comme c’est le cas ici.

Puisqu’ici, y a du lourd. On veut mettre de l’épique dans le cinéma français. Je suis carrément pour. Mais en forçant une logique ultra, on ne met que du toc. Eustache est épique avec ses Petites amoureuses, en 4/3 et avec trois vélos. Dumont était épique en cinémascope, gris, la terre qui colle aux pieds. Mais là, le film censé se passer en avril, et dont on voit parfaitement qu’il est tourné en été parce qu’il fait beaucoup plus froid, en avril ; le bac qu’on a alors qu’on ne devrait pas l’avoir, juste pour que la mère embrasse le fils et que ça se termine bien, mais vraiment bien ; le héros qui se met à la moto comme s’il en avait fait toute sa vie alors que c’est son pote qui était le roi de la chose, lui rien ne dit qu’il est déjà même monté sur une motocross (mais « il a ça dans le sang », sic, son père était champion ne l’oublions pas), ça ne marche pas. Tout toc.

Une seule scène réelle ici peut-être, réelle et qui vient questionner le regard du spectateur, cheveu sur la soupe, bizarrerie malvenue mais qui reste : la caméra embarquée dans le cross moto, qui donne vraiment la nausée, donne le sentiment d’être pris dans un jeu vidéo trop réaliste quand on n’avait rien demandé de tel, produit une sensation. Le cross fait peur. Mais est-ce qu’on est dans du cinéma, alors, ou dans du porno ? Je me pose réellement la question, non pas pour condamner le geste mais parce que son effet sur moi me trouble. Que ce moment - immersion et non pas mise en scène - soit le seul où le film m'atteint réellement, ça m'interroge, pas tant sur le film que sur mon rapport au cinéma désormais, ce que j'en attends, ce que je crois qui peut s'y jouer ou pas.

Dans le reste du film, le cross est joli et décoratif et ne fait pas peur du tout (comme cette espèce de sport de voitures cassées dans "Vingt dieux", à mon sens tout aussi inutile – mais le film se rattrape à d’autres branches). Rien ne fait peur parce que tout est là pour le décor, justement. Ce qui me rappelle une discussion eue il y a déjà une dizaine d’années avec un producteur que je ne nommerai pas, un producteur qui aurait pu produire cette pampa, je lui proposais un scénario, il aimait plutôt bien l’histoire. Qui était déjà pleine comme un œuf, à mon sens : avec un père foireux, un peu voyou un peu malfrat, une mère bimbo, une gamine baladée dans tout ça, des voitures volées et un passage en prison, et même une évasion et un passage de frontière, et aussi une maîtresse qui cachait une clé entre ses seins et un trafic de pilules de viagra, bref, quelques situations qui se voulaient dramatico-burlesques (il y avait même des méchants très effrayants, des Arméniens - un peu à la « Anora », tiens, comme si les Arméniens étaient les « méchants de l’est » pour comédie, pas totalement méchants – un jeu sur les clichés, donc). Ça accumulait les péripéties, ne prétendait pas au réalisme. Le producteur trouvait qu’il manquait un cadre sociologique plus singulier pour pimenter le tout. On aurait pu mettre ça dans le milieu des marins-pêcheurs par exemple (il y aurait eu la trame des difficultés sociales des marins-pêcheurs derrière, et aussi des décors remarquables – le territoire, ici, la mer et nos belles côtes – et évidemment cinégéniques, une grève, peut-être ?). Ou bien dans le milieu du hockey, tiens, c’est un sport inhabituel et très physique (bénéfices comparables). Tandis que juste la banlieue lambda et des petits employés lambda, ça manquait un peu de piquant. On n’arriverait pas à trouver les financements. J’avais refusé, incrédule : l’histoire n’avait aucun sens là-dedans, tout devenait du chiqué.

Le cross ici c’est pareil. Une plus-value, plus d’ « originalité repérable ». C’est aussi un sous-texte de classe : il faut bien que les prolos exultent comme des prolos, non ? Ils sont forts, musclés, tatoués, ils ont un corps, ils font des activités de prolos. Et nous, on les regarde. Chacun à sa place. Mais même l’homosexualité est du côté de la plus-value (le gain étant de s’inscrire dans un discours totalement accepté et aujourd'hui plutôt valorisé) : ce n’est pas l’enjeu du film, mais son prétexte, sa patte blanche.

A l’intérieur de quoi tout le monde fait ce qu’il peut pour que ça vive, bien sûr. A commencer par les jeunes comédiens, très sincères, et même les autres certainement. Mais pour raconter quoi ? Tout ne peut pas être que pattes blanches, ça finit par produire un grand vide. Alors quel est le désir réel à l’œuvre, dans ce film ?

(que - je pense qu'il faut que je le précise - je ne prends qu'à titre d'exemple, dans le fond ; parce que je viens de le voir, parce qu'il rassemble énormément de tics croisés ces derniers temps, et qu'il permet ainsi de nommer ces tics - et aussi parce qu'il a été extrêmement bien financé me semble-t-il, qu'il bénéficie d'une très belle sortie et presse, et que tout cela vient raconter quelque chose de ce que nous portons, cherchons, produisons collectivement. Le film lui-même n'est pas pire ou moins sincère que nombre d'autres, loin s'en faut).

Dans JULIE SE TAIT, ils font du tennis. Mais ils en font vraiment, ce n’est pas un prétexte, c’est le corps du film. Ben c’est pas des prolos mais ils sont très réels, parce que le tennis est vraiment là. Et parce qu’il y a un regard, et de la mise en scène, et qu’au lieu de tout expliquer à chaque plan, on retient. On n’est pas forcé de retenir autant dans chaque film, d’ailleurs le film s’appelle « Julie retient », euh pardon, « se tait », et c’est vrai qu’il comme elle retient particulièrement (un peu trop sans doute – mon bémol) – mais il y a DE LA MISE EN SCENE. Inutile de dire qu’il n’y en a vraiment vraiment pas dans LA PAMPA. Il y a une caméra qui tremble pour montrer que c’est vivant, que ça cherche, des gros plans pour montrer qu’on est proches d’eux, des sons qui précèdent de beaucoup la séquence suivante pour que l’ensemble soit fluide, prenant – surtout qu’il n’y ait pas le temps d’un trou -, des dialogues « naturalistes » pour montrer qu’on est réalistes, – des plans pour véhiculer l’information, et des plans soignés pour que ce soit beau. Nombreux, d’ailleurs, et vraiment réussis souvent : parce que du désir plastique, il y en a. Mais pas de mise en scène.

Je ne veux pas me mettre à dos La Semaine de la Critique, ils ont souvent des choix remarquables, ou fins (LA MER A BOIRE par exemple, très sincère, et parfois très beau, là on sait où est le désir de film) et de grandes trouvailles (dont ce JULIE SE TAIT) - je leur envoie moi-même un film cette année. Mais comment ont-ils pu sélectionner ce film ? Qu’il ait réussi à réunir autant d’argent, on comprend pourquoi, il est fait exactement comme il faut pour (il est triste que cela fonctionne, certes). Mais l’apprécier ? L’argent est là, en tout cas. Les motos vrombissent énormément, ça demande de l’essence. Ils auraient été plus écolos à les enlever (et le film meilleur).

Dans le genre plus écolo et pour finir sur une note plus ludique, je recommande la vidéo parodique mexicaine d’Emilia Perez, qui a dépensé considérablement moins d’argent, d’énergie et de tout, que sa source d’inspiration, mais fait plus rire.

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