Pour moi les 5 premières minutes fonctionnent très bien, jusqu’au moment où le personnage de Vincent Lacoste se fait enlever (enlèvement à quoi je ne crois pas, ni en sa mise en scène ni en son incarnation), à partir de quoi le film me perd un peu plus plus à chaque pas. Disons que je suis passée à côté de l’humour et du charme de la chose, et que j’ai du mal à comprendre les choix colorimétriques et, souvent, de direction d’acteurs du film.
Je m’en serais peut-être tenue là – mais le film dit des choses… Toute comédie qu’il se veuille, il propose aussi une position et un discours politiques. PAR la comédie même, dans la simplification qu’elle autorise à opérer. Et de ça, il faut parler je crois ; ça ne doit pas s’éviter. Parler de politique (et d’argent de cinéma, incidemment : car le film est extrêmement bien financé). Et – excusez-moi – l’odeur est verdâtre. Film « de gauche », film « humaniste », « anti-fasciste », comme il se présente à chaque phrase ? Pour moi, film profondément à droite, la droite du contentement de soi et du monde tel qu’il va (soupir dans les salons cossus : les autres, ahhh, ils pensent mal, c’est terrible, ils gobent n’importe quoi et le monde va aller à sa perte à cause de toute cette mauvaise éducation), qui vient soutenir à bouts de bras ce monde-là – pas à s’étonner qu’il soit si bien financé, donc.
[Ici, après quelques heures de publication et un certain nombre de commentaires, j’ajouterai quelque chose avant que mon lecteur ne plonge, s’il le souhaite, dans le texte. On me parle de ce que dit Pariser de ses intentions, bonnes et humanistes, évidemment, et je le dis sans ironie ; on me parle de la manière dont on a reçu le film, beaucoup plus légèrement que moi, voire en un sens presque opposé, sur la question juive notamment. Je me demande alors si la manière dont je vois, moi, le film est en fait d’abord un problème de cinéma, problème que j’ai voulu contourner ici pour aller droit au but du « contenu » et de ce qui m’en fâchait. Je doute tout de même que la vision globale sous-jacente au récit soit autre qu’un humanisme « social-dem » de bon aloi mais qui à mon sens méconnaît absolument les enjeux criants du jour et ce faisant, en mettant en avant cette méconnaissance – refus d’en savoir quelque chose – se range de fait du côté du pouvoir en place dont c’est aussi le masque, celui du bon aloi. Mais pour le film, peut-être est-ce vraiment tentative de subtilité – je le dis sans ironie, à nouveau – de faire tenir des discours en partie rassembleurs au « méchant » ; peut-être est-ce vraiment humour fin qui autorise à jouer sur les clichés de l’antisémitisme dont jouent en général effectivement les blagues juives. Si je prends le film de ce point de vue, je suis obligée de dire qu’à mon avis c’est totalement raté. Raté du fait du cinéma. Que ce qui doit faire comédie et autodérision fait complaisance et connivence, que ce qui doit faire subtilité fait propositions politiques de droite, etc. D’où ce qui suit : qui est peut-être trop sévère quant aux intentions, mais où je ne parle finalement que de ma réception de l’objet, tel qu’il m’arrive, la proposition qu’il constitue.]
Ça vrille très vite et de manière massive : dès que ça parle politique, à vrai dire. Il y a un méchant, il a l’accent allemand, il tient un discours au héros. Ce discours vilipende consumérisme et libéralisme actuels : pour simpliste qu’il soit (ce que je ne lui reproche pas : simplification de la comédie, on l’accepte), il est parfaitement entendable ; je souscris. Oh mes aïeux j’aurais mieux fait de ne pas ! car c’est un affreux fasciste abreuvé de sang qui le tient, on le comprend deux phrases plus tard. Je m’en doutais, j’étais forcée de m’en douter, puisque le personnage avait l’accent allemand et qu’il venait de faire kidnapper brutalement le héros : mais comme ce qu’il disait me paraissait assez évident… Y souscrivant, je me demandais, un peu perplexe, où le film m’emmenait. La réponse n’a donc pas tardé. A quoi pensais-je donc (égarée sans doute dans quelque lubie gauchiste) ? Ben oui, les discours excités et extrêmes contre le fonctionnement actuel des choses, c’est forcément fascisant ; il n’y a que des affreux qui les tiennent. Dénoncer comme des maux majuscules libéralisme et adoration de l’iphone ? Il faut être affreux comme des fascistes assassins pour verser dans cette faute de goût. De même que dans « Alice et le Maire », il fallait être une hurluberlue grotesque pour agiter le spectre de catastrophes écologiques à venir et prétendre vouloir régler une politique sur une telle menace ; il y avait les socialistes bon teint, et l’écologiste radicale excitée, le personnage ridicule qui donne son assise aux autres, les gens sérieux. Il est vrai qu’entre gens de bonne compagnie, on sait que le changement climatique, l’extinction des espèces, le saccage de l’environnement, ce n’est pas très grave, pas au point de dire des gros mots ou de vouloir chambarder la politique de Papa.
Ici on va un pas plus loin : désigner le système comme catastrophique, penser qu’il faut qu’il change, c’est être du côté du fascisme. Le raccourci est sans ambiguïté, le programme est posé, et le film le suivra pas à pas. Je pourrais dire : politique de Papa, encore ; le film a simplement 50 ans de retard, en ce sens – et je pense que c’est effectivement le cas. Mais de fait ça produit un effet d’aujourd’hui. C’est un film d’aujourd’hui, et ce « retard » est aussi un choix.
Politique de Papa, donc : le méchant a l’accent allemand, vouloir renverser le système est fasciste, et les premières victimes désignées sont les Juifs. 50 ans de retard, ai-je écrit… ? Ah, les Juifs. Il se trouve que je suis également juive, donc je peux me permettre de le dire : ce film rendrait n’importe quelle personne censée antisémite. Les juifs, dans le film, qu’est-ce que c’est : c’est des gens qui font chauffer la carte bleue sans se poser la question, en première classe, qui se reconnaissent entre eux en se faisant des petites blagues alors que strictement rien ne les marquait (sinon, bien sûr, le côté angoissé). Sandrine Kiberlain à Vincent Lacoste, tout de go : tu es ashkénaze et tu fais de la tension artérielle c’est ça ? Il dit que oui, et hop ils sont encore plus copains, vraiment copains, désormais, copains dans le fond. Elle l’a RECONNU : parce que les Juifs, ça se reconnaît. Rappeler que c’est un leitmotiv antisémite, peut-être ? Les Juifs, ils se cachent parmi nous ; ils peuvent même porter nos noms (comme Lacoste qui s’appelle « Rémy »), avoir le même visage que nous, mais ils savent se reconnaître entre eux, et nous saurons les reconnaître aussi.
Quand les personnages se sont reconnus, donc, ils ne parlent plus que d’affaires juives en continuant les petites blagues de connivence. Pour spectateurs également dans la connivence (s’ils ne le sont pas ils se sentiront flattés d’y être ainsi accueillis, on imagine). Blagues naturellement centrées autour de l’angoisse, dont il faut rappeler qu’elle est une qualité – oui, une qualité – de bourgeois : un « défaut » qui fait supplément d’âme, une faille source de tous les talents, qu’on avoue en gloussant et rougissant, dont on sait très bien, entre gens avertis, qu’elle marque du bon côté, du côté des gens de qualité – du côté des gentils (un comble, pensé-je en l’écrivant, parce que « gentil » c’est la traduction française de « goy », « pas juif » – et l'on aurait envie de tirer le jeu de mots jusque-là, dire que ce comble raconte justement cela : que ces juifs-là sont désormais tellement embourgeoisés qu’ils ne sont plus que cela, des bourgeois et plus des juifs). Mais, entends-je protester, c’est qu’il y a de quoi être angoissé, et quand on est de qualité et quand on est juif : car le danger est grand ! Il l’a été ! il l’est à nouveau !
Danger d’aujourd’hui : le film a une analyse de la situation politique actuelle de droite, la droite juive, celle qui pense que tous les autres peuvent bien être victimes des pires abominations, il n’y a que les Juifs qui sont menacés, toujours (et disant cela je ne méconnais pas la recrudescence de l’antisémitisme, mais c’est autre chose que le film raconte ; d’ailleurs on sait parfaitement que la droite dure pas juive, avec laquelle cette droite juive fait la faute historique de s’acoquiner, n’aura effectivement aucun scrupule à se tourner contre les juifs le moment venu).
Mais je suis trop sérieuse à nouveau : c’est une comédie. Rions. Donc Lacoste et Kiberlain sont allés en colo au même endroit, chez les éclaireurs israélites (rires) (vous n’auriez quand même pas imaginé qu’ils aillent chez les ploucs séfarades, ou chez les orthodoxes arriérés ?). Puis Kiberlain raconte qu’elle est partie vivre en Israël (rires) mais qu’elle en est revenue (dans tous les sens de la chose) (rires) ; elle développe. Les juifs, en vrai, c’est européen (eux, donc : les ashkénazes de bonne compagnie, progressistes, pas archaïques) ; mais c’est des juifs, quand même, donc Israël « évidemment » on va y faire un tour – ben oui c’est un peu chez soi, non ? Avant de rentrer, parce que quand même on se sent mieux chez soi. Dans l’Europe des gens bien élevés (pas comme les Israéliens) (rires).
Bien élevés… mais traumatisés, parce que la Shoah, parce que le pessimisme ashkénaze – bref ils ont de quoi être angoissés. Donc ils peuvent se reconnaître, et la boucle est bouclée. Je viens de terminer un film autour de la Shoah et de ses traces, je serai la dernière à dire que de la Shoah il faut faire l’économie, qu’il ne faut plus en parler ; ni que traverser l’Europe germanique et orientale en train est sans échos
(mais qui va de Paris à Budapest aujourd’hui en train ? A part les écolos extrémistes agités que nos personnages ne sont certes pas, haha ? étrange décrochage du film, que ce voyage en train, qui semble signer une obsession terriblement pas traitée, dans le fond, et peut-être est-ce le moment où en effet il se passe quelque chose de réel dans ce récit, a contrario de tout l’effort de tout le reste : peut-être le centre du film est-il là, dans cette bizarrerie, et qu’au lieu de travailler à soutenir le pouvoir avec des petites blagues de bonne compagnie il eût mieux valu faire ce film-là ?)
Mais brandir la Shoah en étendard de reconnaissance de bonne compagnie, moi, non, ça ne me va pas ; que la Shoah devienne le signe de connivence de la bourgeoisie la plus protégée aujourd’hui, non, mille fois non. Parce que pendant ce temps il y en a qui traversent effectivement les frontières, ou essaient de les traverser, aujourd’hui, les forêts sombres, ils ne sont pas juifs ils sont plus bronzés et ce sont eux aujourd’hui qui n’ont pas de papiers et derrière qui on court avec des chiens. Et je ne fais pas ici d’équivalences déplacées : mais dans le monde du « Parfum vert », ces gens-là ne semblent pas exister. Existent la Comédie française, les Européens bien élevés, les institutions bruxelloises que les méchants veulent abattre – et même les Hongrois qui prêtent gentiment leur police pour arrêter des fascistes antisémites (la belle Hongrie qui a jadis déporté le plus massivement ses juifs, aujourd’hui la Hongrie d’Orban, cette belle collaboration si propre dans le pays le plus anti-fasciste d’Europe comme on sait) - et, loin au fond, évoqués en passant, la lie du monde, les complotistes qui font le lit du fascisme. Hormis quoi - Orban, la politique telle qu’elle va, Bruxelles, le théâtre, les artistes qui rament un peu parce qu’ils sont angoissés (parce qu’ils sont juifs mais c’est le côté burlesque de la vie) : TOUT VA BIEN.
(Ah oui et la gauche dans tout ça ? Puisque c’est un film « de gauche » ? elle est là, si si. Les personnages sont de gauche, c’est Sandrine qui le dit, et elle le dit très bien : « être de gauche » - elle rigole - « c’est choisir le camp qui perd tout le temps » -elle rigole encore. Et nous rions de concert : « je choisis toujours le camp des perdants » (blague juive). C’est vrai qu’être de gauche, ou de droite, c’est un peu comme choisir son équipe de foot : qui « gagne », ça n’est pas très important. Le fait est : cette « gauche »-là, pour ces personnages-là, qu’elle perde ou gagne, ça ne change rien. C’est parce que c’est la droite, et qu’ils en sont les meilleurs soutiens bourgeois.)
« Alice et le Maire » m’avait accablée, tant il me semblait que la politique y était pensée avec des catégories antédiluviennes (littéralement !) ; ce film-ci, toute « comédie » qu’il soit, déploie en grand, en plus fâché et en plus explicite le propos. Car le danger grandit, comme nous le savons, il faut donc le marteler plus. Il y a les méchants et les gentils. Les gentils c’est le pouvoir en place. Les méchants sont ceux qui veulent faire tomber ce pouvoir en place. Maman ne sera contente que si sa fille tombe amoureuse d’un juif (et sa fille, bonne fille, obéit, car dans le fond, on est mieux chez soi). Bon en fait même comme ça elle ne sera pas contente, parce que c’est une mère juive (rires). Mais le pouvoir en place, lui, est content, bien content.