tout est à découvert, comme les troupes de Darmanin sur les terres agricoles, et les accusations de terrorisme vert – alors on saute sur quelqu’un en lui tirant les cheveux, on engloutit des millions dans un faste qu’on interdit aux autres –
Donc le film de Maïwenn avec Johnny Depp en Louis XV ouvre Cannes. Un bal étonnant: rien n'est permis, tout est permis, rien ne fera saillie, le capitalisme roule, on continue.
et pendant ce temps, pilotage automatique à l’étage au-dessous, ChatGPT, scénarios – castings – découpages – plans de financement – critiques mêmes ! écrits-produits comme sous la dictée d’une instance statistique, qui roule, qui roule. Je ne citerai pas, cette fois, les films (fictions et documentaires ; aussi bien « à dispositif artistique exigeant » que « œuvres du milieu devant « composer » (sans doute) avec le réel de l’industrie »), mais j’en cherche désespérément qui ne soient (ne soit ? même) pas pur produit ChatGPT (métaphoriquement, s’entend). Cochant les cases, composé par et pour un programme dont rien ne dépasse (dépassements prévus inclus). En roue libre donc ça déraille à mort du côté de la pulsion, mais en fait rien ne déraille, ça roule sans faillir droit dans le mur.
La toute-puissance d’un côté ; la machine qui tourne toute seule, de l’autre. Il me semble que ça s’articule, ça s’articule manifestement au moins en ceci, dans la logique capitaliste extrême qui est la nôtre (n'est-il pas temps de l'arrêter?) : transformer chacun de nous en tuyau à recevoir et recracher pour que la richesse continue de se concentrer, toujours plus, richesse et pouvoir, entre les mains de quelques-uns de plus en plus ivres de cette position d’extranéité qu’ils s’offrent, mais est-ce la seule articulation ? peut-être oui, et peut-être suffit-elle -
Pour dire : quand les lettres d’amour se mettent à ressembler aux modèles ChatGPT de lettres d’amour ; quand il faut faire passer son scénario par ChatGPT pour qu’il obtienne des financements (mais bien sûr ça n’a pas lieu ! mais en fait ça a très exactement lieu) ; quand on ne voit même plus la différence… Eh bien c’est peut-être qu’on ne voit plus grand-chose. Se frotter les yeux, inspirer un grand coup, aller voir ailleurs si on y est : si quelqu’un respire, si une image, un mot, un plan fait rupture quelque part ? Si de la chair frémit quelque part ?
(j’assistais à un spectacle autour de ChatGPT. Est arrivé un moment où l’auteur et interprète de la pièce, sur scène devant moi – nous – les spectateurs, m’a semblé avoir la consistance exacte d’une production de la machine : moins consistant que son double numérique même : un pantin, aimable, certes, vivant, certes, de fait, il respire, son cœur bat (il semble qu’il respire – il semble que son cœur bat – la peau est rose et souple – les gestes déliés – il sourit, il parle, il marche) – mais totalement défini à l’avance, totalement circonscrit à l’avance, face à la scène, ce sentiment : il n’y a là plus personne ! et le vertige m’a prise
– le reconnaissant alors comme le nom même de l’évidement des choses et singulièrement des objets dits d’art qui me frappe, sur lequel je bute si souvent. Nouveau monde : cette course vertigineuse derrière notre propre pilotage automatique (tandis que quelques-uns se gobergent sur la Lune, pas plus réels pour autant). Cela dit ça ouvre un champ : on laisse sur le bord, même si ça a l’air d’être le centre, les machins GPT et on danse avec ce qui reste et tout-à-coup peut-être quelque chose respire.