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Billet de blog 18 novembre 2022

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ChefS-d'oeuvre du vide, drôle de désir

PACIFICTION : Titre extraordinaire, il faut le dire. Et Drôle de machin. Ricanement du vide idéologique qui se regarde, satisfait, est-ce vraiment ce qu'on veut recevoir, porter, défendre ? Le film existe, pour autant.

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PACIFICTION

Titre extraordinaire, il faut le dire. Tous ces tiroirs et l’évidence sonore, à cheval entre plusieurs langues, plusieurs thèmes, le in et le méta : bravo. Film chef-d’œuvre contemporien, aussi, sans doute. Film troublant incontestablement, dedans et dehors : dans la salle, sur l’écran ; hors de la salle, dans le discours (et ça, ça fait partie du film en plein, symptôme comptant pour beaucoup de ce contemporain-rien, notre temps).

Drôle de machin. Chef-d’œuvre, dit-on, et c’est vrai qu’il y a là quelque chose qui embrasse totalement, avec ampleur, notre temps, donc chef-d’œuvre de notre temps, en ce sens, oui : mais qu’est-ce que notre temps produit ? Pour moi c'est ça la question que le film soulève. Qu'est-ce que le temps veut? Qu'est-ce que le temps produit? Et qu'advient-il de nous dedans ?

Ce n’est pas sans beauté, bien sûr : le truisme absolu que produit le film, in-con-tes-ta-ble-ment : c’est beau. Mais c’est aussi très laid, y compris d’une laideur morale, mais même plastique, et parfois exactement dans le même geste de : c’est très beau, ça nous offre du très beau. Commencer par le commencement peut-être : la première partie du film, pour moi, est insupportable et concentre tous les maux du contemporain, effectivement. Vulgarité permanente et complaisante de tout : les situations, les rapports (pour ce qu’il y en a, à la surface, mais j’y reviendrai), les voix, manières de parler, la paresse de la réalisation, revendiquée, le maniérisme qui accumule couche et couche de références additionnées en un mélange de révérence et de ricanement (Querelle Genet Apocalypse Now le Vice-Consul…), les présences, les échanges, les dialogues… Tout va au plus vulgaire, au plus plat, au plus pauvre, au plus minable, au plus inconsistant. A l’intérieur de quoi j’avoue que j’ai du mal à comprendre qu’on porte Magimel, la présence de Magimel, aux nues : moi j’ai l’impression de voir exactement l’inverse de ça, la présence totalement évidée de Magimel (que je peux trouver génial par ailleurs, effectivement dans une densité incroyable). A vrai dire, pour ce qui le concerne mais aussi pour l’ensemble de ce à quoi le film le lui fait participer, j’ai l’impression de baigner dans un Dupieux plus plus plus, plus chic, plus théorique, plus lent : mais avec exactement le même ricanement de fond, la même vulgarité, le même j’m’en-foutisme absolu, le même pied de nez au spectateur à la « je prends l’oseille je vous donne des images clinquantes pour votre argent en ricanant de votre bêtise et je me casse », c’est-à-dire « je vais quand même pas me casser plus que ça, non ? ». Je trouve ça affreux. Puis je peux détailler : l’intrigue est absurde et ne cherche pas à le masquer, mais ne cherche pas non plus à travailler son absurdité, ne la creuse pas. Tout s’effiloche. Tout est surface. Sitcom sous les tropiques. Puis il est vrai qu’arrive une forme de pureté dans cette surface, pureté impure et que je n’aime pas mais qui produit quelque chose en effet. TAHITI DOUCHE BRILLE SANS MOUILLER. L’image est somptueuse et en même temps très laide, dans cet effet de seule surface que le numérique peut produire, aucune épaisseur, des couleurs acidulées et qui bavent ; et le film tout entier se fond dans cette surface. Il n’y a pas d’intrigue digne de ce nom, ce n’est en fait même pas de l’absurdité, mais du pur signifiant d’éléments d’intrigue. Paranoïa, complot, gentil en blanc, méchant en noir, vie post-coloniale, sous-marin fantôme, enquête, pseudo-poursuite… On en cite les éléments et ils ne recouvrent rien. Des images, uniquement. Et de la vulgarité. Parfois, dans le rapport à la mer, quelque chose du lieu prend corps, sa majesté : la séquence du surf, par exemple. Puis à partir du moment où littéralement le personnage fantasme sur les profondeurs, à savoir la présence d’un sous-marin, quelque chose prend un peu d’épaisseur en effet, échappe à la pure surface. Certains gestes, soudain, ont une consistance. Puis ça s’efface évidemment.

Et ça avance ainsi progressivement vers un évidement de plus en plus complet : peu à peu le film devient pure image, pure surface. J’entends que c’est là qu’il déçoit, pour beaucoup ; pour moi c’est là qu’il se révèle, qu’il finit par s’accomplir : finalement c’est la seule chose réelle qu’il propose, la seule chose à laquelle il croie, la seule chose qui échappe au ricanement : elle ne porte qu’elle-même, sa plastique, sur la pelouse du stade dans la nuit, dans la boîte de nuit à la fin, depuis l’avion, mais alors au moins elle se porte. La pluie tombe sans mouiller personne : c’est l’image de la pluie. Il n’y a plus de pluie. Et ça n’est pas sans produire du trouble, c’est vrai… Quelque chose comme l’expression au sens fort de notre contemporain, et ce n’est pas rien, loin de là : mais est-ce que cela a encore à voir avec du cinéma ? Pour moi ça a plutôt à voir avec l’anti-cinéma, ne plus l’aimer, le défaire de l’intérieur, comme Dupieux d’ailleurs bien qu’avec plus d’ampleur, de pensée et de talent, et plus de plastique. Je dois être restée moderne et résolument pas post-moderne : pour ce qui est de l’évidement, je peux regarder mille fois Blow up, et difficilement une seule fois ce « pacifiction ». Mais c’est parce que j’aime encore le cinéma, sans doute ; je ne suis pas certaine d’avoir raison.

(Ah oui, et le discours final du capitaine sur le bateau, et le "propos politique". Il est atroce, ce discours, parce que non seulement politiquement il est atroce, mais aussi il parachève ce "je fais mes pieds nickelés auxquels je n'essaierai pas moi-même de croire, mes cinq matelots qui décident d'utiliser la bombe atomique, mais je vais quand même faire semblant d'y croire et vous prendre pour des abrutis jusqu'au bout du bout parce que même ça vous l'applaudirez"

(ce texte est également posté sur Facebook)

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