Par un arrêt du 3 mars 2023, la cour administrative d’appel de Paris a annulé la décision de la ville de Paris d'accorder une aide financière d'un montant de 100.000 euros allouée à l’ONG SOS Méditerranée au motif que le conseil de Paris avait "entendu prendre parti et interférer dans des matières relevant de la politique étrangère de la France et de la compétence des institutions de l'Union européenne, ainsi que dans des différends, de nature politique, entre Etats membres".
La possibilité de subventionner une ONG agissant en matière humanitaire
Les conditions d’attribution des subventions aux associations reposent, depuis une dizaine d’années, sur une jurisprudence du Conseil d’Etat simple à comprendre qui peut se résumer, à grands traits, de la manière suivante : d’une part, une allocation à une association doit reposer de manière suffisamment étroite sur les intérêts publics poursuivis par l’administration, et, d’autre part, elle ne doit pas être attribuée pour un motif exclusivement politique.
La conditions de l’intérêt local de la subvention a toutefois été assouplie par le Conseil d’Etat qui a reconnu la possibilité pour les collectivités d'accorder des subventions dans le cadre des conventions de coopération décentralisées (CE, 17 février 2016, n° 368432), en application de l'article L. 1115-1 du CGCT qui prévoit que les collectivités territoriales peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire, cela dans le respect des engagements internationaux de la France.
Les collectivités sont ainsi autorisées à accorder des subventions à des ONG agissant en matière humanitaire alors même que leurs actions ne profiteraient pas directement aux administrés de la collectivité territoriale. En revanche, cette action ne les autorise ni à méconnaître les engagements internationaux de la France ni à prendre parti dans un conflit ou un différend international de nature politique.
L'obligation de neutralité et de "ne pas interférer dans la politique étrangère de la France"
Encore faut il toutefois que la subvention ne soit pas accordée pour un motif purement politique ou en méconnaissance des engagements internationaux de l'Etat, et c’est la que le bas blesse selon les juges parisiens. Ceux ci ont, en effet, estimé que le subventionnement de SOS Méditerranée pouvait être assimilé à une réappropriation par la ville des critiques émises par SOS Méditerranée dirigées contre la politique migratoire de l’Union européenne, ce qui conduisait à "interférer dans des matières relevant de la politique étrangère de la France".
Une telle interprétation est d’abord étonnante au regard de ce qui avait été jugé jusque là par les autres juridictions administratives qui avaient retenu que SOS Méditerranée avait un objet purement humanitaire, et que les tensions existantes entre la France et l’Italie n’étaient pas assimilables à un conflit entre Etats (TA Montpellier, 19 octobre 2021, n° 2003886 ; TA Paris, 12 septembre 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n° 202012289 ; CAA Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222).
Il est en effet naturel de considérer qu'une aide publique de l'ONG qui mène des actions humanitaires en raison des défaillances des États dans leurs obligations en matière de sauvetage en mer n'a pas pour objet de faire échec à une politique migratoire... sauf à considérer que la politique menée s'oppose au sauvetage des personnes en péril.
Pour sa part, la cour administrative d'appel de Paris a reconnu la dimension humanitaire de l'action menée tout en considérant que la volonté des responsables de l'association de "contrecarrer par leurs actions les politiques définies et mises en œuvre par l'Union européenne", que ces actions engendraient régulièrement "des tensions et des différends diplomatiques entre Etats membres de l'Union, notamment entre la France et l'Italie". Surtout, elle a estimé que "le conseil de Paris a entendu s'approprier les critiques de cette association à l'encontre de ces politiques migratoires",
Distinction des opinions politiques émises dans le débat public et action de terrains
Une telle interprétation est surtout hétérodoxe au regard de la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui sera probablement invité à statuer dans les mois qui viennent sur cette question, et qui considère traditionnellement que le principe de neutralité fait seulement obstacle au versement d’une subvention qui aurait pour objet d’exprimer un soutien politique et idéologique.
Précisément, la haute juridiction administrative juge que, si une commune ne peut, en attribuant une subvention, prendre parti dans des conflits, notamment de nature politique, la seule circonstance qu'une association prenne des positions dans des débats publics ne fait pas obstacle à ce que la commune lui accorde légalement une subvention (CE, 8 juillet 2020, n° 425926, mentionné aux tables).
En d’autres termes, la subvention est légale dès lors qu’elle a pour objet de financer une activité qui revêt un intérêt public, c'est-à-dire une action qui s’adresse à la population locale ou, si l’on se situe dans le cadre de l’article L. 1115-1 du CGCT, une action humanitaire. Par conséquent, la circonstance que l'association ait pris position dans des débats publics et politiques en cours n’est pas de nature, par elle-même, à entacher d'illégalité l'attribution de la subvention litigieuse.
En réalité, toute autre solution reviendrait à interdire le financement des associations citoyennes ou militantes, dont l’action de terrain et le militantisme vont de pair. Chaque association dont l'objet est la défense des personnes appartenant à des groupes minoritaires ou des droits économiques, sociaux et culturels, prend systématiquement parti dans le débat politique : les associations dédiées à la protection de l’environnement militent pour des politiques protectrices de l’environnement et contestent l’inaction de l’Etat pour lutter contre le réchauffement climatique, les associations de soutien aux personnes en situation de pauvreté militent pour une plus grande redistribution des richesses, les associations qui apportent conseil et assistance aux étrangers en situation irrégulière militent pour leur régularisation et contre les lois prises en matière d'immigration.
Chaque jour, des collectivités aident financièrement les associations qui suppléent les défaillances de l'Etat en accompagnant les personnes les plus vulnérables en particulier celles dépourvues de logement tout en constatant les carences de l'Etat. Ce qui est ici financé c'est l'action de terrain effectuée par ces associations et non la controverse à laquelle elles peuvent participer s'agissant du point de savoir si les moyens mobilisés par l'Etat et les politiques publiques sont insuffisantes.
Le soutien financier de leur action de terrain n’implique pas que les collectivités soient en accord avec l’ensemble des revendications portées par une association dans le débat public. Suivre le raisonnement inverse viendrait à supprimer toute forme de subvention aux associations qui prennent des positionnements politiques et qui critiquent la politique menée au motif que la décision de subventionnement constituerait une appropriation par la collectivité des opinions politiques de l’association.
On l'a compris, considérer qu'une telle aide financière reviendrait à critiquer la politique menée par l'Etat et à méconnaître le principe de neutralité pose évidemment une difficulté et il apparaît de ce fait souhaitable que le Conseil d'Etat intervienne de nouveau en la matière pour rectifier une interprétation menaçante pour le tissu associatif en France comme à l'international.
Mais ce qui est tout aussi grave est de constater que les juridictions se laissent convaincre par des éléments de langage émanant directement de l'extrême droite qui conduisent à voir dans des actes d'humanité et de fraternité une expression politique.