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Billet de blog 27 janvier 2022

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Sport et signes religieux : lettre ouverte à madame la Ministre des sports

J’ai l’honneur de représenter un collectif de femmes qui se bat depuis plus d’un an contre le règlement de la Fédération française de football en tant qu’il interdit le port de signes religieux ostentatoire lors des compétitions. Défendons une conception du sport qui favorise l’intégration de chacun malgré ses différences, l’émancipation individuelle et collective, l’accès de tous y compris des minorités, la diversité, et le droit de disposer de son corps.

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Madame la Ministre,

J’ai l’honneur de représenter un collectif de femmes qui se bat depuis plus d’un an contre le règlement de la Fédération française de football en tant qu’il interdit le port de signe religieux ostentatoire lors des compétitions sportives. Ce collectif a saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’annulation de cette interdiction, ce recours est actuellement en cours d’instruction et vous a été communiqué par le Conseil d’Etat.

Cent soixante sénateurs ont décidé, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi sur la démocratisation du sport, d’adopter un amendement interdisant le port de signes religieux ostensibles dans les compétitions sportives.

Cet amendement sera prochainement soumis à l’examen de la commission mixte paritaire, et il apparaît nécessaire que vous mainteniez un avis défavorable à cet amendement.

Il ressort expressément de l’exposé de ses motifs qu’il a uniquement pour objet d’interdire « le voile », mais on peine à identifier quels sont les motifs justifiant réellement cette interdiction. Les sénateurs nous offrent une liste à la Prévert : motif de sécurité, lutte contre le communautarisme et le séparatisme, existence potentielle de troubles, neutralité du sport… c’est à la carte et cela témoigne qu’aucun de ces motifs pris isolément n’est suffisamment convaincant.

Faire le choix de la neutralité impliquerait un changement de paradigme et une brèche dans le principe de laïcité qui implique, d’une part, la neutralité de l’Etat et de ses démembrements, et d’autre part, la liberté d’exercice du culte des usagers du service public, laquelle peut être exprimée, selon le Conseil d’Etat, par le port du hijab dans la seule limite de l’atteinte à l’ordre public et du prosélytisme. 

Plus largement, ce choix heurterait le principe même de l’Etat de droit qui implique le respect des droits fondamentaux et qui admet que des limitations puissent y être apportées qu’en réponse à un trouble objectif. 

Il n’y a pas aujourd’hui d’affaires « des foulards de Creil » dans le sport. Les sénateurs, comme la Fédération française de football, n’ont pas recensé de troubles caractérisés résultant du port du hijab sur les terrains de sport, unique circonstance qui pourrait justifier une quelconque limitation de la liberté de croyance et d’exercice du culte. 

Le port du hijab sur les terrains de sport n’excède pas plus les limites sociales du vivre ensemble et du pacte républicain. Il ne constitue pas un comportement susceptible d’être qualifié de séparatiste.

Il n’y a pas non plus d’ordre public sportif qui impliquerait une neutralité des compétiteurs dans les compétitions amateurs. La charte des jeux olympiques prône certes un principe de neutralité mais celui-ci n’a pas, pour autant, empêché la participation à ces jeux d’une vingtaine d’athlètes portant le hijab et parmi elles, l’athlète américaine Ibtihaj Muhammad médaillée lors des JO de Rio. Quant aux fédérations internationales, la FIFA, les fédérations internationales de basket, handball, karaté, athlétisme autorisent toutes le port des hijabs confectionnés pour la pratique sportive. 

Le choix de porter le hijab c’est la liberté d’exercer un culte. Il ne s’agit pas d’une revendication. Et s’il fallait admettre que la neutralité participe d’un ordre public sportif, alors il faudrait exiger des joueurs du PSG, Messi et Neymar, qu’ils cessent de se signer ou qu’ils cachent leur tatouage ostensible dédié à leur croyance religieuse. On ne peut pas sérieusement afficher un principe de neutralité qui s’imposerait aux seules femmes portant le hijab tout en admettant, par ailleurs, les démonstrations religieuses des stars du football sur les terrains, ou le soft power qatari dans le sport.

Faire le choix de la neutralité est tout à la fois inopérant et inefficace contre le phénomène de clubs communautaires, lequel a toujours été toléré dans le sport masculin qui compte déjà depuis des années des clubs de football, ou de rugby, constitués selon une logique culturaliste ou communautaire.

Faire le choix de la neutralité ferait, a priori, de la France la première démocratie interdisant les signes religieux sur les terrains de sport. Ce choix serait celui de l’exclusion, non seulement, des femmes qui ont librement choisi de porter le hijab et qui refusent de choisir entre le sport et leur croyance, mais également de celles qui sont contraintes de le porter et qui seront de ce fait définitivement forcées de renoncer à la compétition. Ce choix impliquera encore l’exclusion des JO 2024 des athlètes afghanes, iraniennes, saoudiennes et de toutes celles qui ont fait le choix de leurs croyances. 

Faire le choix d’une neutralité sans fondement objectif reviendrait, sous couvert d’universalisme républicain et de lutte contre le sexisme, à arbitrer en faveur des préjugés et de la discrimination. Or les mauvais arbitrages mènent parfois à alimenter un sentiment d’injustice et la victimisation. 

Soyons fiers de ce que les terrains de sport constituent l’un des principaux espaces de rencontre et de mélange des populations permettant ainsi une meilleure connaissance de l’autre dans sa différence, et une diminution des peurs les uns vis-à-vis des autres.

Prônons la liberté, la liberté de la femme de disposer de son corps, la liberté des sportifs et des sportives à tout le moins amateurs, et utilisons d’autres outils, les outils pénaux appropriés, pour combattre le sexisme et le séparatisme. 

Défendons une conception du sport qui favorise l’intégration de chacun malgré ses différences, l’émancipation individuelle et collective, l’accès de tous y compris des minorités, la diversité, et le droit de disposer de son corps.

Laissez les jouer,

Marion Ogier

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