C'est bizarre, il y a des films qui ne passent jamais au ciné. Normal : ce sont de "téléfilms" ! On les voit seulement par les hasards du zapping, le plus souvent à des heures tardives. Mais lorsque - par hasard - on tombe dessus et que l'on s'y arrête (par hasard encore) on tombe des nues. Celui-ci était rediffusé le samedi 9 novembre dernier, en prime time sur La 3. Je tiens ce film pour un véritable brulot pour qui veut bien le regarder.
Le doux pays de mon enfance - qui s'ouvre sur la si belle chanson de Trenet - est de facture classique, accessible à tous, ce qui pourrait le faire passer "inaperçu" ou conduire à le dédaigner bien trop hâtivement... Mais ce que l'on y découvre ne l'est peut-être pas... Le vertige s'installe.
Je tiens ce film (de Jacques Renard/2005 avec l'ici génial Daniel Russo) pour le plus grand film antiraciste et anticolonialiste que l'on puisse concevoir. Un travail subtil et des dialogues... à l'aplomb !
C'est l'histoire d'un petit bourgeois français meadle-class supérieure et cultivé (Baudelaire, Rimbaud, Cendrars, etc. expert et brillant au piano, tout comme en père de famille attentionné et aimant, bref, un humain exemplaire. Bien "intégré" quoique français de souche, bon métier, intelligent, bon mais aussi gentil, généreux et élégant. Cultivant, presque jusqu'à l'outrance mais/et par pur et véritable amour, la grammaire, l'orthographe, la syntaxe, la culture et l'histoire françaises ainsi que les codes qui les légitiment, qui en font aussi des valeurs d'usage social... Bref, le français idéal comme on aimerait en rencontrer tous les jours.
Et comme, lorsqu'on a vu ce film vertigineux, on voudrait prendre entre ses bras en lui demandant pardon, ainsi qu'à sa vieille maman...
Mais la vie de ce monsieur vacille pourtant. Un juge légaliste et pourtant "juste", mais appliquant les règles, se met à le persécuter, suite à un banal contrôle routier qui laisse planer un doute sur son identité. Animé, me semble-t-il (le juge), davantage par une pulsion de l'énigmatique (et non dénué de compassion) que par la chasse aveugle ou le rouleau compresseur de la bonne règle à la lettre. Dans ce film, tout est subtil.
L'histoire ira à son terme, de manière parfaitement surprenante, n'en disons pas plus.
J'ai lu que cette intelligente et très fine fiction fut inspirée d'un fait réel... Et j'ai bien du mal à l'imaginer, à la croire, mais...
On peut encore voir en replay sur FR3 ce somptueux plaidoyer (qui cependant ne se limite pas à cela) pendant deux ou trois jours seulement. Comme aucun autre, il nous parle à la fois de l'identité, de la biographie, de notre histoire récente, du poids des pactes passés avec une mère, de l'intimité, du respect inviolable du secret, de la transgression, du véritable et si fluctuant statut du patronyme, et de ce que sont vraiment, au fond, la Vérité et le Mensonge, de la si précaire membrane qui les sépare. Vertigineux.
Puis, en somme et surtout, des ravages incommensurables du colonialisme - et du racisme qui peut en être l'effroyable résidu.
Il nous parle aussi de l'"incorporation", telle que la définit et décrivit, voici quelques décennies, le sociologue Pierre Bourdieu, et la met en scène de manière renversante. Un véritable crève-cœur que l'incorporation de Bourdieu, telle qu'on peut l'entrapercevoir ici incarnée...
Cela peut se regarder comme un banal et léger téléfilm, voire (presque !) comme n'importe quelle série. Mais, sensiblement (et insensiblement !), ça "vrille" et s'en distingue radicalement, cruellement. Bien plus douloureusement. Bref, ça ne ressemble à rien d'autre qu'à un très beau film, tel qu'on en aimerait plus souvent au cinoche.
Il ne reste plus que deux ou trois jours pour voir ce très intelligent et subtil film en replay, diffusé à 20 h 35 le samedi 9 novembre sur FR3.
http://pluzz.francetv.fr/videos/le_doux_pays_de_mon_enfance_,91833546.html
"J'ai eu un moment de faiblesse... mais ils ne nous auront pas !", dit, vers la fin, cet obstiné à sa grande fille sur son lit d'hôpital.