Je n'ai su qu'aujourd'hui que mon cher Christian Gailly était mort. Il est mort de manière inaperçue, quasi clandestine, le 4 octobre : trois jours avant Patrice Chéreau, une mort éclipsant l'autre, fatalement.
J'aimais les livres de Christian Gailly depuis le premier, paru, je crois, en 1987 (*). Et sans le connaître autrement que par tous ses livres, j'aimais aussi ce grand mélancolique, bref, j'aimais ce Monsieur élégant, ce bel homme au regard aussi triste que compatissant... Pour ses livres.
En 2002, dans Libération, Jean-Baptiste Harang lui avait consacré un très très beau papier à l'occasion de la parution en poche de son Bee-Bop : dehttp://www.liberation.fr/livres/2002/01/10/christian-gailly-entre-le-jazz-et-l-age-avoue_389931
Et comme cet article dit de Gailly ce que j'eusse voulu en écrire si j'en avais eu le talent, je m'en tiendrais à ce lien.
Alors que la "rentrée littéraire" bat son plein, sortant ses grands couteaux et ses armes chimiques convenues sur tous les médias, on en oublie de rendre hommage aux meilleurs. Même lorsqu'ils s'en vont, et si discrètement : pas de cancer apparent. Pas de suicide. Pas d'accident d'avion ni de Titanic. Pas de front guerrier non plus.
Il n'était pourtant pas vieux, le si distingué Christian Gally : 70 balais. Une paille puisqu'on est sûr et certain de ce que l'on nous rabâche et reproche : vivre jusqu'à la Calament ! Quelle calamité devait-il penser... Mais, voilà, il est mort le Gally des Editions de Minuit qui disait de son éditeur- découvreur : "Monsieur Lindon", quand à tant d'autres il suffisait d'un simple "Jérôme". Il aurait pu encore assez longtemps régaler de son incomparable phrasé jazzy si personnellement personnel, ses lecteurs mélancoliques, ses lecteurs mélomanes, ses lecteurs littéraires, ses lecteurs de longueur d'onde...
Entre le saxo de Parker et W. A. Mozart, ce musicien pur sang, capteur né peut-être revenu de tout, ce diapason incarné, ne choisissait pas : sa syntaxe respirait avec les deux, ce qui n'était pas son moindre mérite.
L'un de ses plus beau et, comme toujours bref roman, usurpe - à juste titre - le titre du fameux concerto de Mozart : K.622 - Minuit-1989.
<<<Vous devriez l'écrire, dit-elle, et elle dit ça comme si elle disait : c'est tout juste bon pour l'écriture, comme si l'écriture était l'abattoir des idées, l'équarrissoir de la pensée, la boucherie des mots, un hachoir à phrases. Le disque s'est arrêté, elle se lève et se dirige droit sur le meuble où se trouve l'appareil qu'elle éteint.>>> Juste pour donner une vague idée d'un style, d'un ton, et donc d'un propos très précis et farouchement déterminé, pesé, en un mot : choisi.
Autrement, je partageais aussi avec les bouquins de Gailly (même avant de le lire), un attrait immodéré et cependant frivole pour la couleur grise. Allons donc savoir pourquoi. Mais pas un seul de ses romans (je l'avais forcément remarqué) où elle ne fasse, si discrètement que ce soit, irruption... Mystère.
(*) Dit-il / Editions de Minuit - 1987
 
                 
             
            