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Billet de blog 21 novembre 2015

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L'assassin qui a froid

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'ai fini par retrouver ce livre. Voici donc le début de L'assassin qui a froid, ce titre  fut et reste de moi. Dans le livre (*), l'auteur l'intitule La première nuit.

<<< Ce n’était pas le première nuit où je sortais pour une embuscade. C’était la première nuit où je revenais après avoir tué. Je rentrais pris d’un mal et d’une seule urgence : froid et besoin de me serrer contre Nera.

De toutes les pensées que j’avais imaginées avant, de toutes les réactions que je m’étais préparé à contrôler , seule me vint celle de rentrer à la maison et de l’étreindre.Nera vivait avec moi, maigre, la peau opaque et les cheveux foncés, savates aux pieds, belle à vouloir le cacher, vingt ans tous les deux, quelques sous et un espace exigu. Elle souriait peu, mais alors ! Alors du blanc jaillissait de ses yeux noirs et son sourire faisait du bruit, un bruit de pastèque fendue par un couteau.

Sur son visage s’ouvrait une clôture de l’intérieur, de fenêtre, et la clarté scintillait comme brille l’entaille de la pastèque.

Je me dépêchais de rejoindre Nera, je ne cherchais pas son sourire mais sa chaleur car j’avais froid.

Elle ne sourit pas, elle attendait, depuis quelques temps elle avait commencé à m’attendre me dit-elle.

Elle ne savait rien de mi, elle ne voulait rien savoir de mes absences, où et pourquoi, mais ensuite elle demandait sans mettre de point d’interrogation : «  tu as faim », « tu as froid », « tu as le temps ».

Je venais de tuer un homme, une première pour moi, et le froid m’accablait, un gel dans mes mains, mais surtout dans mes os.

Pas de vomissement, pas d’angoisse, pas d’anxiété, mais un vieux froid d’enfant qui venait des hivers d’une ville du Sud,  aucune maison chauffée et on ne sentait la chaleur que la nuit au lit. J’avais le froid du Sud,  dans les salles de cours aux carreaux cassés, le manteau, l’écharpe ne suffisaient pas à nous faire tenir tranquilles à nos places. Nous étions des salles de tarentulés, nous gigotions sous nos bancs, nous soufflions dans nos cols. Cette nuit-là je sentis à nouveau ce froid, résumé général des hivers du Sud.

Elle ne savait pas où j’allais certains soirs, je lui donnais tout l’argent de ma paie d’ouvrier, il lui suffisait de ne pas sentir le parfum d’autres femmes. Elle avait un nez droit comme une proue et flairait les odeurs de loin, sachant les distinguer dans le tas même sous ma sueur. Je ne lui ai jamais fait l’injure de chercher une autre femme, j’avais vingt ans et un cœur pris.

Cette nuit-là elle ne m’avait pas senti, ses narines élargies, parfaites sous son regard sombre,  comme elle le faisait toujours, d’une brève inspiration, sèche, suffisante.

Je passais volontiers cet examen, sans paraître le remarquer, c’était sa façon à elle de m’accepter chaque fois.

Je m’amusais tout seul en me disant :  le jour où elle me reniflera deux fois, elle me reniera. Les jeux de mots se révèlent parfois plus justes que les prophéties. « Tu as froid » demanda-t-elle et je dis oui. « Allons nous coucher ».

Ce fur en me déshabillant que j’y pensai : elle ne s’était pas approchée de moi pour me renifler. Puis je me serrai contre sa chair sombre et pas même un baiser ne sortit de mes lèvres. Elle n’en chercha ni ne m’en donna, elle me serrait, consolation d’un corps toujours prêt à en réchauffer un autre.

Ma respiration ne tremblait pas, mais c’était ma peau, des frissons parcourraient mon épine dorsale par vagues.

Ainsi voyage le tremblement de terre après avoir déchargé ses coups dans le sol, le défibrant ensuite par ses trépidations.

Nous étions enlacés sur le côté dans notre encastrement amoureux, mais aucun geste ne brouillait nos sens les poussant à l’amour.

Nous étions immobiles, je gardais les yeux fermés sous la douceur de ses cheveux noirs. Mon dos déchargeait des frissons par vagues. Sa chaleur maigre ne me suffisait pas et je me retournais plaçant mon dos contre sa poitrine, je pris ses bras et les serrai autour de moi comme une couverture.

J’ouvris les yeux, je revis les coups, la chute de l’homme qui d’abord ne voulait pas mourir et puis n’y parvenait pas, enfin les coups de grâce comme des coups de pied sur lui.

Un nouvel assassin au monde, bon pour ça comme pour visser le mandrin au tour pour travailler des pièces et faire sauter les éclats voulus, retirant de la matière brute la part nécessaire. Cet homme assassiné n’était-il pas du rebut,  de l’excédent ? Non je n’étais pas un ouvrier de l’histoire, enrôlé dans un détachement qui devait gagner. J’étais un assassin pour une vengeance de sang, lointaine consigne à n’oublier qu’ainsi.

J’enlevais à la pièce un morceau de ma chair, vieille rancune d’ancêtres, histoire de notre sang du Sud qui se même à celui de qui a juré notre mort.

Et il arrive un jour pour nous tous où nous n’avons pas été moins prudents qu’à l’habitude, et dans la rue, un garçon, saisi de fureur et d’angoisse, nous coupera la route. J’avais vingt ans et j’étais préparé à ça depuis que je savais écrire mon nom.

Je fermais les yeux sous une nouvelle décharge de froid.>>>

(*)  Suivent encore quatre pages superbes qui prolongent et viennent clôturer ce si fébrile récit. Elles sont extraites de "En haut à gauche" - Erri de Luca/Rivages -1993. Je les ai saisies pour vous tous et vous invite vraiment à lire ce très beau livre.

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