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Billet de blog 12 février 2019

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Affaire Kerviel : Mediapart a bien gagné ses procès face à la SG et son ex-pdg

Le 6 février, Les Echos affirmaient sur leur site que l’ex-pdg de la Société générale avait gagné son procès en diffamation contre Mediapart. C’était faux. Le quotidien a depuis changé le titre mais pas le fond. A aucun moment, il n’est dit que Mediapart a été relaxé par la 17e chambre correctionnelle. Mise au point.

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Est-ce le signe de notre temps, où les faits ne semblent plus primer, où ils peuvent être distordus, tronqués ? Si cette dérive est de plus en plus fréquente dans les paroles publiques, on ne s’attendait pas à ce qu’un journal aussi important que Les Echos y succombe. Et pourtant…

Le 6 février, Les Echos, sous la plume de sa journaliste spécialiste des questions de justice, Valérie de Senneville, a publié sur son site internet un article titré « Affaire Kerviel : Daniel Bouton gagne son procès en diffamation contre Mediapart ». Tout était faux dans cette information.

Mediapart n’a pas perdu mais a gagné son procès face à la Société générale et son ancien pdg : nous avons été relaxés, certes au au titre de la bonne foi - mais c’est le cas dans 99,9% des affaires de presse,- mais bien relaxés par un jugement rendu le 21 décembre.. « Il convient de renvoyer au bénéfice de la bonne foi la journaliste des fins de la poursuite et partant son directeur de la publication . La Société générale (…) doit être déboutée de toutes ses demandes en raison de la relaxe prononcée», statue le tribunal.(1) Daniel Bouton et la Société générale ont tellement gagné leurs procès qu’ils ont fait appel… Ce que se gardent bien de signaler Les Echos.

Dans la journée, les Echos ont modifié leur titre, sans le signaler à ses lecteurs, sans modifier l’URL et surtout sans modifier le fond. « Affaire Kerviel : match nul entre Daniel Bouton et minoritaire.com [l’autre site poursuivi avec Mediapart dans cette affaire qui lui aussi et l’auteure Mme PASQUETTE ont été relaxés- ndlr] ». Le sous-titre , par contre, parle toujours de Mediapart et a été complété : « Médiapart, avait suggéré que l’ex-pdg de la banque avait commis un délit d’initiés en informant ses confrères, des pertes subies à cause des positions prises pas Jérôme Kerviel. Les juges renvoient le média et l’ex-pdg dos à dos, faute de preuves ».

Or, c’est une nouvelle fois une fausse information qui a été publiée : le tribunal n’a pas renvoyé « dos à dos » Mediapart et la Société générale mais nous a relaxés et a débouté la Société générale et son ancien pdg, Daniel Bouton de leurs demandes. Ce n’est pas la même chose ! Dans cette nouvelle version, l’auteure, qui ne méconnaît pas le monde judiciaire, puisqu’elle le chronique depuis des années, n’écrit à aucun moment le mot relaxe, un terme qui a de l’importance dans les jugements de presse.

« L’affaire Kerviel vous rend tous fous », a osé prétendre Valérie de Senneville auprès de qui je protestais pour les erreurs commises. En l’occurrence, Mediapart s’est plutôt montré discret. Il n’a jamais  été fait publiquement état des plaintes en diffamation déposées contre moi et Mediapart par Daniel Bouton et la Société générale en mai 2016. Tout simplement parce qu’elles font partie de la vie de notre journal qui rend des comptes pour ses écrits devant le tribunal. Rien ne justifiait donc de leur réserver un sort particulier.

Parmi les dizaines d’articles et révélations publiés par Mediapart sur l’affaire Kerviel, l’article publié le 1er mars (lire ici)  a été le seul ayant donné lieu à poursuites de la part de la Société générale et de son ancien pdg. Il reprenait et complétait des informations publiées précédemment par le site minoritaires.com. Deux banquiers, et non des moindres, Philippe Dupont, ancien président des banques populaires, et Georges Pauget, ancien directeur général du Crédit agricole racontaient que Daniel Bouton les avaient prévenus dès le dimanche 20 janvier 2007, leur expliquant le début de l’affaire Kerviel, et qu’il avait besoin du soutien de leurs banques dans les opérations de débouclage qui devaient intervenir le lendemain.

Ces témoignages avaient un intérêt parce qu’ils soulignaient à nouveau le brouillard persistant qui entoure l’affaire Kerviel depuis le début. Ils révélaient que la version officielle présentée par la Société générale dès le 24 janvier 2008, au moment de la révélation publique de
l’affaire Kerviel, a toujours été une sorte de construction, que la justice n’a jamais vraiment voulu remettre en cause, en dépit des incohérences, révélations et des nombreux témoignages venant contester cette histoire officielle.

« Si les propos poursuivis sont désagréables pour la partie civile, la journaliste disposait d’une base factuelle suffisante pour les tenir, sans manquer de prudence au regard de l’importance majeure du sujet d’intérêt général évoqué », a jugé le tribunal. Lors de l’audience, à laquelle les Echos n’assistaient pas, le procureur de la République avait requis la relaxe estimant que l’enquête était sérieuse et contradictoire, l’information publiée constituant un sujet d’intérêt général. Le tribunal l’a suivi en tout point.

Mediapart n’a pas fait état de ce jugement. Car à peine rendu, la Société générale et Daniel Bouton ont fait savoir leur intention de faire appel, bien qu’ils aient gagné, à en croire les Echos

Pourquoi alors les Echos ont-ils tant tenu à parler de ce jugement deux mois plus tard ? Et surtout en tordant totalement le sens du jugement rendu ? La question reste entière et toutes les interprétations sont possibles tant l’erreur est grossière et incompréhensible de la part d’une journaliste spécialisée.

La seule question qui est d’intérêt général désormais dans l'affaire Kerviel est pourquoi la Société générale n’a toujours pas remboursé aux finances publiques les 2,2 milliards d’euros de crédits d’impôt qu’elle avait obtenus au  début de l’affaire et qu’elle est condamnée à rembourser après le jugement de la cour d’appel de Versailles ? Une question qui aurait pu être posée dans l’article des Echos.

Mais Les Echos ont préféré relayer, sans la moindre vérification, des faits faux et des allégations portant le discrédit et le soupçon contre Mediapart. Et cela, ce n’est pas acceptable.

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(1) J'aurais souhaité publier l'intégralité du jugement. Malheureusement à ce stade, c'est impossible. Nous n'avons que la copie de travail qui est transmise par le tribunal aux avocats des parties et celle-ci n'est pas publiable. Le jugement public et signé n'est pas encore disponible.