
Le vrai suspense quand on va revoir "un classique", c'est d'en découvrir une nouvelle vision. On attend les répliques les plus fameuses comme les enfants devant le kiosque de Guignol pour voir ce qu'en fera l'acteur, les scènes les plus connues pour apprécier ce que le metteur en scène y a vu.
Et le Dom Juan mis en scène par René Loyon (repris actuellement à L'Atalante) est un vrai bonheur. Il parle de théâtre de chambre, ce qui se conçoit vu l'étroitesse du plateau, son plafond bas, son manque de profondeur. Mais aussi parce que de ces contraintes se dégage une intimité entre comédiens et spectateurs, si proches les uns des autres. Toute la mise en scène repose en grande partie non plus sur des dialogues mais des conversations.

Ce ton est donné d'entrée lorsque Sganarelle et Guzman (l'envoyé de doña Elvire) devisent tranquillement en bons amis, du tabac. Dans cette ambiance, tranquille, décontractée, Sganarelle finit par se lâcher et confie à Guzman tout ce qu'il pense de son maître, "le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un scélérat, un Turc, un hérétique qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou". Pas sur le ton de l'imprécation mais bien sur celui de la confidence.
Ce que l'on ressent alors et ce que l'on ressentira tout au long du drame qui se prépare, c'est la souffrance de Sganarelle. Il souffre d'être au service d'un tel homme et n'y peut rien. Il souffre et il a peur car il sait que leurs destins sont liés, qu'ils vont à la catastrophe et qu'il n'y peut rien.
Mais Dom Juan, l'athée, la tête brûlée, l'Epicurien, le jouisseur, souffre aussi et terriblement. La vraie victime, c'est lui. Pas cette mijaurée d'Elvire, ni les bêtasses petites paysannes.

Car, si son comportement est bien entendu odieux, macho, fils indigne _ mais vis-à-vis du pauvre Monsieur Dimanche, il n'est pas pire que tous les godelureaux, Clitandre, Léandre et autres fils impécunieux et dépensiers _ sur le fonds et nous en sommes conscients, c'est lui qui a raison. Lui qui se débat et se rebelle contre l’hypocrisie, les conventions, le poids de la Cour et surtout de l'Eglise. En avance sur son temps. Dans une solitude infinie. Né trop tôt dans un siècle trop vieux.
Alors, c'est cette douleur, cette solitude, cette révolte, qui le poussent perpétuellement à aller plus loin. Il bouillonne de rage rentrée plus que de désirs inassouvis et c'est ce qui le conduira à aller jusqu'au bout, jusqu'à la provocation ultime, une forme de suicide.
René Loyon a trouvé les comédiens à la hauteur de son projet, ils sont fabuleux, en particulier Clément Bresson (dom Juan) et Yedwart Ingey (Sganarelle) mais les autres qui se partagent tous les autres rôles sont aussi épatants ( Claire Barrabes, Jacques Brücher, Adrien Popineau, Claire Puygrenier).
Photos: Laurencine Lot
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