Le hasard a voulu qu'en 48 heures, j'aille voir deux spectacles tirés de romans contemporains: De beaux lendemains d'après Russel Banks aux Bouffes du Nord et Loin d'eux au Théâtre de la Bastille. Deux romans qui ont une construction un peu similaire. Chez Russels Banks, quatre personnages, l'un après l'autre, vont prendre la parole, chez Laurent Mauvignier, ce sont dicours intérieurs des personnages qui se succèdent.
Une suite de monologues donc, casse-gueule, forcément un peu, mais sans doute plus évident à transposer au théâtre qu'une autre forme romanesque.
Emmanuel Meirieu a déjà présenté ce spectacle aux Nuits de Foruvières, en 2010 dans une autre distribution (http://www.dailymotion.com/video/xe6cn9_de-beaux-lendemains-d-emmanuel-meir_creation#from=embediframe)
C'est sans doute, un des plus romans les plus forts de Russell Banks (chez Actes sud), un de ceux qui vous restent dans la tête. Dans une petite ville, en hiver, la conductrice d'un bus scolaire, Dolores Driscoll, en voulant éviter un chien, un renard, quelque chose, braque violemment et le bus tombe dans l'ancienne sablière qui aurait dû avoir été rebouchée depuis longtemps et coule dans les eaux gelés. Quatorze enfants meurent. Derrière le bus,dans son camion, il y avait Billy Ansel, le père de deux jumeaux qui figurent parmi les morts, le premier sur les lieux. Dans le bus, une jeune fille, la star de l'école, Nicole Burnell, qui a survécu, mais restera paralysée. S'ajoute, un autre homme, un avocat, Mitchell Stevens, qui n'est pas venu pour l'argent mais mû par un sentiment de justice, pour défendre les parents des petites victimes et faire condamner non pas la conductrice, mais la ville ou la Région pour négligence. Que des braves gens.
Emmanuel Meirieu a imaginé qu'ils sont tous rassemblés pour une cérémonie du souvenir comme celle qui a eu lieu après l'incendie du tunnel du Mont Blanc. Chacun son tour prend le micro et raconte, pas seulement l'accident, bien sûr, mais la vie, leurs souvenirs, les autres tragédies qui les habitent, les revanches, les culpabilités, les souffrances.
Mais, l'adaptation tire vers le mélo, faisant perdre la profondeur et la richesse du livre, la complexité des personnages. Si les accompagnement au piano de Raphael Chambouvet sont toujours justes et bienvenus, les bruitages semblent inutilement illustratifs. Quant aux chansons, on ne sait pas trop ce qu'elles viennent faire. Une pause peut-être.
Les spectateurs qui n'auront pas lu le livre seront sans doute émus par l'histoire et les excellentes interprétions de Catherine Hiégel (Dolores Driscoll) et de Judtih Chemla (Nicole Burell) qui, en outre, le temps d'une chanson, fait preuve d'un vrai travail de voix, forte, juste, bouleversante.
Un seul comédien sur scène, Rodolphe Dana (collectif Les Possédés, des habitués du théâtre de la Bastille), fait vivre les différents personnages de Loin d'eux. Luc, celui qui est parti, sa mère Marthe, son père Jean, Gilbert, son oncle, le frère de Jean, Geneviève sa tante, et Céline sa cousine (mise un peu de côté pour cette adaptation, même si c'est une figure centrale du roman, peut-être parce qu'il est plus simple pour le comédien de jouer les personnages masculins).
L'histoire, cela dit, est banale à pleurer comme dit la chanson. Luc est parti "loin d'eux", sa mère trop discrète, son père trop bourru, trop taiseux, loin de cette petite ville sans intérêt, lui qui se sentait différent, qui aimait tant le cinéma, qui n'en pouvait plus. La famille, la petite ville où on étouffe, le silence, le malaise, la mort...
On n'est pas loin de Lagarce, de Derniers Remords avant l'oubli ou de Pays lointain, que Les Possédés ont joué. La langue aussi est assez proche avec ses essoufflements, ses ruptures, ses phrases qui ne se terminent pas, comme celle que Luc a griffonnée sur un post-it avec son bic qui n'avait presque plus d'encre avant de se "donner" la mort. Luc donc, mort et enterré même, dont on entend encore la voix, là, sur scène.
Pas le moindre élément de décor sur le plateau noir, juste des jeux de lumière et une chaise pour passer d'un personnage à un autre sans que la voix change, à peine l'attitude, juste un geste de main, un déplacement, un projecteur. Pour dire bien sûr ce qui ne se dit pas ou mal, l'amour , surtout, cet amour familial qui pèse si lourd, le malaise de celui qui met si longtemps à partir et qui ne trouvera rien au bout du chemin.
Tout dépend donc du texte et du comédien. Pas de fioritures, pas de distraction, pas de pause. Si comme moi, on trouve l'un et l'autre formidable, on en sortira bouleversé, mais heureux comme toujours au théâtre quand on a senti passer quelque chose de simple et de beau.
Photos: Anne Baugé.
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