
Olivier Werner travaille sur une "trilogie de L'Enfermement" dont La Pensée est le deuxième volet.
L'enfermé ici est le docteur Igniatievitch Kerjentsev, interné dans une cellule d'un hôpital psychiatrique. Une boîte rectagulaire au plafond bas, aux murs blancs, au sol grillagé, baignant dans la lumière forte de tubes de néons. Une porte au fond sans poignée de l'intérieur.
Lorsque le public s'installe, le docteur marche de long en long (jamais en large) au fond de la pièce, absorbé dans ses pensées. Il répète sans doute pour lui-même la plaidoirie de 8 feuillets qu'il va adresser, non à des juges, mais à une commission d'experts médicaux, des confrères en quelque sorte, qui doit décider de son sort: asile ou prison. Sain d'esprit ou fou.
Il est accusé d'avoir assassiné son meilleur ami, un "écrivain", sans grande envergure. Il ne nie pas les faits, bien au contraire. Il veut simplement prouver que cet assassinat est l'acte d'un homme parfaitement sain d'esprit qui veut aller en prison pour y étudier les hommes, la part d'ombre et la part lumineuse des hommes.
D'ailleurs, c'est un homme tout à fait normal qui parle. Tranquille, persuasif. Il décrit les faits, s'agace quand une erreur a été commise pendant l'instruction et rectifie, il donne tous les détails et toutes les explications à son geste. Mais le personnage principal ce n'est pas lui, mais sa pensée.
Et cette pensée qu'il déploie tout au long de ce monologue, est logique, brillante, implacable. Sauf que c'est la logique d'un fou, d'un génie et d'un fou. Et que peu à peu, plus il raconte, plus il explique, plus on plonge avec lui dans la folie, dans les ténèbres, dans l'ombre.
Le travail d'Olivier Werner (qui a conçu, retraduit et adpaté le texte) est fascinant. Parfaitement dirigé par Urszula Mikos, la voix et le corps du comédien, subissent peu à peu une transformation, l'oeil rougit, se ferme à moitié , le regard perd de son acuité, le corps se convulsionne, la voix calme du début prend des accents de rage, et lorsque peu à peu, les néons s'éteignent et que l'ombre envahit le plateau, la pensée déformée par elle-même est entrée en phase terminale, celle dont on ne revient pas.
C'est l'occaion de redécouvrir Léonid Andreïev (1871-1919) dont l'oeuvre est republiée par José Corti. Ancien avocat devenu chroniqueur judiciare et écrivain, il a eu son heure de gloire, puis a été oublié. En France, il avait été redécouvert par Laurent Terzieff qui avait interprété La Pensée en 1962 au Théâtre de Lutèce.
La Pensée se joue jusqu'au 15 février puis on retrouvera Olivier Werner (qui avait été un inoubliable Gaspard Hauser dans la pièce de Hadke mise en scène par Richard Brunel) dans Phèdre, mise enscène de Christopher Rauck.
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Photo: Julia Seguin
La vidéo est une présentation, elle n'est pas tirée du spectacle.