Dans sa présentation des Trois Ages de Marguerite Duras, le metteur en scène Didier Bezace dit en parlant des grands écrivains, "leur notoriété et leur omniprésence dans le champ médiatique sont suivies après leur disparition sinon d'oubli, de silence, d'une sorte de mise en veille (...) , on ne les entend plus et on parle moins d'eux, sauf aux commémorations."
J'ai un sentiment presque inverse, l'impression que quand elle était là, ses propos, ses attitudes, ses prises de position, occultaient son oeuvre. Et qu'on est beaucoup plus à l'aise aujourd'hui pour admirer et aimer cette oeuvre beaucoup plus vaste, beaucoup plus subtile, plus profonde, plus juste, plus intime que ce que certains ont pu en penser.
Il y a déjà bien longtemps que je suis "tombée dedans". Mon exemplaire 10/18 de Moderato Cantabile date de 1963 et je n'ose plus l'ouvrir tant il a l'air biodégradable. J'ai peur que les feuilles s'envolent. Pourtant, les quelques critiques qui complètent le livre valent leur pesant de châtaignes.
Les "Trois Ages" que l'on peut voir au Théâtre de l'Atelier, ce sont trois duos où sous la même robe où presque, on retrouve trois femmes, une petite fille qui discute avec François Mitterrand (Marguerite et le Président), une bonne à tout faire plus tout à fait mais encore jeune (Le Square) et une comédienne âgée dont la mémoiire s'efface (Savannah Bay).Trois personnages de femmes qui ressemblent toujours un peu à leur auteur.
Didier Bezace avait déjà mis en scène les deux premières pièces, il y a quelque temps...mais il les a réinventées, recréées, tout en ayant demandé à Clotilde Mollet de reprendre son rôle dans Le Square et à Jean-Marie Galley de reprendre le sien dans Marguerite et le Président.
Pour les raisons évoquées plus haut, je suis restée assez distante de la première de ces trois pièces. Je m'en souviens trop bien de ces entretiens. Mais de plus jeunes pourront sans doute y rencontrer une Marguerite Duras inconnue d'eux. Et puisqu'on a la possibilité de voir les trois pièces en une seule après-midi, il serait dommage de ne pas se laisser tenter.
Avec Le Square, on entre en douceur dans cet univers mélancolique, cocasse, tendre et un peu tragique. Une femme assise dans un square où elle amène chaque jour le petit garçon dont elle s'occupe et pour qui elle n'est pas vraiment une personne, rêve. Arrive un homme, pas trop fringant, un voyageur de commerce et sa valise. Lui ne rêve pas. Du moins le laisse-t-il croire. Et cette rencontre si simple, si banale, est magnifique. Bien sûr, on ne parle pas comme ça dans la vraie vie et pourtant, c'est si vrai, si juste. Clotilde Mollet est étonnante, chacune de ses répliques sonne de manière subtilement inattendue, on devine sous sa pudeur, sa confiance, sa résignation, une vraie envie de vivre, de trouver enfin l'homme qui l'épousera et la sortira de son ordinaire de vie. Didier Bezace, en face d'elle, abandonne cette élégance qu'il ne retrouve que pour venir saluer, au profit d'un homme gauche, emprunté, malheureux, abattu, fatigué, et tout aussi attachant..
Puis, bien sûr, Savannah Bay, Emmanuelle Riva. Que dire? La fascination que l'on ressent pour sa beauté, sa façon de se tenir, de se mouvoir et de parler et le ravissement que l'on éprouve à avoir la chance d'être là et qu'elle soit là, si près, si lointaine. Anne Consigny autoritaire et tendre face à cette femme, sa grand-mère dont elle attend tant de réponses, est tout simplement parfaite.
On aurait presque envie de dire simplement , merci.
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