
Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? C'est vachement bien! Et L'Etoile du Nord, ce n'est pas le bout du monde (et de toutes façons, il faudrait s'entendre sur cette notion abscons de bout du monde).
Le metteur en scène Jacques David qui avait déjà proposé sa vision du 20 novembre de Lars Noren, dans ce même théâtre à l'automne, dans le cadre d'un cycle intitulé "variations intimes" met en scène deux pièces de Philippe Minyana, Anne-Marie (éd. Tapuscrit 96) et La Petite dans la forêt profonde (L'Arche éditeur).
Anne-Marie , c'est une guerre, entre une fille plus très jeune, petite bourgeoise étriquée, tailleur bleu ciel, sac à main, collier de perles, et sa mère, Anne-Marie, que l'on ne voit jamais. On est en Franche-Comté, en 1972 comme le rappellent de temps en temps des publicités de l'époque (purée Mousseline, gaine Scandale, Jean-Mineur...). Un jour, Annie, la fille a dit à la vieille "toi dans ta turne et basta". La mère tourne à petits pas et soupire. Parfois, elle se "casse la binette". Ce qui se passe dans la bicoque, on le sait par deux "Regardeurs", deux voisins sans doute, qui épient et commentent. Annie, la fille, apparaît à la fenêtre cadrée comme une speakerine, ou sur le seuil de sa porte. Elle évoque ces "débordements d'amour" qui lui ont toujours manqué, le manque d'argent qui ne permet pas de déménager, cette cohabitation forcée.

Et les voisins sont là , aux premières loges, comme au spectacle (ils sont d'ailleurs assis sur des fauteuils de théâtre, au bord du plateau), comme au cirque. Ils rient, commentent, s'enhardissent parfois jusqu'à regarder par la fenêtre voire même à entrer. Ils attendent le fait-divers plus que la tragédie inévitable.
C'est affreusement triste et drôle à la fois.
La mise en scène et la scénographie jouent sur ces deux registres, la façade blême de la maison, le jeu comique des regardeurs (Alain Carbonnel et Kévin Lelannier) qui ont un peu peur de se faire piquer, le désespoir ambigu d'Anne-Marie, merveilleusement incarnée par Dominique Jacquet, tantôt folledingue, tantôt épuisée.
Teaser de ANNE-MARIE from Kosellek Romain on Vimeo.

Avec La petite....ça change! Changement de décor, d'abord, les spectateurs sont invités à laisser leurs affaires dans la salle et à rejoindre le plateau le long d'un petit couloir sombre éclairé à la bougie. On passe de l'autre côté du rideau et on nous offre un verre avant de s’asseoir autour de petites tables comme dans un club de jazz ou un cabaret. Des bougies partout.
Cela pourrait être romantique, doux, chaleureux. D'ailleurs cela commence un peu comme une veillée, de celles où l'on raconte et l'on écoute des histoires. Le comédien passe de table en table et souffle une à une les bougies, n'en gardant que quelques unes d'allumées près du fauteuil où il s'installe, tout près de ses auditeurs.

En quelques minutes, le confort laisse place à l'inconfort, au malaise, à l'horreur de cette vieille histoire inspirée des Métamorphoses d'Ovide ( Philomèle et Procné). Pour ceux qui la connaissent déjà pour avoir vu la mise en scène de Martial di Fongo Bo au T2G à Gennevilliers ou au studio de la Comédie-Française, en 2008, avec Catherine Hiégel , Benjamin Jungers et Raoul Fernandez, le résultat est tout autre.
Michel Quidu fait vibrer le texte. Il laisse transparaître la douleur, la compassion que le narrateur éprouve pour la petite victime avant que se mette en route l'atroce vengeance des deux soeurs. Les silences pèsent longuement, laissant le temps au spectateur de se pénétrer d’effroi. La compassion, bien sûr, s'efface peu à peu, laissant place à la violence déchaînée, inouie, insupportable... jusqu'à l'ironie poétique des dernières phrases. Et même si le conte remonte aux Anciens qui n'y allaient pas avec le dos de la cuiller, l'écriture de Minyana, ses souffles, ses ruptures, ses rythmes brisés, appellent des images plus récentes d’enfants suppliciés. Corruption de l'innocence. Cris de vengeance . Brutalité des familles. Brutalités des guerres. Ce n'est pas dit, mais l'air suspendu en est empreint.
Photos Pierre Grosbois.