Le plus navrant de ces attaques venues d'un groupuscule de tristes imbéciles qui tentent chaque soir depuis le 20 octobre d'interrompre et de perturber les représentations de Sur le concept du visage de Dieu de Roméo Castellucci au théâtre de la ville à Paris, dans le cadre du Festival d'Automne, c'est que tout laisse à croire qu'ils n'ont pas vu la pièce et ont fantasmé je ne sais quelle hérésie ou tout simplement saisi l'occasion d’organiser un battage médiatique.
Voilà ce qu'ils en disent sur l'email envoyé à la presse à la veille de la première représentation parisienne, le 19 octobre:
"Sous un gigantesque portrait du Christ, un vieillard nu se fait torcher les fesses avant que des enfants montent sur scène pour caillasser ce portrait du Christ.
Ce visage de Jésus-Christ est par la suite déformé, entaillé, sali, souillé avant que n'apparaisse le mot de la fin : "You are not my shepherd" ("Tu n'es pas mon berger")." Pas un mot de plus!
Ce résumé de ce qui a dû être lu et déduit des différentes critiques publiées lors du festival d'Avignon est tellement loin de ce qui a été vu justement par les spectateurs et les critiques que parler de mauvaise foi s'impose.
Ils ont des yeux et ils ne voient pas
Le spectacle de Roberto Castellucci est avant tout profondément humain, émouvant et poignant. Un homme, costard de cadre sup, portable à l'oreille, vient s'occuper de son vieux père. Le vieillard a une attaque violente de dysenterie et le fils avec tendresse et une patience admirable, le lave, le console, l'aide à mettre une nouvelle protection avec une habileté qui laisse penser que ce sont des gestes dont il a l'habitude. Pendant un court moment, il va s'énerver et disputer le vieil homme qui pleure avant de s'excuser et de reprendre encore une fois son travail de Sisyphe. Par trois fois. Le fils désespère, s'épuise, ne sait plus quoi faire, le père ne peut plus que gémir, désolé. Mais l'amour et la compassion du fils reprennent le dessus.
Cela a lieu devant un immense et magnifique portrait du Christ, le Salvator Mundi d'Antonello de Messine (XVe siècle), le regard distant, lointain au-dessus de cette petite scène si violente et si terrible, mais qui est aussi sans doute le quotidien de milliers d'hommes et de femmes aujourd'hui qui s'occupent de leurs parents comme eux se sont occupés d'eux enfants, avec cette différence que de la merde de vieillard, ce n'est pas de la merde de bébé, que la déchéance physique et mentale des parents est insupportable et qu'ils se sentent abandonnés des institutions et parfois ou souvent des autres membres de la famille.

Et oui, Roméo Catsellucci en use et en abuse de cette merde dont l'odeur se répand sur les spectateurs et qui coule à flots, comme la vie qui s'en va. C'est choquant, c'est perturbant, bien sûr. Mais cette violence faite aux hommes de bonne volonté aussi.
A Avignon, des enfants venaient jeter des grenades-jouets sur le visage du Christ. Il semblerait qu'il n'y ait plus d'enfants, à Paris. Dommage. Quoiqu'il en soit, le visage sur la peinture reste impassible, inviolable.
Puis il se déchire de l'intérieur, se liquéfie en rouge et noir et brun, se perce comme d'un coup de lance au flanc et laisse apparaître ces quelques mots : You are (not) my shepherd, tu n'es pas mon berger.
Anti-chrétien ou trop chrétien?
En complément: le communiqué de roméo castellucci, ici
et celui du syndicat de la critique: Le syndicat de la critique dramatique condamne fermement les agissements violents de groupuscules extrémistes qui tentent depuis le jeudi 20 octobre de perturber par tous les moyens les représentations de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci et apporte tout son soutien à Romeo Castellucci ainsi qu’à Emmanuel Demarcy-Mota et toute l’équipe du Théâtre de la Ville.
Ces extrémistes se revendiquent de Civitas, association qui œuvre à « la reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France ». Leurs méthodes, leurs propos injurieux à l’égard des artistes et de la liberté de création, aussi minoritaires soient-ils, témoignent d’un climat nauséabond. Après Castellucci, ne prétendent-ils pas s’opposer également aux représentations de « Golgota picnic » de Rodrigo Garcia ? Les autorités ne peuvent rester sourdes devant de tels procédés. Nous appelons les citoyens, les spectateurs à se rendre au spectacle pour marquer leur solidarité avec les artistes et le théâtre.
voir aussi sur rue89, ici
Le Point ici (avec explications sur l'origine des "manifestants")
Première ici
Le Figaro ici (nettement moins enthousiaste en ce qui concerne le spectacle et !e directeur du théâtre de la ville qui est aussi le directeur du Festival d'Automne)
Le Monde ici (blog droites extrêmes)
et ce qui a été écrit pendant le festival d'Avignon:
Telerama ici
La Croix ici
Le Monde ici (pour les abonnés)
toute la culture.com ici
+ le blog du Tadorne mentionné hier.

http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Sul-concetto-di-volto-nel-Figlio-di-Dio/extraits/