On peut donc aller voir deux fois Oncle Vania, en ce moment, autour de Paris, les deux dans la même traduction d' André Markowicz et de Françoise Morvan (éd. Actes sud, "Babel"), l'un , aux Amandiers, est mis en scène par Alain Françon, l'autre au Théâtre-Studio par Christian Benedetti.
Les dossiers de présentation sont passionnants, donc voir ici (Amandiers) et ici (Théâtre-Studio)
Pas question de les comparer, mais quelques pistes de réflexion s'imposent d'elles-mêmes. Dans les deux versions, par exemple, le personnage, le plus fort, le plus intéressant, le plus séduisant est Mikhaïl Lvovitch Astrov, le médecin. Peut-être parce que le personnage nous semble plus proche de nous, plus contemporain que les autres. C'est sans doute autant un effet de la traduction que des deux mises en scène: désabusé, dégoûté de son métier, des autres et de lui-même...et écologiste, on avait un peu pris l'habitude de voir en lui un personnage plus intériorisé, monologuant pour lui-même, là, il est plus costaud, plus conséquent, plus actif, surtout chez Benedetti (qui interprète lui-même le rôle). Bien sûr, Ivan Petrovitch Voïnitskaia (Oncle Vania) est lui aussi désabusé, dégoûté , fatigué d'avoir trop travaillé , ils se ressemblent, mais on comprend pourquoi alors qu'ils sont amoureux de la même femme, elle se laisse attirer par Astrov, il y a plus de vie en lui. D'autant plus à Nanterre parce que Vania y apparaît presque dostoïevskien (?), un peu lâche, un peu bouffon, sans élégance, ce qui peut dérouter.
C'est un peu la même chose pour Sonia, la voilà fille d'action, "battante", forte, volontaire, extrêmement présente et qui lorsqu'elle est obligée d'accepter son destin, le fait en empoignant son courage des deux mains. Il y a eu d'autres Sonia, plus petites souris, plus attendries par Vania. Cette fois, les deux le secouent avec impatience, voire même avec rage. Et elle bouillonne de colère quand certains ou plutôt certaines avouent s'ennuyer alors qu'il y a tant à faire.
Oncle Vania - Scènes de vie à la campagne -... par Nanterre-Amandiers
On n'ose conseiller de voir les deux ce qui serait pourtant le plus raisonnable. J'ai été un (tout petit) peu déçue par la mise en scène d’Alain Françon dont La Cerisaie donnée à La Colline reste pour moi incomparable. Les lumières sont splendides, les décors simples et beaux, les costumes parfaits, et si certains acteurs sont un peu en-dessous des autres, tout est si maîtrisé que cela passe presque inaperçu.
Mais il s'en dégage une certaine froideur. C'est beau, c'est triste, mais détaché.
Alain Françon parle d'Oncle Vania par epikepoc

A Alfortville, changement total! D'abord le plateau est bien plus petit et par conséquent si les moyens sont moindres, la proximité avec les spectateurs est plus grande, d'autant que la salle reste éclairée presque tout le temps. Et on est pris à la gorge dès les premières minutes, les premières secondes, Christian Benedetti ayant imposé à ses acteurs un débit effréné qui laisse pantois. Cette rapidité du texte précipite forcément vers l'abîme, le désespoir. En contre-point, les comédiens restent parfois silencieux entre deux phrases quelques longues secondes, immobiles, figés. Cette rapidité communique au spectateur une tension, une intensité, une vibration immenses. La pièce dure une heure et demie (deux heures à Nanterre) et conduit au pas de charge à l'explosion suivie de ce retour à l'ordre quotidien (on pourra enfin manger à des horaires convenables), à l'ennui, au travail, au manque d'amour . Il ne s'est rien passé et c'est infiniment poignant.
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