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Billet de blog 29 mai 2012

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Des arbres à abattre au Théâtre de la Colline

De l'intelligence, une intelligence exaspérée, pour un des spectacles les plus épatants de cette fin de saison. Intelligence du texte, bien sûr, celui du roman de Thomas Bernhard, adapté par Claude Duparfait et Célie Pauthe.

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De l'intelligence, une intelligence exaspérée, pour un des spectacles les plus épatants de cette fin de saison. Intelligence du texte, bien sûr, celui du roman de Thomas Bernhard, adapté par Claude Duparfait et Célie Pauthe. Intelligence de la mise en scène et de l'adaptation (difficile de séparer les deux). Intelligence aussi d'une équipe exceptionnelle de comédiens. Il importe de signaler immédiatement qu'on rit beaucoup et souvent.

Pendant la moitié de la pièce (environ une heure),seul en scène,  le narrateur (Claude Duparfait), écrivain quinquagénaire, revenu de de tout y compris  de lui-même soliloque  assis, recroquevillé, bougeant à peine, dans "un fauteuil à oreilles ", juste éclairé.

Il a accepté  d'assister à "un  dîner artistique" donné par d'anciens amis de jeunesse, le couple Auersberger. Il s'en veut. Il est prodigieusement irrité de renouer avec des gens pour qui il éprouve un immense dégoût condescendant. Ce dégoût qu'il porte non seulement à ses anciens amis perdus de vue depuis des années, mais aussi à la ville de Vienne où il est revenu vivre, là encore presque malgré lui.

Ce monologue sans temps mort est fascinant. Il met en place les différents personnages, l'auteur, les Auersberger, lui musicien et compositeur dans la lignée de Webern, elle chanteuse  préférant Purcell, la romancière Jeannie Billroth, sorte de Virginia Woolf autrichienne, l'invité d'honneur, un comédien du Burg Théater qui nage dans l'autosatisfaction et une absente, la Joana, artiste méconnue,  dont on vient d'apprendre le suicide, par pendaison.

Le ton désespéré, agacé, mais aussi tragi-comique, permet de faire vivre avant même leur entrée en scène ces "bobos" passés depuis les années 1960 de vagues espoirs de réussite à une satisfaction grotesque  à l'aube de leur cinquantaine vaguement ratée. L'auteur les assassine l'un après l'autre de remarques mordantes, de considérations cyniques, de constatations presque épouvantées devant tant de médiocrité. 

Puis la scène s'illumine, le piano resté dans l'ombre vient au centre, les invités s'installent, les verres s'emplissent,   une pâtisserie viennoise est servie, le dîner mondain et artistique commence. 

Le narrateur tantôt si volubile se tait, il observe, participe à peine à la conversation, quitte un peu son fauteuil à oreilles, son refuge. A son tour aussi de se faire critiquer par les "amis" des années de jeunesse, mais il ne réagit pas.

 Le vieux comédien (Fred Ulysse)  pérore, pathétique et ridicule, se fait prendre à partie par la romancière (Annie Mercier),  Auersberger (François Loriquet) de plus en plus alcoolisé, se met au piano, son épouse (Hélène Schwaller)  chantonne, ils confirment tous par leurs attitudes et leurs discours ce que la première partie avait laissé entrevoir. On est bien loin du Bloomsbury...

Et vient s'intercaler au milieu de ces bavardages cruels, blessants, stupides, hypocrites, mesquins, inutiles, absurdes, prétentieux, banals, comme un morceau de rêve, un instant de beauté, cette beauté que seule la Joana savait entrevoir, sur la musique du Boléro de Ravel qu'elle aimait tant (la stupidité décrite par l'auteur rejoint alors quelques spectatrices et spectateurs qui pensant sans doute que de la musique plus de la vidéo, égale publicité , se mettent à discuter  à haute voix. NDLR).

Une belle réussite donc, un exploit même, qui laisse une saveur un peu spéciale, celle d'avoir vu et entendu de l'intelligence comme un des beaux-arts.

 Photos: Elisabeth Carecchio

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