
Depuis 2010, le metteur en scène, Thibault Rossigneux et sa compagnie Les Sens des mots, présentent chaque année pendant le festival d'Avignon, Binôme. Il s'agit à chaque fois de proposer à un auteur dramatique de rencontrer pendant un temps limité un scientifique qui lui parle de son travail. Puis l'auteur écrit son texte et enfin, a lieu la présentation au public par les artistes de la compagnie. (Plus d'infos ici)
Pas étnnant donc que Thibault Rossigneux ait eu envie de porter à la scène le texte de Stéphanie Marchais, Corps Etrangers.
La poésie et l'étrangeté du texte rappellent les contes cruels de Barbey d'Aurevilly ou les histoires de son ami Edgar Poe, ou encore L'Etrange histoire du Docteur Jekyll et de Mister Hyde de R.L. Stevenson, ou même le Tour d'Ecrou d'Henry James...

Voilà, histoire de situer l'ambiance car la mise en scène de Thibault Rossigneux nous plonge dans cette atmosphère oppressante quoique parfois humoristique de ces grands textes du XIXe siècle même si le thèmes abordés sont eux parfaitement contemporains: la singularité de certains d'entre nous, la différence des unes ou des autres, la cruauté du monde, l'expérimentation médicale, et la folie...
L'étranger, c'est O'Well, un géant bossu à force de se courber, qui s'est depuis longtemps accoutumé à la solitude que cette différence a provoqué. Sa seule consolation, c'est sa fille, morte à l'âge de 10 ans et à qui il rend visite souvent, au cimétière pour parler avec elle....mais depuis quelque trente années O'Well se sent suivi dès qu'il sort de chez lui.
Il n'a pas tort. Celui qui ne le perd jamais de vue, pas même à l'église, c'est un médecin anatomiste, Hunter, obnubilé par ce grand corps et le squelette qui le soutient. Hunter, déjà célèbre pour ses découvertes, pratique des dissections publiques qui fascinent les gens et pouvoir enfin autopsier le géant est devenu pour lui, une obsession. En attendant, Hunter, façon Jack L'Eventreur, recherche auprès de prostituées (figurées ici par un robot humanoïde) d'autres sujets d'examens post-mortem
Mais le géant ne meurt pas. Hunter charge alors en lui donnant des sommes considérables d'argent, le voisin de O'Well, un herboriste cupide de le tuer. Mais O'Well résiste, longtemps. Il fait même la connaissance de la petite fille de Hunter, qui a dix ans, comme la petite qu'il a perdu et qui effrayée le prend pour un ogre...
Le plateau couvert de terre dont l'odeur prenante envahi la salle dès l'entrée est divisé par les lumières en petits espaces, la boutique, l'Eglise, le cabinet médical, l'antre du géant, le cimétière, souvent à peine suggérés, une balançoire, un prie-Dieu, un carré de terre, un muret, des fumigènes, et l'apparition brusque d' herbes étranges qui tombent du plafond...Tout au long du spectacle, musique et sons évoquent douceur, violence, tristesse, résignation....
Toutes les infos ici
Photos: Antonia Bozzi
et la bande annonce: