
Le Grand Prêtre Emmanuel et ses disciples communient dans le culte de Sainte Innovation, qui est au macronisme ce que celui de la Vierge Marie est au catholicisme : son hyperdulie (même si les cultes rendus à Sainte Exonération-des-Charges et Sainte Baisse-des-Impôts sont aussi très importants) . Si la France est paraît-il « la fille aînée de l’Église », la « start-up nation » est assurément la fille aînée du culte de Sainte Innovation.
Bien avant d’en devenir le Grand Prêtre en France, frère Emmanuel en fut un pratiquant assidu. En décembre 2007, celui qui venait d’être nommé rapporteur de la commission Attali publiait dans la revue Esprit un article dans lequel il s’inquiétait de la « dégradation de la capacité d’innovation » de la France. Il l’attribuait notamment à « la faiblesse de la recherche privée » et à « l’organisation atypique de la recherche française et de son mode de financement ». L’augmentation des crédits publics pour la recherche constituant à ses yeux « une solution de facilité », il préconisait de « mieux inciter la recherche privée, de développer les liens public-privé » et de « redonner de la souplesse à l’organisation et au financement de la recherche publique » (*). Si Jésus a chassé les marchands du Temple, frère Emmanuel entendait bien leur accorder une place de choix dans celui qu'il allait dédier à Sainte Innovation.
L’œuvre de Sainte Innovation est enseignée dans les séminaires les plus prestigieux, où sont formés les membres les plus éminents de son clergé et dont le Grand Prêtre Emmanuel est lui-même issu. Sa vénération s’accompagne d’offrandes qui ont pour petits noms Crédit d’Impôt Recherche, Suppression de l’ISF et Prélèvement Forfaitaire Unique. Les niches fiscales constituent son denier du culte auquel les fidèles des ghettos de l'ouest parisien contribuent avec générosité. VivaTech est l’appellation de la grand-messe qui réunit en France les prêtres des principales paroisses et la French Tech est une congrégation qui participe chaque année à l’un des plus grands pèlerinages dans le monde à Las Vegas. Tous les ans, le Grand Prêtre Emmanuel invite également en son palais ses illustres coreligionnaires de la Silicon Valley. Au passage, remarquons que si l’Ave Maria se récitait autrefois en latin, c’est le globish qui est le sabir utilisé dans cette nouvelle liturgie.
Dans ses prières adressées à Sainte Innovation, le Grand Prêtre Emmanuel fait souvent référence au « changement » et à la « transformation », à la « rupture » voire à la « révolution », à « l’adaptation » et à la « transition » qui requièrent invariablement une « accélération » pour aller « plus vite, plus fort et plus loin ». Il n’est pas une prière qui ne mentionne aussi le « numérique », à l'origine de la « dématérialisation » qui est à Sainte Innovation ce que l’Immaculée Conception est à la Vierge Marie.
Bien entendu, il ne manque pas de mécréants pour dénoncer ce culte des temps modernes. Certains insinuent que Sainte Innovation s'attache surtout à résoudre par de nouveaux miracles les problèmes, voire les catastrophes, qu'elle a créés avec les précédents. D'autres prétendent que les miracles qu’elle accomplit depuis quelque temps ne sont plus ce qu’ils étaient. Que l’invention de la machine à vapeur était plus conséquente que celle du metaverse. Que celle du chemin de fer était plus utile que la création d’Uber, si chère au Grand Prêtre. Que l’invention de l’électricité était d’une autre importance que celle des « cartes Panini » virtuelles. Que le passage des signaux de fumée au téléphone était plus marquant que celui de la 4G à la 5G. Et que, de nos jours, Sainte Innovation fait bien plus de miracles dans l’optimisation fiscale que dans l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre.
Mais ces adeptes du modèle Amish et autres nostalgiques de la lampe à huile ne sauraient ébranler la foi du Grand Prêtre Emmanuel et de ses disciples. Car, si pendant des siècles, c’est pour le salut de l’âme qu’étaient récités les Ave Maria, le culte de Sainte Innovation obéit à des considérations plus prosaïques : le salut des dividendes.
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(*) Dans cet article qui date d’il y a 15 ans, la politique qui sera mise en œuvre par Emmanuel Macron à partir de 2017 dans l’enseignement supérieur et la recherche est annoncée : organisation de la recherche publique en mode « projet », autonomie des universités dans le recrutement des enseignants et le libre choix de leurs étudiants, évaluation des universités selon « l’employabilité » des étudiants qu’elle forme.