Pas un article dans la presse française consacré à Israël où il ne soit question de « Tsahal ». Nommer quelqu’un par son petit nom plutôt que par son titre dénote une certaine proximité avec la personne en question, voire de la sympathie ou de l’affection à son égard. Il en va de même quand les médias parlent de « Tsahal » plutôt que d’« Armée de Défense d'Israël » (dont Tsahal est l’acronyme hébreu). « Tsahal » pour désigner une armée d’occupation, la langue qui poétise…
On parle de « l’État juif » et non de l’État d’Israël, reprenant ainsi les termes de la Loi Fondamentale adoptée le 19 juillet 2018 : « L’État d’Israël est le foyer national du peuple juif, dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination. » Dès lors, si vous critiquez « l’État juif », c’est que vous êtes antisémite, un peu, beaucoup, voire passionnément. Au mieux, on vous fera observer avec condescendance que vous n’en êtes sans doute pas conscient, aveuglé que vous êtes par vos préjugés ou votre idéologie.
Israël étant un « État juif », il ne peut commettre un génocide car comment les descendants des victimes de la Shoah pourraient-ils commettre un tel crime ? Le ministre des Affaires Étrangères Stéphane Séjourné a ainsi déclaré le 17 janvier 2024 : « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral. » Parce que c’est l’« État juif », Israël est par essence innocent, quoiqu’il fasse. La langue qui pense à votre place...
Israël est aussi une « démocratie » et même « la seule démocratie de la région » et dans une démocratie, tous les citoyens sont égaux devant la loi (ou du moins sont censés l’être). Or ce n’est pas le cas en Israël et ne l’a jamais été, ni pour les Palestiniens israéliens résidant à l’intérieur des frontières de 1948 jusqu’en 1967, ni pour ceux qui vivent dans les territoires occupés depuis 1967. Mais puisque c’est une « démocratie », il est exclu de parler de politique d’apartheid car c'est évidemment antinomique. Et pourtant, c’est Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien, qui affirmait en 2017 : « Israël est sur une pente glissante où la poursuite de l'occupation des territoires palestiniens mène vers une situation d'apartheid. » Et d’ajouter que si la colonisation se poursuivait, Israël deviendrait « inévitablement soit non juive, soit non démocratique ». Ehud Barak serait à coup sûr taxé d’antisémitisme sur les plateaux des chaines d’info françaises...
Depuis le 7 octobre 2023, les morts israéliens ont un nom et un visage ; ils avaient une histoire, des projets et des rêves. D’innombrables articles leur ont été consacrés. Les morts palestiniens, eux, ne sont que des statistiques que les médias égrènent et s’empressent aussitôt de discréditer en rappelant systématiquement que ce sont les chiffres du « ministère de la Santé dirigé par le Hamas » et qu’ils sont donc « invérifiables ». Étonnamment, vous ne lirez ou n’entendrez jamais que les chiffres donnés par Israël sont ceux du gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou.
Tandis que les Israéliens furent « massacrés » par des terroristes, les Palestiniens ne font que « mourir », sans qu’on sache trop comment ni pourquoi. C’est la faute à pas de chance, ce sont des « victimes collatérales ». Que voulez-vous, dans « la guerre contre le terrorisme », on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Et puis, contrairement aux Ukrainiens, les Palestiniens « ne nous ressemblent pas, ils n’ont pas la même voiture que nous ».
Lors de la trêve de fin novembre 2023, des « otages » israéliens ont été échangés contre des « prisonniers » palestiniens. Un otage suscite l’empathie, un prisonnier a priori moins puisqu’il est censé avoir commis un délit ou un crime. On se gardera bien de préciser que ces « prisonniers » ont été pour la plupart détenus arbitrairement pendant des mois voire des années, sans jugement, parfois torturés. « Otages » d'un côté et « prisonniers » de l'autre, la langue qui pense à votre place...
Parmi ces otages israéliens, il y avait des « enfants » voire des « bébés ». Parmi les prisonniers palestiniens, il y avait seulement des « moins de 18 ans », par définition des délinquants voire des criminels car emprisonnés dans une « démocratie ». Devinez où l’on voudrait voir aller votre sympathie. Et puis, tous les enfants ne se valent pas comme l'expliquait Caroline Fourest dans ces propos ignobles tenus le 29 octobre 2023.
Depuis le 7 octobre 2023, la quasi-totalité des médias nous parlent de la « guerre Israël - Hamas ». Le Hamas étant une « organisation terroriste », la légitimité de la guerre menée par Israël ne souffre pas la moindre discussion, sauf à soutenir « les terroristes ». Quant aux enfants, aux femmes, aux personnes âgées, aux journalistes, aux médecins et infirmiers/infirmières tués, tous étaient des combattants du Hamas, sans l'ombre d'un doute. Parler de guerre Israël-Palestine conduirait à une toute autre vision du conflit. « Guerre Israël - Hamas », la langue qui pense à votre place...
Israël « se défend » car il a « le droit de se défendre » ; Israël « riposte » ; Israël mène une « contre-offensive » ; Israël se livre à des « représailles ». Mais Israël n’attaque jamais. Le bombardement du consulat iranien à Damas en violation de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 n’a pas suscité le moindre commentaire des pays occidentaux. Mais quand l’Iran a lancé des drones et des missiles vers Israël (après avoir averti tous les États de la région), les mêmes ont condamné « avec la plus grande fermeté » une « attaque sans précédent » de l’Iran et non une riposte ou des représailles après l'attaque de leur consulat.
Depuis sa création, Israël serait confronté en permanence à une « menace existentielle ». Or s’il est incontestable que les États arabes ont longtemps remis en cause l’existence même d’Israël, ce n’est plus le cas depuis la fin des années 70. A présent, ce seraient donc les roquettes du Hezbollah ou du Hamas qui feraient peser une « menace existentielle » sur un pays dont l’armée, dotée de l’arme nucléaire, est de très loin la plus puissante de la région et qui est soutenu inconditionnellement par la plus grande puissance militaire dans le monde. Mais lutter pour sa survie suscite évidemment plus de sympathie qu'une politique d’épuration ethnique. « Menace existentielle », la langue qui pense à votre place...
Si le titre de ce billet fait référence à celui de l’ouvrage de Victor Klemperer LTI, la langue du IIIe Reich, il se saurait être question ici d’établir une quelconque équivalence entre l’Allemagne nazie et Israël, encore moins entre la Shoah et la guerre menée par Israël contre le peuple palestinien. Mais les mécanismes mis à jour et analysés par Klemperer, qui sont ceux de la propagande, sont aussi à l’œuvre ici et c’est bien « la langue qui poétise et pense à notre place » qu’emploient la quasi-totalité des dirigeants (*) et les grands médias occidentaux à propos d’Israël et du conflit qui l’oppose aux Palestiniens, et ce depuis 1948 car l’histoire n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Klemperer ajoutait : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir. »
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(*) Pas tous et notamment pas de Gaulle dont il faut réécouter les propos tenus lors de sa conférence de presse du 21 novembre 1967 : « Israël organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme. »