Le 5 mars 2025, dans une « adresse aux Français », l’ancien élève de l’atelier de théâtre du lycée La Providence d’Amiens se voyait déjà jouer dans un avenir proche son rôle de prédilection, celui du chef de guerre : « La Russie est devenue, au moment où je vous parle, et pour les années à venir, une menace pour la France et pour l’Europe. » Les plus anciens d’entre nous se souviennent qu’en 1981, Michel Poniatowski, qui fut ministre de l’Intérieur du président Giscard d’Estaing, sonnait l’alarme pendant la campagne présidentielle : « Si la gauche l'emporte, on verra les chars soviétiques place de la Concorde ». Près d’un demi-siècle plus tard, M. Poutine occupe au Kremlin le fauteuil qui était celui de Brejnev, les chars sont russes et non plus soviétiques mais la place de la Concorde est toujours menacée.
L’heure est grave et le réarmement ne doit donc plus seulement être démographique mais militaire : « Compte tenu de l’évolution des menaces, de cette accélération que je viens de décrire, nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont désormais devenus indispensables. » Avant lui, en janvier 2025, M. Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, avait livré une analyse d’une grande finesse aux membres de l’Alliance Atlantique : soit augmenter les dépenses militaires soit « prendre des cours de russe ou aller en Nouvelle-Zélande ».
M. Macron a choisi : « J’ai demandé au gouvernement d’y travailler le plus vite possible. Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés. Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage. »
Du « courage », le petit personnel médiatique n’en manque pas. Dès le 22 janvier, Le Monde devançait l’appel à la mobilisation générale : « A Berlin et à Paris, on reconnaît tardivement qu’il va falloir augmenter les dépenses de défense (…) Les plus audacieux glissent au passage que cela impliquera des sacrifices budgétaires douloureux. (…) Le moment est venu de passer à la pratique et à l’indispensable pédagogie auprès des électeurs. » M. Macron peut compter sur le journal de révérence pour assurer le service après-vente des « sacrifices budgétaires douloureux » et faire de la « pédagogie ». Rappelons l’origine étymologique du mot pédagogie : il est dérivé du grec paidagôgia, « direction, éducation des enfants ».
La France doit donc augmenter ses dépenses de défense mais « sans que les impôts ne soient augmentés », assure M. Macron. Le « courage », ce sera donc pour les autres mais pas pour les plus riches qui pourront continuer de toucher leurs dividendes et de profiter de leurs plus-values, notamment celles des entreprises d’armement dont les cours de bourse ont explosé ces dernières semaines.
Mais alors, qui va payer ? M. Gilbert Cette, nommé par M. Macron à la présidence du Conseil d’Orientation des Retraites, a bien une idée (voir ici) : « L’entrée progressive (…) dans une économie de guerre, rendra secondaires sinon dérisoires les débats actuels sur l’âge d’ouverture des droits à la retraite à 64 ans. (…) «La question deviendra plutôt (…) comment augmenter rapidement cet âge au-delà des 64 ans décidés dans la loi de 2023…». Heureuse coïncidence, M. Pascal Martin, président du MEDEF, partage ce point de vue et nous invite à regarder vers le Danemark : « Le Danemark a décidé de reporter à 70 ans l'âge de départ à la retraite pour que l'économie finance l'effort de guerre ». Ah les Danois, chers à M. Macron, « ce peuple luthérien qui a vécu les transformations des dernières décennies n'est pas exactement le Gaulois réfractaire au changement » (voir ici).
Travailler plus pour combattre plus semble donc être devenu le nouveau mantra de la classe dirigeante. Mais d’autres « sacrifices douloureux » seront nécessaires. Le MEDEF et ses fondés de pouvoir dans les palais de la République entendent se saisir de cette opportunité pour achever le démantèlement de l’hôpital public, de l’éducation nationale, de la recherche et des services publics, déjà largement entamés. Le programme du Conseil National de la Résistance, né de la dernière guerre, doit être définitivement enterré pour préparer la prochaine.
« L’Europe sociale », cette fable chère aux sociaux-démocrates, et le « Pacte vert pour l’Europe » cher aux écologistes ne sont plus que de lointains souvenirs. Vive l’Europe de la défense entonnent désormais de concert la droite, les socialistes et les Verts dans l’Union Européenne. En France, si le PS et les Verts font mine de s’offusquer de la cure d’austérité qui s’annonce, il y a fort à parier qu’ils ne s’y opposeront pas au nom de la « responsabilité » face à la « menace russe ».
Pourtant, M. Poutine n’a nul besoin d’envahir la France pour y faire prévaloir ses vues : l’arrivée du RN au pouvoir y pourvoira à moindres frais. A cette fin il peut compter sur un allié qui y travaille d’arrache-pied depuis huit ans. Il s’appelle Emmanuel Macron.