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Billet de blog 14 septembre 2022

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Le gaz d’Azerbaïdjan sent-il moins mauvais que le gaz russe ?

Aux yeux de (ou plutôt au nez de) Mme von der Leyen et des dirigeants européens, le gaz azerbaïdjanais est en odeur de sainteté, si l'on peut dire. Tant pis pour les Arméniens.

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Très majoritairement peuplé d’Arméniens, le Haut-Karabakh a été rattaché en 1921 à la république d’Azerbaïdjan et est l’objet d’un conflit entre ce pays et l’Arménie voisine depuis la chute de l’URSS. La guerre entre les deux pays a fait plus de 30000 morts au début des années 90 puis environ 6500 en 2020. Depuis le cessez-le-feu en novembre 2020 négocié sous l’égide de la Russie, un contingent de 2000 soldats russes est déployé pour en garantir l’application. Toutefois, on se doute que telle n’est pas la priorité n°1 de l’armée russe en ce moment. Est-ce pour cela que, dans la nuit du 12 au 13 septembre, les affrontements entre les armées des deux pays ont repris et causé la mort d’une cinquantaine de soldats de part et d’autre ?

L’Azerbaïdjan est peuplé à 95% de musulmans, dont 85% de chiites. Depuis 1993, le pays est dirigé d'une main de fer et mis en coupe réglée par la famille Aliyev, d’abord le père – Heydar – jusqu’en 2003 et ensuite le fils – Ilham. Il n’y a pas eu une seule élection libre et le pays est régulièrement dénoncé pour les violations des droits humains par le régime. Il a été classé par Reporters sans frontières 154e sur 180 en 2022 (juste devant … la Russie) pour le respect de la liberté de la presse et au 128e rang dans le classement de l’indice de la perception de la corruption en 2021 (pas très loin de l’Ukraine classée 122e).

L’Arménie compte plus de 90% de chrétiens, dont 9 sur 10 se reconnaissent dans l’Église apostolique arménienne (orthodoxe). Il a été classé 51e pour le respect de la liberté de la presse (devant l’Italie et la Pologne) et au 58e rang dans le classement de l’indice de la perception de la corruption en 2021 (au même niveau que la Grèce et devant plusieurs autres pays de l’UE). Le régime politique n’est sans doute pas un parangon de démocratie mais la situation s’est cependant sensiblement améliorée depuis la révolution du printemps 2018.

Entre un pays certes laïque mais peuplé de mahométans (de surcroit chiites) et dirigé par un satrape d’une part et son voisin chrétien (orthodoxe, bon… personne n’est parfait) doté d’un régime relativement démocratique d'autre part, la boussole de l’OTAN, celle de l’Union Européenne et celle de la France ne manqueront pas de pointer vers l’Arménie. Nos origines-chrétiennes, nos valeurs-démocratiques, les droits-de-l'homme-qui-nous-sont-chers, tout ça, tout ça… De plus, il y a une communauté d’origine arménienne de plusieurs centaines de milliers de personnes en France et autant aux États-Unis. Nul doute que l’UE condamnerait sans ambiguïté l’Azerbaïdjan et apporterait son aide inconditionnelle à l’Arménie si ce conflit venait à se prolonger. Un embargo sur les importations en provenance de l’Azerbaïdjan serait décidé en urgence par le Conseil Européen et le président Macron nous avertirait que nous devons « accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs ».

L’affaire semble entendue, n’est-ce pas ? Pas si simple parce que tout est toujours compliqué avec l’Orient (c’est bien connu, au moins depuis de Gaulle : « Vers l’Orient compliqué je volais avec des idées simples »).

L’Arménie d’abord. Depuis son indépendance, ce pays est le principal allié de la Russie dans le Caucase. La Russie est le premier partenaire commercial de l’Arménie et y dispose même d’une base militaire. L’Iran a aussi de très bonnes relations avec l’Arménie depuis son indépendance, bien meilleures qu’avec l’Azerbaïdjan, même si la République Islamique a cherché à rééquilibrer ses relations à l’occasion du conflit de 2020. Pire, dans le conflit ukrainien, l’Arménie s’est plutôt rangée du côté russe, notamment en votant contre la suspension de la Russie du Conseil de l’Europe en réponse à l’invasion de l’Ukraine. Ami de la Russie et de l’Iran, ce n’est franchement pas ce que l’on fait de mieux par les temps qui courent !

L’Azerbaïdjan ensuite. Certes, c’est un pays ami de la Turquie mais enfin le Grand Turc, malgré tous ses défauts, aide bien l’Union Européenne à parquer les réfugiés syriens et afghans donc cette amitié est pardonnable. L’Azerbaïdjan a par ailleurs d’excellentes relations avec Israël qui a été l’un des premiers pays à le reconnaitre en 1991. Israël est un partenaire militaire de premier plan et a notamment fourni du matériel lors du conflit avec l’Arménie. Les relations avec les États-Unis sont également très bonnes, l’Azerbaïdjan ayant notamment fourni une aide logistique très importante aux États-Unis pour l’acheminement de matériel et de troupes US en Afghanistan. Enfin, la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen a signé le 18 juillet 2022 un accord avec l’Azerbaïdjan pour doubler les importations de gaz en provenance de ce pays d’ici à 2027. Un pays ami des États-Unis et d’Israël et qui nous fournit du gaz, quoi de plus sympathique ?

Pour se passer du gaz en provenance de la dictature de Poutine, rien de tel que le gaz que nous livre ce riant démocrate Ilham Aliyev. Financer l’armée russe et sa guerre en Ukraine par nos achats d’hydrocarbures, c’est très très mal. Financer le régime Aliyev et l’armée azérie dans le Haut-Karabakh, c’est beaucoup mieux.

Dommage pour les opposants azéris qui croupissent dans les geôles de notre ami de Bakou mais, que voulez-vous, on ne fait pas d'omelette sans casser quelques œufs. Et tant pis pour les Arméniens, ils n’avaient qu’à avoir du pétrole ou du gaz !

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La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev © AFP - Azerbaijani presidency handout

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