Le 5 mai 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle, le Premier ministre Jacques Chirac donnait l’ordre au GIGN de prendre d’assaut la grotte d’Ouvéa où des militants du FLNKS retenaient en otage des gendarmes après que quatre de leurs collègues eurent été tués lors de l’attaque de leur gendarmerie le 22 avril. Cet assaut fut une boucherie, où 2 membres des forces de l’ordre et 19 militants du FLNKS furent tués, dont certains exécutés sommairement par les militaires alors qu’ils étaient blessés, ainsi que l’avait reconnu Michel Rocard en 2008.
Dès sa nomination comme Premier ministre en mai 1988, Michel Rocard entama des négociations entre le FLNKS et les anti-indépendantistes. Les accords de Matignon de juin 1988 puis les accords de Nouméa de mai 1998 engagèrent un processus devant conduire à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie. Depuis juin 1988, pendant plus de trente ans, les présidents Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande et les Premiers ministres Rocard, Cresson, Bérégovoy, Balladur, Juppé, Jospin, Raffarin, Villepin, Fillon, Ayrault, Valls, Cazeneuve et Philippe avaient su construire et préserver ce processus.
Le 3 juillet 2020, lors de la cérémonie de passation de pouvoir avec Jean Castex, Édouard Philippe déclarait : « Le processus extraordinaire qui a été engagé en Nouvelle-Calédonie, bien avant ce gouvernement et poursuivi par beaucoup de Premiers ministres depuis Michel Rocard, est un processus fascinant, difficile, complexe, incertain encore. Mais il faut rendre hommage à nos concitoyens du Pacifique qui œuvrent pour essayer de trouver les bonnes solutions pour cette île incroyablement attachante. »
Il n’aura pas fallu plus d’un an après cette déclaration pour que M. Macron commence à souffler sur les braises en faisant passer en force le 3ème référendum d’auto-détermination. En 2019, Édouard Philippe avait pourtant « exclu que cette troisième consultation puisse être organisée entre le milieu du mois de septembre 2021 et la fin du mois d’août 2022 » afin de ne pas se dérouler en pleine campagne présidentielle. En 2021, les indépendantistes demandèrent le report afin de respecter les coutumes de deuil observées par les familles des victimes kanak du Covid-19. La demande fut balayée d’un revers de main et le référendum eut lieu le 12 décembre 2021. Boycotté par les indépendantistes, il vit la victoire écrasante des anti-indépendantistes dans un scrutin marqué par une abstention quasi-totale dans les régions kanak. Immédiatement, M. Macron se félicita de ce résultat en déclarant contre toute évidence : « Les Calédoniennes, les Calédoniens ont choisi de rester Français ; ils l’ont décidé librement. (…) Ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester ».
En juillet 2022, sans doute pour humilier un peu plus les Kanak, le président de la République nomma Mme Sonia Backès, figure de la droite dure anti-indépendantiste, dans le gouvernement Borne. Puis, en avril 2024, le Parlement a commencé l’examen d’un projet de révision constitutionnelle concernant l’élargissement du corps électoral du scrutin provincial de Nouvelle-Calédonie. Il a pour objet de modifier le rapport de forces en faveur des anti-indépendantistes et est donc fort logiquement soutenu par les macronistes, LR et le RN. Oh surprise, c'est cette même coalition qui a voté la loi immigration en décembre 2023 et qui votera sans doute dans quelques mois l’abrogation du droit du sol à Mayotte.
Comme c’était à prévoir, ce dernier clou planté dans le cercueil des accords de Nouméa a mis le feu aux poudres en Nouvelle-Calédonie. Avant le référendum de 2021 et alors que 3000 gendarmes étaient envoyés depuis la métropole, Laurie Humuni, membre du bureau politique du FLNKS, affirmait dans un entretien à Médiapart : « On ne peut non plus exclure une volonté de l’État de pousser certains de nos sympathisants à la violence. »
Depuis décembre 2021, la volonté de l’État a été clairement affirmée et est maintenant couronnée de succès si l'on peut dire. Dans les jours qui viennent, nous entendrons les déclarations martiales de MM. Macron, Attal et Darmanin, l’œil rivé sur les écrans de CNews pour être certains de faire ce que la droite extrême et l’extrême-droite attendent d’eux. Si, comme MM. Chirac et Pasqua en 1988, ils le jugent utile pour leurs petits calculs politiciens, le sang kanak risque à nouveau de couler en Nouvelle-Calédonie.
Trois longues années nous séparent de la fin du mandat de M. Macron. En 2027, subsistera-t-il quelque chose qu'il n’aura pas détruit dans ce pays ?