La France Insoumise (LFI) a été fondée le 10 février 2016. Ce jour-là, Jean-Luc Mélenchon annonçait sur TF1 qu’il « proposait » sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. Alors que sa candidature à l’élection de 2012 s’était faite dans le cadre du Front de Gauche (né de l’alliance du Parti de Gauche et du PCF), il situa celle de 2017 « hors du cadre des partis » et déclara : « Je veux représenter, incarner la France insoumise et fière de l'être. » Selon le porte-parole du PCF, cette annonce « n’avait été ni discutée ni décidée dans le cadre du Front de gauche » et il assura l’avoir « apprise en regardant TF1 ». Qui donc avait désigné le candidat Mélenchon ? Lui-même.
Dès son origine, LFI a donc été une organisation créée par Mélenchon, dirigée par Mélenchon pour servir les ambitions présidentielles de Mélenchon. Qualifiée de « mouvement » et non de « parti », c’est une organisation « gazeuse » selon son fondateur et c’est surtout une organisation dont le premier cercle de dirigeants est désigné par « consensus » selon ses partisans et choisi par cooptation selon les autres.
D’aucuns diront que les partis traditionnels (PS, PCF, LR, EELV), dans lesquels des rangs clairsemés de militants élisent leurs dirigeants dans des conditions parfois douteuses, ne valent guère mieux. C’est vrai. Que d’autres formations ont été créées pour servir les ambitions d’un homme (En Marche) ou d’un clan (Front National). C’est vrai aussi. Que la machine LFI a démontré son efficacité lors de deux élections présidentielles successives, dans lesquelles Mélenchon a manqué de quelques centaines de milliers de voix l’accession au second tour. C’est encore vrai, même si ces deux échecs devraient peut-être conduire à s’interroger sur la stratégie et celui qui l’incarne.
Tout cela est donc vrai mais peut-on se satisfaire qu’un mouvement politique porteur d’un projet d’émancipation ne se distingue guère des autres ? Peut-on accepter qu’une formation qui dénonce (avec raison) la nature autoritaire de la Vème République ait un mode de fonctionnement interne qui n’a rien à envier à l’hyper-présidentialisation du régime qu’elle combat ? Quel crédit accorder au projet de VIème République que défend Mélenchon quand sa pratique de dirigeant politique en est la négation ?
Le chef avait désigné Adrien Quatennens pour lui succéder à la tête de LFI. Celui-ci s’étant mis hors-jeu en raison des violences conjugales qu’il a commises, le chef a choisi Manuel Bompard pour le remplacer. Un intérim en attendant la sortie du purgatoire de Quatennens, après quatre mois sur les bancs des non-inscrits et un stage pour reconstituer son capital de points ? Quel crédit accorder aux positions de LFI sur les violences faites aux femmes après une telle mascarade ? Abad, Simian, c’est pire, me dira-t-on. Oui, et alors ? Faudrait-il se satisfaire de ne pas faire pire que LREM ?
La nouvelle direction a donc été désignée lors de « l’Assemblée représentative de la France Insoumise ». Autour de Manuel Bompard, on y trouve les membres de la famille (Chikirou, Amard) et des personnalités qui doivent tout leur capital politique à Mélenchon et qui feront profil bas. Les têtes qui dépassent (Autain, Ruffin) et même les grognards du Parti de Gauche (Coquerel, Corbière, Garrido) n’y ont pas leur place. Comment croire que LFI pourra construire une alliance politique autour d’un projet émancipateur si l’allégeance au chef en est la condition ? Plus grave encore, comment peut-il n'y avoir aucun représentant des classes populaires dans la direction d'un mouvement qui prétend défendre leurs intérêts ?
Rien de tout cela n’est nouveau malheureusement. Des figures de la campagne 2017 ont été mises sur la touche ou ont quitté LFI dans les années qui ont suivi (Jacques Généreux, Liêm Hoang-Ngoc et surtout Charlotte Girard). Il faut relire la lettre aux militants de LFI envoyée par Charlotte Girard à l’occasion de son départ en juin 2019. Elle y écrivait notamment ceci : « Tant qu’on est d’accord tout va bien. Mais il n’y a pas de moyen de ne pas être d’accord. Or une dynamique politique – surtout révolutionnaire – dépend de la capacité des militants à s’approprier des raisonnements, c’est-à-dire potentiellement à les contester. » Trois ans et demi plus tard, il n’y a visiblement toujours pas moyen de ne pas être d’accord.
« On change pour que ça change » écrivait Mélenchon dans l’analyse de l’Assemblée représentative de LFI qu’il a publiée sur son blog. Bien que la formule soit quelque peu galvaudée, comment ne pas plutôt penser au propos de Tancredi Falconeri dans Le Guépard, « Il faut que tout change pour que rien ne change » ? LRNEM peut s’en réjouir car Mélenchon est en passe de devenir l’adversaire politique idéal : celui qui semble se satisfaire de remonter la pierre tombée de la montagne. « La tâche que nous avons à accomplir est celle du mythe de Sisyphe » déclarait Mélenchon au soir du premier tour de l'élection présidentielle de 2022. Tout va bien alors. Il y avait déjà beaucoup à dire sur une stratégie centrée sur la conquête du pouvoir par l’élection présidentielle, clé de voute du régime autoritaire qu’est la Vème République. Malgré toutes les limites de cette stratégie électorale, son succès est lui-même compromis par le verrouillage organisationnel auquel Mélenchon vient de procéder. Si Billancourt existait encore, il aurait de quoi désespérer. Mais Billancourt n’existe plus ; Mitterrand et Jospin (qui sont les mentors de Mélenchon, ne l’oublions pas) sont notamment passés par là.
En dépit de la valeur de nombres de personnalités qui en sont membres et du dévouement de ses militants lors de chaque campagne, LFI demeure hélas ce qu’elle n’a jamais cessé d’être depuis sa création en 2016 : une machine électorale créée et dirigée de manière autoritaire par un tribun afin de servir ses ambitions présidentielles. Six ans plus tard, la caque sent toujours le hareng.

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