Tout était pourtant organisé pour que celui qui affirme qu’il ne faut pas « politiser le sport » puisse politiser une deuxième victoire des Bleus sous sa présidence. On se souvient que la récupération politique de la victoire en 2018 avait été un peu gâchée par l’affaire Benalla. Trois jours après la finale, Le Monde révélait en effet que le barbouze le plus intime du président avait généreusement tabassé des manifestants à l’occasion des manifestations du 1er mai.
Cette fois-ci, M. Macron avait mis toutes les chances de son côté, au point de reporter l’annonce de la contre-réforme des retraites. Se résoudre à fêter Noël sans avoir posé les jalons de la « mère des réformes », ce fut pour lui un véritable crève-cœur ! Faire travailler plus longtemps les plus pauvres et les plus précaires afin de financer les baisses d’impôts pour les plus riches, ce n'est rien moins que le projeeeeeeeeeeet de toute une vie.
Mais gouverner, c’est faire des choix douloureux et quelques points de cote de popularité, cela vaut bien quelques sacrifices. Le président de la République s’est donc rendu à Doha pour les demi-finales, accompagné de courtisans qui quémandent une place dans l’avion présidentiel comme d’autres suppliaient Louis XIV de les emmener à Marly. Le même jour avait lieu le premier sommet UE-ASEAN. Pas de chance, M. Macron avait foot et il a donc demandé au chancelier Scholz de le représenter. Chacun a ses priorités et tout le monde sait que ce qui est bon pour l'Allemagne est bon pour la France. Pendant ce temps, Télé-Macron diffusait de bien belles images tournées dans les vestiaires de l'équipe de France. On y voyait le Président de la République tripoter les corps luisants des joueurs, attaché comme il l’est à la dignité de la fonction présidentielle.
Quatre jours plus tard, il s’est de nouveau rendu à Doha pour la finale. Ayant serré la main ensanglantée d’un dictateur lors de la finale 2018, il n’allait pas laisser passer l’opportunité de serrer celle, tout aussi ensanglantée, d’un autre dictateur lors de la finale 2022. Le fait que le second nous vende le gaz que l’on refuse désormais d’acheter au premier – au nom de nos « valeurs » - permet de plus de joindre l’utile à l’agréable. Après cette rencontre disputée dans un stade construit sur les cadavres de milliers d’ouvriers, M. Macron va pouvoir une nouvelle fois féliciter l’Émir Tamim ben Hamad Al Thani pour cette Coupe de l’immonde que le Qatar a « très bien organisée ». Si avec ces courbettes, la France n’arrive pas à obtenir un peu plus de gaz et un peu moins cher, c’est à désespérer.
Mais quand même, quelle malchance cette défaite ! Au lieu de chouiner sur les millions de gens qui ne peuvent plus se chauffer, les milliers d’étudiants faisant la queue dans les soupes populaires, les réfugiés crevant de froid dans Paris ou mourant en Méditerranée, les patients qui meurent sur les brancards dans les hôpitaux, les Noirs ou les Arabes tabassés par des hordes de fascistes sous l’œil bienveillant de la police, les flics éborgneurs acquittés par la « justice » et tant d’autres problèmes de second ordre, nous aurions pu communier avec les milliardaires du ballon rond, symboles vivants de « la France qui gagne ».
Et voilà en plus que cet ingrat de Kylian Mbappé s'est montré insensible aux longues caresses présidentielles et a ostensiblement ignoré celui qui les prodiguait si généreusement. Quand c’est non, c’est non, M. le Président. Mais ce n’est pas un échec, c’est juste que cela n’a pas marché. Et puis, vos deux escapades n’ont coûté qu’un demi-million d'euros d’argent public que les contribuables ont été si heureux de vous offrir. Quant aux 480 tonnes de CO2 émises à cette occasion, nous saurons faire preuve de sobriété en coupant le Wifi un peu plus tôt et en baissant la plaque de la cuisinière pour les compenser.
Nous avons confiance : vous ne vous laisserez pas gagner par la tristesse. Après une génuflexion devant l’Émir du Qatar, vous nous reviendrez plein d’énergie, si l'on ose dire. C’est qu’il vous reste encore tant à détruire en France. L’hôpital public, c’est bien avancé mais il ne faut pas relâcher votre effort. L’Éducation nationale, c’est en bonne voie, continuez. EDF est moribonde, c'est le moment de l'achever avec l'aide de vos amis Ursula et Olaf. Vous avez bien diminué les allocations de chômage mais il faut aller encore plus vite, plus loin, plus fort. Et puis les retraites, la « mère des réformes », votre main ne doit pas trembler ! Il n’y a pas assez de pauvres gens qui meurent au travail avant l’âge de la retraite, vos amis riches s’impatientent ! Policiers et gendarmes sont armés jusqu’aux dents pour vous défendre, vous pouvez donc taper fort, cela va bien se passer comme dirait M. Darmanin.

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