Il aura donc fallu trois semaines à M. Macron pour nommer Mme Borne au poste de Première ministre après que le tout-Paris politique et médiatique eut bruissé d’innombrables rumeurs sur le nom de l’heureuse élue. S’il était semble-t-il entendu que ce serait une femme, les éditorialistes s’interrogeaient : la politique de droite extrême du président réélu serait-elle mise en œuvre par une femme issue de la « gauche » de droite ou de la droite de droite ? Avouez que cela change tout.
Selon les gazettes de la Cour, Mme Vautrin – de la droite de droite - aurait eu les faveurs du monarque jusqu’au dernier moment. Les mêmes gazettes nous expliquent que son choix s’est finalement porté sur Mme Borne car « l’aile gauche » du macronisme ne voulait pas de Mme Vautrin. Une petite parenthèse s’impose ici : il y aurait donc une « aile gauche » à la Cour. Pourtant, les macronistes « de gauche », c’est un peu comme les extra-terrestres : personne n’en a jamais vu même si certains y croient et si les plumitifs du Palais noircissent beaucoup de papier à leur sujet.
Or donc, les macronistes « de gauche » s’opposèrent à la nomination de Mme Vautrin, notamment parce qu'elle avait voté contre la loi instaurant le mariage pour tous. Ces gens-là ont des convictions et ils tiennent à leurs « marqueurs » de gauche. Si réduire les chômeurs à la misère, permettre aux patrons de licencier quand bon leur semble, faire la chasse aux réfugiés - sauf les Ukrainiens -, détruire l’hôpital public et l’éducation nationale, et éborgner les manifestants leur convient parfaitement, en revanche sur les sujets « sociétaux », ils tiennent à affirmer leur différence avec la droite de droite. Car ce sont des « progressistes », voyez-vous.
Grâce à eux, c’est donc finalement Mme Borne qui a été désignée. Quelques persifleurs l’ont déjà surnommée Madame Castex, en référence aux qualités qu’elle partage avec son prédécesseur, à savoir le charisme et le poids politique. Signe de l’importance de sa nomination, celle-ci a été annoncée par un simple communiqué de presse et non par le secrétaire général de la présidence de la République sur le perron de l’Élysée comme c’est la tradition.
Trois jours après le choix de la Première ministre et près d’un mois après l’élection présidentielle, les ministres n’ont toujours pas été nommés. Entre deux épisodes de sa série à la mode Netflix, M. Macron nous avertit que la composition du gouvernement prendra « autant de temps utile que nécessaire », Et Mme Borne fait ce que le monarque attend d'elle, se faire l'écho de son verbe : « On prendra le temps qu’il faut pour avoir la meilleure équipe ». C’est heureux car les citoyens comprendraient mal qu’il fallût prendre un mois pour réunir une équipe de bras cassés. Même si quelques-uns des noms qui circulent laissent penser que ce n'est pas gagné.
En attendant que la fumée blanche sorte de la cheminée du palais de l’Élysée, la France est donc dirigée par des ministres qui expédient les affaires courantes depuis quatre semaines. Certains sont déjà partis pantoufler, d’autres sont en campagne dans la circonscription où ils ont été parachutés, quelques-uns savent sans doute qu’ils feront partie de « la meilleure équipe » à venir, mais à quel poste ? L’État serait-il donc en roue libre ?
Il n’en est rien. Car si les nominations des ministres se font attendre, les postes essentiels, les seuls qui comptent vraiment, sont déjà pourvus. Le tout-puissant Alexis Kohler, surnommé le vice-président, rempile au secrétariat général de l’Élysée. Et cet article de Mediapart nous apprend que MM. Macron et Kohler avaient choisi le directeur de cabinet de la Première ministre - M. Rousseau - avant même que celle-ci fût nommée. Les mêmes avaient d’ailleurs aussi choisi le directeur de cabinet de M. Castex en juillet 2020.
Au moins, les choses sont claires. Le gouvernement Borne est superflu puisque le pays sera dirigé par un triumvirat : MM. Macron, Kohler et Rousseau. Mme Borne et les ministres que choisiront les trois précités assureront sur les chaînes d'infox en continu le service après-vente des décisions que ceux-ci auront prises. Ces porte-paroles auront aussi pour tâche de faire voter les lois par les godillots macronistes qui seront élus à l’Assemblée Nationale. Car, malheureusement, l’efficacité de la « gouvernance » de la « start-up nation » est encore entravée par ces institutions et principes d’un autre âge qui se nomment Parlement et séparation des pouvoirs. Fort heureusement, il y a McKinsey.
Sauf si les citoyens en décident autrement les 12 et 19 juin prochains.

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