Le suspense était à son comble avant ce Conseil Européen du 18 décembre : les 27 pays membres de l’UE allaient-ils se mettre d’accord sur un « prêt de réparation » à l’Ukraine basé sur l’utilisation des 210 Mds€ d’actifs de la Banque Centrale de Russie gelés en Europe ? Les États-Unis ayant cessé l’aide financière à l’Ukraine, celle-ci sera à court de liquidités au premier semestre 2026 faute de nouvelles ressources.
Le choix était aussi simple que dramatique aux yeux du Premier ministre polonais : « Soit de l’argent aujourd’hui, soit du sang demain et je ne parle pas seulement de l’Ukraine, je parle de l’Europe. » Pas si simple pour le Premier ministre belge qui s’opposait à l’utilisation des actifs russes dont l’essentiel (185 Mds€) est détenu par la société belge Euroclear.
A la veille du Conseil, un éditorial du Monde sommait M. De Wever de clarifier ses positions vis-à-vis de la Russie puisqu’il aurait osé affirmer « qu’il n’était pas souhaitable que la Russie perde la guerre ». Outre que ce propos a été sorti de son contexte, observons que c’est peu ou prou ce que déclarait M. Macron en juin 2022 (« Il ne faut pas humilier la Russie ») sans que le quotidien de révérence ne s’en offusque. Il s’est également bien gardé de rappeler à ses lecteurs que le même M. Macron, très allant quand il s’agit des avoirs russes détenus en Belgique, s’oppose à ce que l’on touche aux 18 Mds€ détenus par les banques françaises (la BNP pour l’essentiel). Pour le savoir, mieux vaut lire le Financial Times.
Faute d’accord sur l’utilisation des avoirs russes, le Conseil Européen est convenu d'accorder à l’Ukraine un prêt à taux zéro qui ne devra être remboursé qu’à l’issue de la guerre, quand la Russie aura payé des indemnités de réparation.
Ce prêt sera financé par un emprunt de l’UE sur les marchés qui, lui, ne se fera pas à taux zéro. On ne va quand même pas demander aux investisseurs de faire un effort pour aider l’Ukraine et « sauver l’Europe », un peu de sérieux ! En plus des dividendes que leur versent déjà les marchands de canon qui font des affaires en Ukraine, ils vont donc pouvoir toucher les intérêts de cet emprunt commun. Pourvu que cela (la guerre) dure. Les autres grands gagnants sont les entreprises d’armement états-uniennes puisque ce sont elles qui fournissent l’essentiel des armes livrées à l’Ukraine par les pays de l’UE. C’est ce que l’on appelle « l’Europe de la défense » : faire payer par les Européens des armes made in USA. Donald Trump en rêvait, c’est chose faite.
In fine qui va payer ? C’est très simple : la Russie ! Comment ? Avec les indemnités de réparation qu’elle va devoir verser à la fin de la guerre, voyons ! Un nouveau traité de Versailles et l’affaire sera réglée. Sauf que la Russie de 2025, puissance nucléaire, n’est pas exactement l’Allemagne de 1918 mais on ne va s'embarrasser avec ce genre de détails. Que se passerait-il donc si Poutine refusait de verser le moindre rouble pour la reconstruction de l’Ukraine ? Les investisseurs, dans leur grande générosité, vont-ils souscrire à l'emprunt en se contentant d'une vague promesse de remboursement lorsque la Russie aura payé des indemnités de réparation ? Non. A l’échéance des titres de dette émis et garantis par l'UE, c'est donc celle-ci qui devra rembourser et par conséquent ce sont les contribuables européens qui paieront. Chaque pays contribuera en proportion de son PIB. La France (16,3% du PIB de l'UE en 2024) devra donc rembourser 14,7 Mds€ sur les 90 Mds€ prêtés à l’Ukraine (un peu plus en réalité puisque la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie ont exigé de ne pas y participer).
M. Macron a donc ajouté environ 15 Mds€ à la dette française sans sourciller. Quand il s’est agi de décaler d’un an la réforme des retraites, le président de la République, le gouvernement, le « bloc central » et les éditocrates qui assurent le SAV nous ont alerté sur le coût faramineux de cette mesure (400 millions d'euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027) et sur la nécessité de la financer par des économies pour ne pas alourdir la dette. Les retraites, les allocations de chômage, les aides sociales, le financement de l’hôpital public ou de l’éducation nationale, tout cela coûte trop cher et la France n’en a plus les moyens. Mais Bruxelles c’est un peu comme Lourdes et l’Ukraine c’est un peu la Vierge Marie : elle fait des miracles. L’argent n’est pas un problème !
Des solutions pour ne pas augmenter la dette, il n’en manque certes pas. Augmenter les impôts des plus fortunés par exemple. Après tout, ce sont des patriotes, n’est-ce-pas ? M. Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, nous alertait la semaine dernière pour la n-ième fois : « La France a trop de dettes ». Qui peut douter qu’il sera favorable à ce que les 18 Mds€ d’avoirs russes détenus par la BNP (dont il fut le Directeur Général Adjoint) soient mobilisés pour rembourser la quote-part française de l’emprunt ukrainien le moment venu ?
Trêve de plaisanteries : il est temps de se serrer encore un peu la ceinture, de supprimer encore des lits d’hôpital et de fermer des classes pour l’Ukraine. Un sursaut national bien nécessaire qui nous mettra dans de meilleures dispositions pour ensuite accepter de « perdre nos enfants » comme le dit le chef d’état-major des armées.
Terminons sur une note positive. Cette solidarité sonnante et trébuchante avec un peuple agressé par un pays voyou ouvre de nouvelles perspectives pour les Palestiniens. L’UE va se poser la question du blocage des avoirs israéliens en Europe et n’hésitera pas à s’endetter pour aider le peuple palestinien à résister au génocide. L’Union Européenne a des valeurs et n'a pas de double langage.