Écrivains, comédiens, cinéastes, rappeurs et intellectuels de toutes les disciplines y vont de leur tribune ou de leur appel à voter pour M. Macron pour sauver « la République » et « la démocratie ». Sans compter les éditorialistes qui nous présenté Mme Le Pen comme une fort respectable femme d’État jusqu’au 10 avril et ont feint de découvrir à 20h00 à quel point elle était dangereuse. Tous exigent que nous fassions preuve de « responsabilité » car voyez-vous, s’abstenir ou voter blanc, ce serait apporter son soutien à Mme Le Pen. Voter Macron, c’est même parait-il « la seule option antifasciste » dont nous disposerions dimanche. L'heure est donc à la mobilisation générale.
Eh bien, figurez-vous que mon cordonnier est entré en dissidence. Il pense que voter Macron, c’est voter Macron. Que voter Le Pen, c’est voter Le Pen. Et que voter blanc ou s’abstenir, c’est voter blanc ou s’abstenir. Point. Il considère par conséquent que les responsables d’une éventuelle élection de Mme Le Pen seraient d’une part ceux qui voteront pour elle le 24 avril et d’autre part M. Macron, son gouvernement, sa majorité et les médias à leur botte qui ont fait la courte échelle au RN pendant le quinquennat. Et personne d’autre.
Il estime aussi que « les gens qui se sont rien », ceux que le président Macron avait « très envie d’emmerder », ceux qui n’ont qu’à « traverser la rue », ceux qui « coûtent un pognon de dingue », ceux qui ont été tabassés, éborgnés, mutilés ou dont les proches ont été tués par sa police dans les quartiers populaires ou lors des manifestations, tous ceux-là ont des raisons légitimes de refuser de mettre dans l’urne un bulletin au nom de celui qui les méprise, les insulte, les réprime et leur a déclaré la guerre sociale en 2017.
Il va jusqu’à dire que ces gens n’ont aucune leçon de « responsabilité » à recevoir des pétitionnaires et des « tribuneurs » confortablement installés devant leur clavier. J’invite évidemment nos directeurs de conscience à bien vouloir faire preuve d’indulgence à l’égard de l’auteur d’un raisonnement aussi fruste et dénué de la hauteur de vue qui est la leur. Confier le soin de choisir ses dirigeants à de braves gens qui ne sont mus que par leurs affects nous expose malheureusement à de tels désagréments.
Pire, au risque d’aggraver son cas, mon cordonnier a fait ses comptes - car il sait compter. Au vu des résultats du premier tour, il est arrivé à la conclusion qu’il n’y avait pratiquement aucune chance que Mme Le Pen soit élue. A moins que les injonctions à « bien voter » ne finissent par agacer suffisamment d’électeurs qui se refusent à choisir entre l’éborgneur et la fille du borgne. Il se souvient du référendum de 2005 et il est d’avis que le meilleur moyen d’éviter l’élection de Mme Le Pen, c’est peut-être que ceux qui lui enjoignent matin midi et soir de voter pour M. Macron finissent par se taire.

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