L’affaire était entendue. Le RN au plus haut, la gauche divisée et la droite extrême (macronistes et LR) déconfite, l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon était inéluctable. Non seulement inéluctable mais souhaitée en réalité par Emmanuel Macron qui y voyait le moyen de piéger le président du RN. Se croyant un stratège politique hors pair, il se voyait déjà faire la démonstration en quelques mois de l’impréparation et de l’inaptitude à gouverner du RN. Au passage, c’est aussi ce que pensait von Papen en prônant la dissolution du Reichstag en janvier 1933 : « Dans deux mois, nous aurons Hitler recroquevillé dans un coin. » On connait la suite.
Les choses ne sont pas passées tout à fait comme l’avait prévu le grand stratège. Ne disons pas que ce fut un échec mais cela n’a pas marché. Dans la semaine suivant la dissolution, les partis de gauche se sont mis d’accord sur des candidatures uniques dans chaque circonscription sous la bannière du « Nouveau Front Populaire » (NFP) et sur un programme. Et ils ont obtenu le plus grand nombre de députés tout en se désistant dans les circonscriptions dans lesquelles ils arrivaient en 3ème position et où le candidat RN risquait de l’emporter. Grâce à ce « front républicain », les macronistes ont évité une déroute complète au second tour.
Dans n’importe quelle démocratie, c’est la coalition arrivée en tête qui est chargée de former un gouvernement, quand bien même elle ne disposerait que d’une majorité relative. Pas dans la France de M. Macron qui n’a plus que les apparences d’une démocratie. Le résultat des élections déplaisant au monarque de la rue du Faubourg Saint-Honoré, celui-ci décréta tout d’abord une « trêve olympique » avant de prendre des vacances dans sa résidence d’été du Fort de Brégançon. Pas question que la formation d’un nouveau gouvernement issu du NFP ne vienne gâcher les jeux du cirque puis l’empêcher de faire des ronds dans l’eau sur son jetski.
Six semaines après le second tour des législatives, le monarque daigna entamer des « consultations » dont l’objectif n’était évidemment pas de nommer Lucie Castets à Matignon mais de s’assurer que tous les partis réactionnaires (macronistes, LR et le RN) feraient immédiatement tomber un gouvernement de gauche. Et, oh surprise, ils le lui ont confirmé. « La stabilité institutionnelle de notre pays impose donc de ne pas retenir cette option » a donc fait savoir le monarque au terme de cette mascarade. On aura compris que dans l'esprit de M. Macron, « la stabilité institutionnelle » n'est rien d'autre que la poursuite d'une politique réactionnaire au service des plus fortunés.
Depuis la défaite cuisante des macronistes aux élections législatives, les ministres du gouvernement démissionnaire du « jeune Gabriel » gèrent les affaires courantes tout en siégeant comme députés à l’Assemblée Nationale en violation du principe de la séparation des pouvoirs. La machine à détruire les services publics fonctionne toujours à plein régime (coupe de 10 Mds€ dans le budget 2024, préparation d’un budget d’austérité pour 2025). Le président de la République procède à des nominations pour recaser ses affidés et fait une nouvelle fois la démonstration de son inconsistance en matière de politique étrangère en alignant la France sur la position marocaine au Sahara occidental. Dans cet article publié par AOC, Christian Salmon citait Le Coup d’Etat permanent de François Mitterrand : « C’est le secret le mieux gardé de la République, il n’y a plus de gouvernement. (…) Seul le président de la République ordonne et décide. »
Ayant écarté le NFP, de quelles options dispose M. Macron ? Une coalition des deux formations ayant été battues aux législatives (macronistes et LR) ? Il semble que les Républicains n’en veulent pas. Nommer Jordan Bardella à Matignon, comme il l'aurait fait dans la minute si le RN avait gagné les législatives ? Celui-ci est encore plus éloigné de la majorité que le NFP mais il bénéficierait très probablement du soutien ou du moins de la bienveillance de LR et des macronistes. Ceux-ci n’ont-ils pas voté ensemble une loi immigration digne de Vichy ? Ne sont-ils pas d’accord sur presque tout : taper sur les syndicats, sur les fonctionnaires, refuser d’augmenter le SMIC et les prestations sociales, baisser les impôts pour les plus fortunés ? Mais le RN n'en veut sans doute pas non plus.
Alors, si rien de tout cela ne fonctionne dans le champ de ruines qu'il a créé, il lui restera l’article 16, la seule disposition de la Constitution qu’il n’ait pas encore utilisée pour faire passer en force sa politique rejetée par plus de 80% des citoyens de ce pays. Et si c'était cela son projeeeeeeeeeeeeeeeet : semer le chaos pour ensuite s'arroger les pleins pouvoirs. Le moment n'est-il pas venu « d'essayer la dictature » ?

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