Dix jours après le lancement de la grande #ConsultationDesMusulmans, il est temps de tirer un premier bilan : près de 20 000 personnes ont participé à la consultation en ligne et, partout sur le territoire, les mosquées et associations s’en emparent pour mener des consultations locales, au plus près des personnes concernées.
Nous commençons maintenant un tour de France des mosquées et associations pour aller écouter, échanger, animer des débats avec les communautés musulmanes locales et prendre en compte leurs espoirs comme leurs besoins.
Ce weekend au Havre, pour la première « consultation en direct », les échanges ont été magnifiques. Des hommes et des femmes de tous âges et de toutes origines sont venus partager les problématiques quotidiennes auxquelles ils font face. Les participants, venus nombreux, ont également proposé des idées concrètes pour changer les choses. Un pur moment de libération de la parole et de démarche participative, qui vient confirmer un constat :
Cette consultation est déjà un succès sans précédent.
Elle fera date dans l’histoire des mobilisations au sein des communautés musulmanes en France, comme un acte dont la portée est libératrice.
Des objectifs clairs
Si la consultation des Musulmans a atteint tous ses objectifs, il convient de les rappeler ici :
1) Poser et ancrer l’idée qu’en 2018, il n’est plus possible d’imposer à 5 millions de Musulmans la manière dont ils devraient s’organiser, de choisir et décider à leur place, en confisquant la parole puis en créant une exception musulmane dans la gestion du culte. Tout ce qui se fait pour les musulmans doit se faire avec les musulmans, sinon cela se fait contre les musulmans, puisqu’on les dépossède de leurs choix comme de leurs libertés les plus fondamentales.
2) Conforter les Musulmans dans l’intime conviction qu’ils peuvent faire des choses par eux-mêmes, comme ils le font déjà tous les jours, au niveau local. Les Musulmans savent, les Musulmans peuvent, les Musulmans font. Ils savent mieux que quiconque les problématiques et les besoins auxquels ils font face dans la pratique de leur culte. Ils peuvent, grâce à leurs propres moyens, mener des projets et des initiatives pour y répondre. Ils font déjà ce travail, avec succès, au niveau local et individuel. Il s’agit maintenant de fédérer ces bonnes volontés et ces talents pour en tirer des exemples au niveau national.
À travers les dizaines de milliers de personnes qui se sont approprié cette consultation et vu l’ampleur des mobilisations de terrain qui répondent favorablement à cette démarche, ainsi que les milliers de personnes qui ont proposé leur aide pour la suite, on réalise que ces deux objectifs sont déjà atteints : plus rien ne sera jamais comme avant.
Un islam d'Etat voué à l'échec
Il serait ridicule maintenant d’imposer un dispositif d’organisation des musulmans décidé à huis clos dans un bureau de l’Elysée, sans même prendre la peine de consulter les premiers concernés.
Il serait ridicule d’imposer à 5 millions de musulmans un « grand imam de France », sans la moindre légitimité autre que de plaire au Président, puis de mettre les imams et mosquées sous contrôle idéologique et politique à travers des cursus laïcs rendus obligatoires, alors même qu’il n’y a pas de clergé en islam et que nous disposons déjà d’instituts de formation en sciences islamiques (qu’il s’agirait de renforcer).
Il serait ridicule de créer une exception musulmane dans le traitement des organisations qui financent le culte ou en s’ingérant dans le marché du halal, alors même qu’il existe des lois en vigueur qui assurent d’une part le contrôle financier de toutes les structures et que les consommateurs choisissent librement le label halal (ou non) qui leur convient.
Il serait enfin ridicule de parachuter un conseil de personnalités triées sur le volet pour leur alignement idéologique, afin d’offrir un simulacre de représentation des Musulmans, participant une fois de plus à une logique hégémonique de contrôle et d’ingérence dans les modes d’organisation que (ne) choisissent (pas) les premiers concernés.
Cette manière de faire est d’un autre temps et si la consultation des Musulmans montre bien une chose, c’est que ceux-ci, dans toute leur diversité, sont capables de penser, de parler et d’agir par eux-mêmes.
Un point méthodologique
Maintenant, sur l’aspect méthodologique, voici quelques idées importantes à prendre en compte :
1) Il ne s’agit pas d’une étude universitaire classique, ni d’une enquête ou d’un sondage. Nous avons délibérément choisi le format de la consultation pour deux raisons : la première, c’est qu’elle lève des contraintes méthodologiques souvent lourdes, qui auraient rendu impossible une consultation si ouverte et participative. La seconde, c’est que son objectif (comme vu plus haut) est dans sa participation et dans la libération d’une expression musulmane, dans toute sa diversité. De ce fait, la consultation est (aussi) une mobilisation en soi.
2) Il a fallu faire un choix et des compromis sur le dispositif de consultation :
- Pour atteindre le maximum de monde, combiner une participation en ligne et des consultations locales, pour atteindre une variété de publics, en étant bien conscients des biais de diffusion et de mobilisation autour de la consultation.
- Produire un questionnaire de base avec des effets de cadrage (ordre des questions, formulation, alternance de questions émotionnelles et de questions réflexives…) qui motive les répondants à participer. À ce titre, les questions d’évaluation des structures/personnes servent, en plus de leur valeur informative, à faciliter les réponses sur d’autres sujets, beaucoup plus importants à notre sens (la nécessité ou non d’instances nationales, les orientations et priorités thématiques des Musulmans et surtout, les questions ouvertes où ils font part de leurs recommandations)
3) Les premiers résultats de la consultation dépassent toute espérance, en termes de participation quantitative et d’intensité qualitative des réponses aux questions ouvertes, tant ils montrent le degré d’implication des répondants et l’importance que revêt l’idée même de la consultation, dans l’organisation de leur vie socio-cultuelle au sens large.
Cette première consultation, sans lourde rigidité méthodologique, n’en est pas moins sérieuse, sur le fond comme sur la forme. Pour analyser les résultats, un comité scientifique composé d’universitaires en sciences sociales et en statistique, est réuni et commencera le travail de fond dès que la consultation en ligne sera clôturée, à la mi-juin.
4) Cette expérience ouvre également la voie à des études et enquêtes de plus grande ampleur avec un dispositif renforcé et amélioré : on peut imaginer des consultations de ce type tous les deux ans, en coopération entre la société civile et des instituts de recherche, afin de permettre à la fois un diagnostic régulier, tout en mesurant l’impact des actions menées lors des cycles précédents. De telles études pourraient se faire avec un cadre méthodologique plus contraignant, notant aussi des variables sociologiques complémentant utilement les questions de base.
5) Enfin, un point récurrent sur la « sincérité » des réponses et l’anonymat des répondants (avec par exemple le risque de réponses faussées par des trolls) :
Il faut d'abord rappeler qu'il n'existe pas de "musulman statistique". On considère COMME musulmane toute personne qui SE considère comme musulmane. Il n'y a pas de critères d'assignation religieuse objectif. Au mieux, l'indication d'une pratique religieuse et de sa fréquence, peut servir de proxy à l'intensité de l'implication sociale/personnelle dans une communauté. Mais cela ne dit pas grand-chose : il y a autant de manières de s'approprier sa religion qu'il existe de croyants. Distribuer des tokens à la sortie des mosquées ? Ça nécessiterait des moyens faramineux, en introduisant un biais supplémentaire dans la pratique, puisque la grande majorité des musulmans ne fréquentent pas une mosquée.
Mais sur le fond, comment s'assurer de "l'islam" d'une personne et surtout, pourquoi faudrait-il le faire ? Est-ce qu'il y a des musulmans qui seraient plus légitimes que d'autre à répondre ? Et si l’on s'inquiète que des personnes non musulmanes, racistes ou mal intentionnées, répondent pour fausser les résultats, est ce que le fait de poser des questions sur l'appartenance religieuse et la pratique nous en protègerait ?
Pas du tout. Les mêmes personnes pourraient apporter de fausses réponses au questionnaire et, de la même manière qu'ils mentiraient sur le reste, ils mentiraient aussi sur leur religion déclarée. Sans parler des considérations éthiques et juridiques à propos des données personnelles, des statistiques ethniques/religieuses, etc.
Donc comment s'assurer de la "sincérité" des résultats ?
D'abord en amont, dans la construction du questionnaire et dans les mesures de sécurité prises pour protéger la consultation. On ne peut pas "faire des réponses en masse" ou troller la base de données avec des scripts. De la même manière, cela s'appliquera aussi aux personnes qui voudraient "aider", en remplissant pour eux-mêmes plusieurs fois le questionnaire.
Ensuite, au moment du traitement des données lors de la pré-analyse, il existe un certain nombre de techniques et de règles algorithmiques qui permettent de détecter des réponses frauduleuses ou grossièrement incohérentes. Pour des raisons évidentes, il n’est pas possible de les expliciter ici pour éviter le risque qu'elles soient contournées, mais nous pourrons y revenir dès que la consultation sera clôturée. Donc les trolls et les racistes peuvent s'en donner à cœur joie s'ils se sentent soudain une âme musulmane, mais ils ne fausseront pas les résultats de cette importante consultation. Dans le cas le plus récurrent, ils lui donneront juste plus de visibilité dans les algorithmes des moteurs de recherche et contribueront à son succès.
Merci à eux... mais surtout, merci à toutes celles et ceux qui font de cette consultation une telle réussite:
Les dizaines de milliers de personnes qui, par leur participation et leur soutien, partout dans le pays, ont montré que le traitement des questions musulmanes en France mérite mieux qu'une politique de contrôle et d'injonction, décidée par des conseillers à mille lieues des préoccupations des Musulmans.
En ce sens, cette consultation pose des principes d'action forts et ambitieux:
Valoriser la richesse et la diversité des communautés musulmanes en France.
Travailler de manière autonome et constructive sur les questions qui les touchent.