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Billet de blog 1 avr. 2022

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La mise sous influence (sur les cabinets de conseil)

L'affaire McKinsey a relancé le débat sur le recours aux cabinets de conseils et ses effets sur l'action publique. Une bonne manière de réfléchir aux pistes de solutions pour sortir de cette ornière. 

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[Avant-propos] : Puisqu’il est toujours important de dire d’où l’on parle il me paraît important de préciser dans le cadre de ce billet que j’ai suivi une formation en management des politiques publiques, formation qui mène la majorité de ses étudiants aux métiers du conseil, et que j’ai exercé pendant quelques mois au sein d’un de ces cabinets en qualité de consultant junior.

Depuis quelques jours, l’affaire enfle autour du recours par Emmanuel Macron à des cabinets de conseil tout au fil du quinquennat. Symbolisée par le cabinet McKinsey, cette tendance lourde du quinquennat en train de s’achever a été pointée du doigt par un rapport sénatorial incisif. Le président-candidat qui entendait échapper à la campagne et enjamber les scrutins (présidentiel et législatifs) se retrouvent rattrapé par une réalité qu’il comptait bien mettre sous le tapis. L’incendie déclaré au sein de sa campagne est si puissant que deux ministres se sont présentés en conférence de presse pour tenter de l’éteindre, sans grand succès.

Effectivement, que ça soit Emmanuel Macron ou les personnes qu’il a missionnées pour venir défendre ce bilan, à chaque fois elles tapent magistralement à côté de la cible en se contentant de marteler qu’il existe un code de la commande publique et qu’il n’y a donc eu aucun favoritisme à l’égard d’un ou de plusieurs cabinets. En agissant de la sorte, en judiciarisant le débat, le monarque présidentiel et ses défenseurs n’essayent ni plus ni moins que de dépolitiser la situation, un peu comme s’il ne s’agissait que de savoir si la loi avait été respectée. En réalité, et la question ne se pose pas que sous le quinquennat Macron, le recours à ces cabinets de conseil pour orienter les politiques publiques est l’une des dynamiques qui sont montées en puissance avec l’apparition du New Public Management, bras armé du néolibéralisme. Pour peu que l’on veuille faire preuve de conséquence, il s’agit donc de dépasser les pitoyables dénégations du pouvoir en place pour s’intéresser en profondeur aux effets politique que peut induire l’utilisation de ces cabinets.

Distinguer les échelons

Pour être tout à fait juste, il importe de distinguer les différents échelons qui ont recours à ce genre de prestations. Si dans l’affaire actuelle, il s’agit de l’État et de ses administrations qui sont pointées du doigt, une bonne part des prestations de conseil au secteur public concerne les collectivités territoriales – nous y reviendrons. Dans le cas de l’État et de ses administrations, le recours aux cabinets de conseils est assurément bien plus dérangeant encore dans la mesure où elles disposent en principe des personnels et des compétences en interne pour répondre aux enjeux pour lesquels ces entreprises externes sont sollicitées.

En tout état de cause, le recours aux cabinets de conseil est souvent présenté comme une manière de faire des économies alors même que dans la réalité il n’en est rien. La plupart du temps, comme l’a très bien démontré le Collectif Nos Services Publics dans sa note sur l’externalisation au sein du secteur public, le recours à de telles prestations revient in fine plus cher que de travailler en interne, d’autant plus pour les services de l’État : c’est bien là que le bât blesse et que l’appel à ce genre d’entreprises apparaît comme une dilapidation pure et simple de l’argent public.

Une aide qui peut être bénéfique ?

Le cas des collectivités territoriales est quelque peu différent de celui de l’État ou de ses administrations si bien que le recours aux cabinets de conseil par ces acteurs peut, si l’on adopte un certain point de vue, apparaître comme bénéfique. Dans le cas de la construction d’infrastructures lourdes ou de marchés qui ne se présentent qu’à des dates éloignées les unes des autres, faire appel à ces entreprises peut sembler intéressant dans la mesure où il n’est effectivement pas pertinent qu’une collectivité (mairie, métropole, département) – notamment quand elle est modeste – dispose d’une personne dévolue à ces sujets s’ils se présentent de manière très sporadique.

Ce qui apparaît comme des économies peut également être vu comme une manière d’obtenir une expertise et une expérience dont ne disposent pas nécessairement ces collectivités. Construire une infrastructure sportive, passer un contrat pour la commercialisation des espaces forains de la ville, effectuer l’audit du fonctionnement d’équipements funéraires (et la liste est ici non exhaustive) sont autant de missions qui ne se produisent pas tous les jours et face auxquelles une collectivité peut se retrouver désarmée. À cet égard, le recours à des cabinets de conseil qui, eux, connaissent mieux les rouages et sont rompus aux négociations face aux acteurs privés peut apparaître comme pertinente voire salvateur.

La privatisation latente

Ce n’est donc pas tant, à mes yeux, sur la compétence ou l’incompétence des consultants et des cabinets de conseil qu’il s’agit de disserter si l’on souhaite faire preuve de conséquence mais bien sur la logique sous-jacente qui préside au recours à ces entreprises et, surtout, aux conséquences délétères que peut avoir cette prise de pouvoir souterraine des cabinets de conseil sur l’action publique. Comme expliqué en introduction, la montée en puissance de ces entreprises est concomitante de l’apparition du New Public Management, cette doctrine expliquant qu’il faut mettre au pas l’action publique et la faire entrer dans les canons du privé.

Dès lors, le recours aux cabinets de conseil est pervers à bien des égards : il agit comme une privatisation latente de l’action publique, les décisions étant quasiment remises dans les mains des consultants, il dépossède complètement l’administration de ses qualités dans la mesure où dans bien des cas le recours aux consultants est simplement une manière de faire valider des décisions déjà prises en internes mais qui ne sont pas suivies par les décisionnaires. Plus encore, notamment à l’échelon étatique, le recours à ces entreprises agit comme une sorte de prophétie autoréalisatrice : utiliser l’argent public – donc les impôts qui ne servent alors pas au développement des services publics – pour expliquer à quel point l’action publique coûte cher et qu’en conséquence il faut encore plus baisser les services publics, voilà un cercle vicieux extrêmement cynique auquel ont recours tous les tenants du néolibéralisme dans ce pays.

Les conflits d’intérêts

Tout cela est renforcé par un élément qui est rarement mis en avant lorsque le sujet est abordé, la potentialité de conflits d’intérêts pour les cabinets de conseil. Il ne s’agit pas ici de parler de conflits d’intérêts au sens juridique du terme mais dans un sens bien plus littéral. La plupart des cabinets de conseil – tous les plus gros d’entre eux – travaillent en effet à la fois pour le secteur public et pour les entreprises si bien qu’il n’est pas rare qu’un même cabinet puisse dans le cadre d’un appel d’offres conseiller d’une part l’acheteur public et d’autre part une ou des entreprises qui répondent aux marchés.

Bien évidemment, les activités de conseil au secteur public et celles de conseils aux acteurs privés ne sont pas opérées par les mêmes consultants et il est censé exister une frontière étanche entre les deux secteurs d’activité mais cela est pure théorie. Et quand bien même cette théorie pure et parfaite serait appliquée, les entreprises payent leurs prestations bien plus chères et ont donc accès à des consultants de plus grande expérience que les acteurs publics si bien que le rapport de force est de manière évidente fortement en faveur des premières.

Mutualisation, volontarisme et entraide pour sortir de l’ornière

Une fois que l’on a dit tout cela et avec toutes les critiques que l’on peut émettre sur la philosophie sous-tendant le recours aux cabinets de conseil, il faut bien reconnaître qu’une part importante des collectivités territoriales se retrouveraient fort démunies si du jour au lendemain ceux-ci se retrouvaient bannis. Est-ce pour autant une fatalité de constater leur influence croissante ? Je ne le crois pas. Bien au contraire, il me semble que partir du constat que les collectivités territoriales ont besoin d’être conseillées peut aboutir à des conclusions bien plus en phase avec une politique ambitieuse d’émancipation de ces cabinets.

L’on pourrait effectivement imaginer, pour sortir de cette ornière, qu’une mutualisation des forces entre collectivités territoriales d’un même bassin voit le jour. De ce fait, les administrations ne seraient plus responsables de répondre toutes les X années à telle ou telle mission mais bien plutôt de se servir de l’expérience et de l’expertise glanées sur une collectivité pour l’appliquer aux autres. Dans un schéma plus ambitieux encore, l’État pourrait construire une administration toute entière dévolue à ces sujets là et la mettre aux services des collectivités dans le besoin. Remettre l’action publique et donc ce qui influence concrètement la vie des citoyens dans les mains de cabinets de conseil souvent peu scrupuleux est loin d’être une fatalité. S’émanciper de ces acteurs est à la fois une impérieuse nécessité démocratique et un moyen de cesser de dilapider de l’argent public. Argent public qui pourrait alors être utilisé pour améliorer les services publics. En quelques mots, il s’agit de passer du cercle vicieux actuel à un cercle vertueux qui ne ferait que des gagnants, à l’exception des cabinets de conseil et de leurs affidés.

Billet initialement publié sur luttedesclasses.fr

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