Il y a quelques jours, le gouvernement a annoncé son intention de baisser de 5€ l’ensemble des aides au logement dans notre pays. Emmanuel Macron a certes tenté depuis de piteusement faire croire qu’il n’était au courant de rien mais personne n’est dupe de ce jeu de Tartuffe auquel nous assistons. Le nouveau locataire de l’Elysée a effectivement déjà affirmé par le passé être favorable à une baisse drastique des prestations d’aide au logement. Cette baisse de 5€ va toucher près de 6,5 Millions de foyers. Si la focale a été mis sur les étudiants, ceux-ci ne représentent en réalité qu’une part très minoritaire (800 000 personnes) des bénéficiaires des aides au logement – comprenant APL, ALF et ALS.
Cette décision est, il me semble, symbolique du début de présidence de Monsieur Macron. Qu’est-ce qu’un symbole en effet sinon quelque chose qui renvoie à autre chose qu’à elle-même, à un phénomène plus large qui la dépasse ? Décider de baisser les allocations logements c’est faire le choix de s’attaquer aux plus précaires, aux plus pauvres, aux plus dominés de notre société. C’est en effet dans les deux premiers déciles de la population que nous trouvons la part majoritaire des bénéficiaires de ses aides. Toutefois, pour être juste il faut reconnaitre que ce n’est pas simplement cette décision qui est symbolique du moment Macron mais également les réactions odieuses que nous avons pu entendre à la suite de cette décision.
Le creusement des inégalités
Si je parle de symbole de la politique du nouveau président pour évoquer la baisse future des aides au logement c’est précisément parce que cette décision vient couronner trois premiers mois qui ont vu le nouveau chef de l’exécutif prendre des décisions allant dans le sens de l’inégalité et de l’injustice. Après avoir théorisé « l’en même temps isme » tout au cours de sa campagne, le successeur de François Hollande a rapidement remisé au placard cette position, preuve une fois de plus de l’escroquerie qu’il représente. Depuis son accession à l’Elysée, en effet, il s’est méthodiquement appliqué à faire le lit de l’inégalité en permettant aux plus riches d’être toujours plus riches et aux écarts de se creuser drastiquement. Tout est réuni pour que la France soit plus inégalitaire dans cinq ans qu’aujourd’hui.
Effectivement, en l’espace de quelques mois, Emmanuel Macron a clairement montré dans quel sens s’orienterait son quinquennat. De sa réforme fiscale dont plus de la moitié des baisses d’impôts seront captés par le premier décile voir le premier centile à la baisse des APL pour les plus pauvres en passant par l’instauration d’une flat tax et par la baisse de l’ISF, tout est fait pour que le capital (donc les possédants) soit avantagé tandis que l’on tape toujours sur les mêmes en leur demandant de « participer à l’effort national ». La réforme de la CSG est à ce titre exemplaire du creusement des inégalités puisque ceux qui ont le plus à gagner sont ceux qui touchent déjà les revenus les plus élevés. Décidément, la justice sociale est loin d’être en marche.
Mépris de classe et violence symbolique
Je l’ai déjà écrit à de nombreuses reprises, les dominants et possédants sont sans doute les seuls aujourd’hui à avoir une conscience de classe, les seuls à être à la fois une classe en soi et une classe pour soi pour reprendre les propos de Marx. En ce sens, il n’est guère surprenant d’avoir assisté à un véritable mépris de classe doublé d’une violence symbolique inouïe à la suite de l’annonce de la future baisse des aides au logement. Plus que la mesure, en effet, ce sont les réactions de certains membres de la classe politique comme de nombreux messages sur les réseaux sociaux qui ont été révélateurs d’une crasse arrogance de la part de la bourgeoisie.
Si ce n’était pas si tragique, il y aurait eu quelque chose de franchement comique à voir ces personnes qui n’ont jamais été dans le besoin et qui, manifestement, ne savent pas ce que représentent 5 euros – après tout comment leur en vouloir lorsque l’on sait qu’ils gagnent confortablement leur vie ? – venir expliquer aux dominés comment gérer la future baisse de leurs ressources ou leur dire qu’après tout ce n’était pas si grave. Il y avait il me semble des relents de mission civilisatrice au cours de laquelle les parfumés ont expliqué aux gueux comment bien utiliser leur argent. Cette arrogance et cette morgue sont absolument intolérables surtout venant de ceux qui se gavent sur le dos des dominés.
La rhétorique anti-pauvres
Finalement, ce à quoi nous avons assisté durant des jours et des jours n’est rien d’autre qu’une formidable libération de la parole anti-pauvres dans notre pays. De la député Claire O’Petit à une foultitude d’éditorialistes en passant par la masse de Twitter, c’est à un véritable déferlement de haine et de mépris que nous avons eu droit. Au-delà de la leçon sur comment gérer son argent prodigué par ces cuistres, nous avons en effet pu voir le visage hideux de cette bourgeoisie qui se croit tout permis. Parmi les propos les plus détestables la palme revient assurément à tous ceux qui expliquaient que la baisse de 5€ pouvait être compensée en fumant moins ou buvant moins. Si cette assertion était avant tout destinée aux étudiants elle s’adressait à toutes les personnes touchées par cette baisse.
Au-delà du présupposé odieux qui postule que tous les bénéficiaires des aides au logement sont des fumeurs invétérés ou des poivrots finis, ces propos comportent, il me semble, une réelle rhétorique hostile aux pauvres. Il faut, en effet, entendre derrière ces préconisations que les pauvres n’ont droit à aucun loisir. Sans compter le fait que certains des bénéficiaires de ces aides au logement comptent le moindre euro et se serrent la ceinture dès le début du mois, expliquer que la cigarette ou l’alcool doivent servir de variable d’ajustement c’est refuser tout loisir aux plus pauvres. Cette attitude est puante ni plus ni moins.
Nous le voyons donc, au-delà de la mesure prise, c’est toutes les réactions qui l’ont accompagnée qui sont un puissant révélateur de la haine des pauvres présentes dans notre pays. Le plus triste sans doute c’est de voir des personnes gagnant à peine au-dessus du revenu moyen se prêter à ce jeu-là. Comme l’a si bien dit un sénateur récemment nous vivons dans un pays où celui qui gagne 20 000€ par mois parvient à persuader ceux qui en gagnent 1500 que le problème vient de celui qui touche 500€. Il nous faut urgemment travailler à une réelle convergence car ce ferment de la division est assurément le meilleur moyen que les dominants restent à leur place bien au chaud. Je vous laisse sur ces si belles paroles de Victor Hugo dans Les Misérables : « En 1793, selon que l’idée qui flottait était bonne ou mauvaise, selon que c’était le jour du fanatisme ou de l’enthousiasme, il partait du faubourg Saint-Antoine tantôt des légions sauvages, tantôt des bandes héroïques.
Sauvages. Expliquons-nous sur ce mot. Ces hommes hérissés qui, dans les jours génésiaques du chaos révolutionnaire, déguenillés, hurlants, farouches, le casse-tête levé, la pique haute, se ruaient sur le vieux Paris bouleversé, que voulaient-ils ? Ils voulaient la fin des oppressions, la fin des tyrannies, la fin du glaive, le travail pour l’homme, l’instruction pour l’enfant, la douceur sociale pour la femme, la liberté, l’égalité, la fraternité, le pain pour tous, l’idée pour tous, l’édénisation du monde, le Progrès ; et cette chose sainte, bonne et douce, le progrès, poussés à bout, hors d’eux-mêmes, ils la réclamaient terribles, demi-nus, la massue au poing, le rugissement à la bouche. C’étaient les sauvages, oui ; mais les sauvages de la civilisation.
Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.
En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d’une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud. Quant à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares ». Méditons les.