Il n’y a qu’un seul problème vraiment sérieux avec le vernis : passé un certain temps, il finit par s’écailler et donc par mettre à nu ce qu’il recouvrait en même temps qu’il montre le vrai visage de ce qu’il cachait. Il ne me paraît pas exagéré de dire que, seulement 26 jours après sa prise de fonction, le vernis progressiste de Monsieur Macron a singulièrement disparu. Rarement un tel vernis se sera écaillé aussi vite. Il faut dire que cet écaillement et ce qu’il révèle sont proportionnels aux attentes qu’a suscitées le monarque républicain. Dès le lancement d’En Marche, en effet, le nouveau Président de la République a répété à longueur de temps qu’il était dans le camp des progressistes et qu’il luttait contre les conservateurs.
Je ne reviendrai pas dans ce billet sur la potentielle dangerosité que comporte un tel clivage en cela qu’il substitue au clivage politique un clivage moral mais il me semble nécessaire de revenir sur le positionnement que disait représentait notre jeune monarque. En s’affirmant comme progressiste, Emmanuel Macron se présentait finalement comme un libéral absolu – ce que Le Monde Diplomatique titra comme « l’extrême-centre ». Par libéral absolu il faut comprendre que Macron disait être libéral à la fois sur les plans économique et politique. En cela, son positionnement était réellement singulier puisqu’il se détachait de Valls ou Fillon qui eux sont libéraux économiquement mais illibéraux (voire franchement conservateurs) politiquement ainsi que de Mélenchon ou Hamon qui, au contraire, sont libéraux politiquement mais hostiles au libéralisme économique. Après avoir enfumé son monde, voilà que Macron a révélé son vrai visage sous le vernis écaillé : il n’est libéral qu’économiquement.
Propos abjects, politique inhumaine et fait du prince, la Sainte Trinité du monarque Macron
Dans un excellent thread, l’ami Benjamin a bien résumé les différents exploits de notre cher Président depuis sa prise de fonction. Il me paraît fondamental de revenir sur trois des éléments qui ont concouru à écailler ce si beau vernis déposé par la doxa médiatique dominante tout au fil de la campagne. Le moins que l’on puisse dire c’est que le nouveau Président n’a pas attendu longtemps pour faire montre de son illibéralisme politique puisque dès le début de son mandat on apprenait que l’Elysée souhaitait désigner nommément les journalistes qui pourraient suivre Emmanuel Macron lors de ses déplacements. Il va sans dire qu’une telle position – couplée aux insultes proférées par l’équipe du monarque à l’encontre de certaines équipes de télévision – va frontalement à l’encontre de la liberté de la presse.
Plus grave encore, à mes yeux, sont les relents racistes de la politique menée par le gouvernement à l’égard des migrants. Le gouvernement fraichement nommé a expliqué, par la voix de son ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, que l’Etat reconduirait à la frontière des migrants avant même qu’ils aient pu déposer une demande d’asile dans notre pays. Cette décision est une atteinte manifeste aux droits humains les plus élémentaires et il va sans dire que c’est purement et simplement une honte que notre pays agisse de la sorte. Et que dire du scandaleux lieu de détention illégal à la frontière italienne ? Emmanuel Macron n’est, lui non plus, pas en reste comme en témoigne ce qui a été désigné comme une « blague maladroite » mais qui n’est en réalité qu’un propos absolument abject. Je veux bien entendu parler de sa phrase sur les kwassa kwassa et sur les Comoriens qui, si elle avait été prononcée par Mélenchon, Fillon ou Le Pen, aurait à juste titre provoqué un tollé gigantesque. Il faut croire que la mansuétude des médias à l’égard du nouveau Président n’a pas de limite.
Heureusement, la France a « fait barrage »
Durant l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, médias et classe politicienne dans son ensemble ou presque ont expliqué à tort et à travers qu’il fallait faire barrage au Front National et donc voter pour Emmanuel Macron. Il le fallait, nous disait-on, en partie pour le caractère raciste du programme frontiste mais il le fallait surtout pour ne pas que notre pays sombre dans l’autoritarisme voire la dictature. C’est en effet l’antienne qui a été le mieux partagée durant les deux semaines qui ont séparé le premier tour du deuxième, celle qui nous a expliqué qu’au vu de nos institutions il ne fallait absolument pas qu’elles tombent aux mains de Madame Le Pen – personne n’a pourtant daigné s’interroger sur les institutions elles-mêmes. La France, au soir du 7 mai dernier, a donc « fait barrage » au FN aux dires de tous les prêcheurs de la bonne conscience et antifascistes d’opérettes.
Nous l’avons vu en première partie, le Président veut choisir quels journalistes le suivront. Mais après tout ça n’est pas bien grave puisque la France a « fait barrage ». Notre pays reconduit à la frontière des personnes sans leur laisser la possibilité de déposer une demande d’asile, notre Président tient des propos racistes ? Ce n’est pas grave la France a « fait barrage ». La France a tellement « fait barrage » au fascisme que le gouvernement envisage de faire passer une loi – je pèse mes mots – qui est fondamentalement fasciste en cela qu’elle va permettre la prise de pouvoir de l’exécutif sur la justice et qu’elle va mettre en place un pouvoir arbitraire. Il s’agit bien évidemment de la loi qui veut faire retranscrire les principales dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun. D’une certaine manière cela serait la sortie de l’hypocrisie et la reconnaissance que l’état d’urgence est devenu permanent. Assignations à résidences, port d’un bracelet électronique, interdictions administratives de déplacement ; toutes ces décisions pourraient être prises par le préfet sans passer par la justice. Cette loi, le FN ne l’aurait pas renié. Il faut, je crois, faire comme Orwell et nommer les choses par leur nom – le grand journaliste et écrivain ne disait-il pas que dire la vérité en des temps de mensonges généralisés était déjà révolutionnaire ? – c’est-à-dire qu’il faut affirmer haut et fort que notre pays n’est déjà plus un Etat de droit (il s’est retiré de la convention européenne des droits de l’Homme depuis la proclamation de l’état d’exception). Voilà où nous mène le soi-disant progressisme de Monsieur Macron, vers un autoritarisme certain.
Nous le voyons donc, la situation est grave, c’est un euphémisme. Pourtant, il n’est pas dans mes habitudes de jouer les Cassandre ou de prendre des airs catastrophistes. Si nous ne faisons rien, sans doute nous réveillerons-nous un matin privés de toutes nos libertés fondamentales. D’ailleurs, toutes les mesures portées par la loi ont été testées, si l’on peut dire, sur les supporters de foot. Durant des années nous avons appelé vainement à l’action pour montrer à quel point les libertés fondamentales étaient en danger. Dans une indifférence presque générale voire dans un mépris qui frisait le mépris de classe beaucoup nous ont laissé être attaqués de manière abjecte sans broncher. Aujourd’hui nous voilà tous dans le même bateau liberticide et il nous faudra rapidement nous unir afin de faire reculer le recul de nos libertés déjà bien entamé. Aujourd’hui plus que jamais le slogan « liberté pour les ultras » retentit avec force et vigueur puisque bientôt la France entière pourra peut-être dire « nous sommes tous ultras » tant les libertés fondamentales auront été rognées. Finalement, les médias nous vendaient l’élection d’un Kennedy à la française et nous nous retrouvons avec un Valls à peine amélioré, un poil moins colérique et un peu plus souriant. C’est moche, c’est très moche. Mais, heureusement, la France a « fait barrage ». Réveillons-nous, il est plus que temps.