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Billet de blog 15 avr. 2022

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Les jours d’après (sur le 1er tour de la présidentielle et ses suites)

La déception et l'inquiétude sont grandes après les résultats du 1er tour de l'élection présidentielle. Pourtant, le score de Jean-Luc Mélenchon ainsi que la mobilisation dans les quartiers populaires sont porteuses d'espérances, à condition de saisir l'opportunité qui se présente à nous.

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Dimanche dernier à 20h, le couperet est donc tombé. Malgré le fol espoir d’une remontada durant la soirée, Jean-Luc Mélenchon a échoué à un peu plus d’un point et de 400 000 voix de Marine Le Pen, ne parvenant ainsi pas à déjouer le scénario prévu par le matraquage médiatique depuis des mois (voire années). Emmanuel Macron a réussi son coup, lui qui a passé son quinquennat à placer la présidente du Rassemblement National en première opposante. Dans une dizaine de jours, les Français et Françaises seront donc appelées à rejouer la finale d’il y a cinq ans.

Il serait pourtant illusoire de penser que cette affiche similaire n’est qu’une simple redite. Entre temps, un mandat s’est écoulé, la haine à l’égard du monarque présidentiel s’est largement accrue, la dédiabolisation du RN aussi et, surtout, une bonne part des personnes qui ont fait barrage en 2017 affirment qu’elles ne le feront pas cette année. L’horizon apparaît comme bien sombre et il y aurait de quoi se morfondre. Il y a toutefois des raisons de se réjouir et de sérieux motifs d’espoirs pour peu que l’on se donne la peine, à gauche, de ne pas gâcher l’occasion.

L’inévitable déception

Si espoir il peut y avoir, la conséquence oblige d’abord à dire que la déception est bien présente et qu’elle fut violente dimanche soir – d’autant plus après l’amorce de remontée dans la soirée. La dynamique de la candidature Mélenchon était indéniablement la meilleure sur la fin de la campagne. Le trou de souris théorisé depuis un moment par le dirigeant de la France Insoumise a bien failli se matérialiser et permettre la qualification au second tour, ce qui aurait indéniablement constitué un coup de tonnerre majeur dans la vie politique française.

C’est donc le visage marqué que Jean-Luc Mélenchon s’est présenté devant ses troupes au Cirque d’hiver. Son discours poignant – sonnant comme un testament – les multiples fois où il s’est accoudé sur son pupitre, la métaphore de Sisyphe, nombreux étaient les éléments qui témoignaient de cette violente déception comme il l’a dit lui-même. Ce ne serait effectivement pas se rendre service que de nous voiler la face. La déception est à la hauteur de l’espoir suscité sur la fin de la campagne et pour mieux la dépasser il faut l’accepter.

La campagne réussie

Parce que c’est bien là l’un des enjeux principaux pour la gauche aujourd’hui, enjeu magnifiquement illustré par Jean-Luc Mélenchon, celui de ne pas sombrer dans la sinistrose et de continuer dès aujourd’hui à construire pour approfondir la lutte. Le « faites mieux » du tribun adressé à la jeunesse ne dit pas autre chose. Le coup est rude mais il ne doit pas faire oublier à quel point la campagne fut réussie pour la France Insoumise alors même que la globalité des débats se roulait dans la fange.

C’est bien parce que la campagne a été réussie que l’hypothèse Mélenchon a vu le jour. Il sera temps d’étudier la part de vote utile et celle de vote de conviction mais, par rapport à 2017, une chose est certaine, le bloc de gauche a progressé en proportion et nous sommes en présence de trois blocs (le libéral autoritaire et le fasciste complétant le paysage) de force sensiblement égale. S’il faudra discuter et réfléchir à la manière de peser dans le cadre des élections législatives à venir, cet état de fait est bien là et il serait mortifère de ne pas saisir l’occasion.

La grosse mobilisation populaire

Là où la campagne (surtout la fin) et le scrutin sont porteurs de bons espoirs est sans conteste dans les quartiers populaires des grandes métropoles et des alentours. Réalisant d’excellents scores dans les grandes villes ainsi que dans les villes de banlieues paupérisées, la France Insoumise a indéniablement réussi à mobiliser une partie de l’électorat qui ne se déplace guère. Dans le 3ème arrondissement de Marseille, l’ex-ceinture rouge autour de Paris ou dans les quartiers populaires de presque toutes les grandes villes la participation a été plus importante que par le passé si bien que ce surplus de participation a fait démentir les sondeurs qui prévoyaient une abstention bien plus importante que celle qui est finalement advenue.

Cette participation importante dans les quartiers populaires s’est accompagnée de scores importants parmi la jeunesse, notamment de ces quartiers. Il s’agit indubitablement d’un vivier dans lequel il va être possible de puiser pour la gauche dans les années à venir pour peu qu’elle ne fasse pas n’importe quoi. Ce que nous démontre ce regain de participation dans ces territoires abandonnés par la République bourgeoise est assurément que les élucubrations des rouges-bruns qui nous expliquent matin, midi et soir que si la gauche ne gagne pas c’est parce qu’elle n’est pas assez raciste – « qu’elle ne parle pas d’immigration » en langage policé – ne résiste pas à l’analyse des faits. Ce n’est pas les « fâchés pas fachos » qui font défaut à la gauche mais bien les abstentionnistes qui auraient tout intérêt à voter pour elle.

Faire que ça ne soit qu’un début

Cette mobilisation quasi-inédite peut être à double tranchant et c’est pour cette raison précise qu’il importe de ne pas laisser la flamme s’éteindre mais au contraire la transformer en incendie qui brûlerait néolibéralisme et fascisme. L’engagement électoral de populations qui n’avaient pas l’habitude de le faire est assurément une bonne chose mais il pourrait bien être sans lendemain dans le cas où les organisations de gauche failliraient – d’autant plus après une telle déception.

Éviter le syndrome coup d’un soir est une impérieuse nécessité pour ne pas gâcher l’opportunité qui se présente à nous et le meilleur moyen d’y parvenir est sans aucun doute d’intégrer les voix de ces populations dans les mouvements politiques. Parler en leur nom ne suffit plus, il ne faut plus que les organisations de gauche se complaisent dans un rôle de courroie de transmission mais bien qu’elles fassent de la place à ces personnes. Ne plus être un haut parleur et redevenir, enfin, des endroits qui permettent aux premiers concernés de se défendre eux-mêmes.

L’engagement quotidien

Une autre manière de faire que ce 10 avril 2022 ne soit pas un coup d’épée dans l’eau réside incontestablement dans la position explicitant autant que possible que l’engagement doit être régulier sinon quotidien pour arriver à nos fins. Si toutes les personnes qui se sont mobilisées dans la dernière ligne droite de la campagne – peut-être même le jour du premier tour – prennent conscience que l’engagement quotidien dans les associations, les syndicats, les clubs sportifs, les comités de quartier (la liste n’étant ici pas exhaustive), même quelques heures par semaines, est l’un des plus puissants carburants du renversement de l’ordre établi alors nos forces seront démultipliées.

Évidemment, il peut être compliqué de s’engager pour certains mais il nous revient aussi de démystifier cette notion d’engagement, de montrer inlassablement que tous les petits actes sont utiles. Ils le sont moins pour eux-mêmes que pour la mise en mouvement qu’ils créent. Face à l’atomisation de la société portée par le néolibéralisme et la haine ethnique défendue par le bloc d’extrême-droite notre salut ne peut venir que du collectif. Le tout est plus grand que la somme des parties et les relations créées par l’action collective sont l’un de nos plus sûrs moyens d’inverser la dynamique.

Dimanche soir, dans son émouvant prise de parole, Jean-Luc Mélenchon nous a incités à faire « mieux » et comparé notre œuvre à celle de Sisyphe. Il peut ne pas être inutile de se rappeler des mots d’Albert Camus dans son Mythe de Sisyphe : « Je laisse Sisyphe au bas de, la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ». Au travail !

Billet initialement publié sur Lutte des classes

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