Il y a une semaine, Danièle Obono était invitée sur RMC dans l’émission les Grandes Gueules pour y passer le « grand oral » de l’émission. La nouvelle députée, membre de la France Insoumise, s’attendait sans doute à évoquer les grandes lignes de son engagement politique ou les multiples réformes qui s’annoncent dès le début de ce quinquennat – en particulier les ordonnances concernant la réforme du code du travail. Loin de tout cela, la séquence marquante de l’émission radiophonique restera cette injonction répétitive à dire « Vive la France ». Face à l’incompréhension de la néo-députée, certaines des personnes présentes ont conclu qu’elle était plus encline à dire « Nique la France » que « Vive la France » en référence à une pétition de soutien à un groupe de rap (Zep) signée par Madame Obono – nous y reviendrons.
Au-delà de la gêne qu’inspire la séquence, il ne me semble ni absurde ni exagéré de parler d’affaire Obono tant ce moment cathodique ainsi (peut-être surtout) que ses conséquences ont pris des proportions absolument délirantes. Nous avons assisté tout au fil de cette séquence médiatique à une véritable apocalypse si l’on s’en tient à l’étymologie grecque du terme qui signifie la révélation. Parler d’affaire Obono n’est pas, à mes yeux, exagéré précisément parce qu’elle a été un puissant révélateur et ce à plusieurs niveaux. Effectivement, cette affaire aura souligné le rapport hypocrite que certains entretiennent à la liberté d’expression en même temps qu’elle a mis en avant la triste conception que d’aucuns entretiennent ont de l’identité. Tentons donc d’analyser les tenants et les aboutissants de cette affaire pour expliciter ce dont elle est le symptôme.
La liberté d’expression à géométrie variable
Si l’on veut pleinement saisir les ressorts de cette affaire, il convient selon moi de repartir à la racine de la polémique. L’injonction à dire « Vive la France » a d’abord été prononcée par les journalistes présents sur le plateau en réponse à une pétition signée par la députée de la France Insoumise. Cette pétition signée il y a des années visait à défendre la liberté d’expression du groupe ZEP qui était attaqué pour avoir écrit et rappé le titre « Nique la France ». Ne reculant devant aucun raccourci et aucune simplification, nombre des personnes ayant (y compris certaines personnes présentes sur le plateau) la députée ont expliqué que celle-ci préférait dire « Nique la France » que « Vive la France ». Il convient de déconstruire ce mensonge, à aucun moment Danièle Obono n’a dit « Nique la France ».
J’ai pourtant souvenir d’une époque pas si lointaine où l’ensemble des médias nous faisaient, là encore, l’injonction « d’être Charlie ». Après l’odieux attentat qui a frappé le personnel du journal satirique, nous avons vu les mêmes personnes s’indignant à l’encontre de Madame Obono nous expliquer qu’il fallait défendre coûte que coûte la liberté d’expression. Est-ce donc à dire qu’il existerait un deux poids deux mesures dans la liberté d’expression ? Que certaines expressions auraient plus le droit d’être utilisées que d’autres ? Il me semble que du moment où les propos ne tombent pas sous le coup de la loi la liberté d’expression consiste précisément à défendre le droit de chacun à les exprimer aussi et surtout quand ceux-ci ne nous plaisent pas. Dans la tête de ceux qui ont attaqué Danièle Obono il semblerait que la liberté consiste simplement à faire ce qui leur convient. Il serait plus que temps que ces personnes se mettent dans le crâne que défendre la liberté de ceux qui pensent comme nous ou qui nous ressemblent n’est pas défendre la liberté mais simplement ses petits intérêts.
Racisme latent et racisme explicite
Au-delà de la question de la liberté d’expression qui est tordue dans tous les sens, il me semble que l’affaire Obono est également un modèle de racismes à la fois latent et explicite que l’on peut voir se mettre en place dans notre pays. Durant l’entre-deux tours, une autre injonction nous expliquait, au moins implicitement, que si l’on votait contre Marine Le Pen on voterait contre le racisme, un peu comme si le racisme n’était pas déjà présent dans notre pays. Déjà à ce moment-là je trouvais cette position à la fois absurde et complètement aveugle en cela qu’elle niait la présence dudit racisme dans notre pays. La séquence dans les Grandes Gueules est venue rappeler avec force et vigueur à quel point ce problème demeurait présent dans notre pays.
Cette invitation plus qu’appuyée à dire « Vive la France », nous l’avons vu, venait en réponse à la signature d’une pétition. Danièle Obono n’est pourtant pas la seule personnalité politique à l’avoir signé et aucun des autres signataires n’a été sommé d’énoncer ces mots pour montrer patte blanche. La deuxième injonction à dire « Vive la France » est arrivée après un long laïus du journaliste qui expliquait que Danièle Obono devait dire la fameuse expression au vu de son parcours. Au-delà de la simple question du racisme latent, cette deuxième injonction confinait même au mépris de classe, un peu comme si une personne issue des classes populaires avait d’autant plus à prouver son attachement au pays. La deuxième phase de ce racisme a été un racisme totalement explicite, cru et absolument abject notamment sur les réseaux sociaux où Madame Obono a subi des propos qui tombent sous le coup de la loi et pas simplement de la part de personnes sympathisantes de l’extrême-droite. Que cela plaise ou non dans l’horrible séquence à laquelle nous avons assistés il y a eu une alliance de fait entre ces deux types de racisme.
Identité, la si triste approche
Si l’on tente de dépasser cette seule affaire, on constate assez rapidement qu’elle s’inscrit dans une tendance de fond qui tend à aborder de manière nauséabonde la question de l’identité. En ce sens l’attaque du « Nique la France » est évidemment considérée comme une atteinte à l’identité nationale. Il s’agit, selon d’aucuns, de défendre notre identité face à une identité venue d’ailleurs. Il serait à la fois absurde et dangereux de balayer d’un revers de main ce débat et certaines des peurs générées dans notre pays. Bien que ne pensant pas, à l’inverse de Manuel Valls, que la première des questions soit identitaire, je considère que cette question est importante et que notre pays gagnerait à avoir un débat serein et argumenté sur cette question, loin de l’hystérie avec laquelle celle-ci est quasiment toujours abordée. La manière que nous avons de concevoir l’identité est, il me semble, assez triste puisqu’on la considère presque toujours comme un corset, comme une cage qui nous oblige et jamais comme une attitude, une manière d’être face au monde. Aussi trouvé-je très intéressante la notion de personnalité développée par Régis Debray dans Madame H qui laisse une place à la modulation et tente de remplacer le corset par une forme de repère qui nous permet de nous guider sans nous enfermer dans une mâchoire d’airain. L’identité telle qu’elle est conçue dans le débat public ressemble étrangement à ce que Nietzsche appelait l’histoire monumentale, cette histoire tellement magnifiée qu’elle nous empêche d’être dans le domaine de l’action.
Pour rester dans le domaine philosophique, Nietzsche met en exergue deux autres types d’histoire : l’histoire traditionnaliste (ou antiquaire) et l’histoire critique. Le philosophe nous explique que chacune de ces trois espèces d’histoire sont mauvaises en excès et qu’il faut donc doser, jauger, équilibrer pour parvenir à une forme d’ordre harmonieux. Il me semble qu’il en va de même avec l’identité qui loin d’avoir pour seule vocation d’être une cage peut aussi permettre de s’élever et de s’améliorer. Tous autant que nous sommes, nous faisons déjà cette expérience au quotidien. Nos identités individuelles sont toutes plurielles, façonnées par nos origines, notre vécu, nos centres d’intérêts, etc. Pourquoi en serait-il différent pour une identité collective ? Il ne me semble pas totalement juste de parler d’une identité et une seule qui aurait la forme d’un bloc monolithique. L’identité française c’est certes une histoire monarchique mais c’est aussi les soubresauts des multiples révolutions, c’est Jaurès et Zola mais c’est également Maurras et Céline, c’est la résistance mais c’est aussi la collaboration. Vouloir résumer l’identité d’une nation à quelques éléments immuables et intangibles c’est finalement s’enfermer et s’aliéner d’une certaine manière de la même manière que l’on reproche à telle ou telle catégorie de personne d’être aliénée, asservie ou dogmatique. Il me semble que nous aurions énormément à gagner collectivement à avoir un débat posé et raisonnable sur cette fameuse crise identitaire que traverse notre pays.
Le symbole Obono
Si le cas de Danièle Obono me paraît tant pertinent et intéressant c’est aussi parce qu’elle représente une forme de symbole. Je crois en effet qu’elle renvoie à autre chose qu’à elle-même dans la mesure où elle met en lumière une partie non-négligeable de la population qui est souvent ignorée ou méprisée. Finalement, le refus de Danièle Obono de se soumettre à l’injonction qui lui était faite doit, à mon sens, nous permettre de parler d’un positionnement, celui qui refuse le patriotisme aveugle au prétexte qu’il faudrait mettre la nation au-dessus de la République. C’est, en somme, les tenants du fameux récit national qui sont tombés le plus violemment sur Danièle Obono. Simplement parce qu’elle a refusé de dire « Vive la France » ? Je ne crois pas.
Au contraire, il me semble que l’animosité qu’a suscitée la nouvelle députée est proportionnelle à la position qui est la sienne et à son refus de baisser la tête, ce qui, ne nous en cachons pas, constitue une nouveauté dans notre pays. Sans être sa représentante, Danièle Obono fait écho à toute une partie de la France, notamment celle issue de l’immigration mais pas que, qui refuse de faire comme si les multiples crimes commis par notre pays n’avaient jamais existé. Je me rappelle d’un numéro d’On n’est pas couchés au cours de laquelle Eric Zemmour avait expliqué qu’il fallait être avec son pays peu importe les circonstances. « Right or wrong it’s my country » avait-il dit reprenant ainsi une expression britannique. Je crois au contraire qu’aimer son pays c’est être totalement lucide sur ses erreurs, je crois, comme le grand Jaurès en son temps, que le courage « c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin », je crois qu’un amour sincère ne peut faire l’économie de l’exigence parce que l’on veut aimer l’être aimé dans sa plus belle forme. Danièle Obono renvoie donc à une partie de la France qui existe mais que les débats à la fois politiques et médiatiques s’appliquent méthodiquement à invisibiliser. De la même manière que Mohamed Ali était une partie de l’Amérique, celle que certains Américains ne voulaient pas voir, cette partie de la France existe et lui nier son existence ou l’empêcher de prendre la voix ne peut être que néfaste. Dans ses Feuillets d’Hypnos, René Char écrit que « notre héritage n’est précédé d’aucun testament ». Il me semble évident que cette assertion est aujourd’hui peut-être plus que jamais d’actualité. De l’ombre à la lumière il n’y a souvent qu’un pas, tâchons de le franchir.
Billet initialement publié sur mon blog