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Billet de blog 21 mars 2009

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L'attitude des élites torpille le contrat social

La crise financière, malgré l'optimisme forcé que veulent afficher les élites politiques et économiques, ne cesse de s'approfondir.

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La crise financière, malgré l'optimisme forcé que veulent afficher les élites politiques et économiques, ne cesse de s'approfondir. Les chiffres croissants du chômage plongent les décideurs politiques dans le désarroi et suscitent des inquiétudes grandissantes par rapport à la montée de la grogne sociale. Cela d'autant plus que ces décideurs politiques, ne pouvant anticiper les prochaines étapes de la crise, semblent confinés dans une posture réactive qui donnent l'impression qu'ils ne savent pas comment y faire face.

Alors que ces derniers tentent, sans grand succès jusqu'à présent, de faire repartir la machine économique tout en essayant d'apaiser les craintes de leurs populations par un contrôle de la communication politique et économique sur la crise, d'autres semblent s'acharner à provoquer le mécontentement populaire par toute une série d'actions marquées du sceau de l'inconscience ou de l'immoralité.

C'est le cas, par exemple, de l'annonce par Total de la suppression de postes d'emploi tout de suite après avoir annoncé, à grand renfort de communication, des bénéfices records et une distribution de dividendes à ses actionnaires. Le scandale des 165 millions de dollars US de bonus payés par AIG à certains de ses cadres, qui provoque un tollé aux USA tant dans la population générale qu'au niveau des responsables politiques, est une autre illustration de ces comportements qui jettent avec une désinvolture inouïe de l'huile sur le feu du mécontentement des couches populaires. D'autant plus qu'elles les premières à subir les dures conséquences d'une crise dont elles ne sont en rien responsables.

Sans vouloir aller jusqu'à appuyer l'analyse de certains qui prédisent un déchainement de la violence et le chaos en raison de cette crise économique, il faut quand même souligner que celle-ci n'est pas sans effet sur le contrat social sur lequel repose le fonctionnement des sociétés démocratiques. S'il peut être décliné en plusieurs principes ou règles, dans son essence, ce contrat social repose sur un fondement majeur et premier. Il s'agit d'un consensus tacite, non écrit ou formulé dans des textes juridiques, par lequel les populations acceptent de s'en remettre à leurs élites pour gouverner la Cité et ces dernières s'engagent à trouver, proposer et mettre en place des solutions, allant dans le sens de l'intérêt collectif, devant faciliter ou améliorer les conditions de vie de ces dernières.

Un tel contrat social suppose deux prémisses. D'une part, les gouvernés reconnaissent aux élites la capacité intellectuelle, technique et une légitimité, conférée par les urnes, pour mener à bien la barque nationale. Donc de trouver des solutions permettant au pays de surmonter les défis internes et externes auxquels il est confronté. D'autre part, en revanche, les élites s'engagent à œuvrer dans ce sens, avec une obligation de résultat qu'elles assument. Ce pacte tacite est cimenté par l'idée fondamentale d'une communauté de destin entre les deux, laquelle trouve son expression concrète dans celle de la solidarité sociale.

Ce pacte fondamental est gravement miné et mis à mal par le comportement des différentes élites dans la présente crise. En effet, les élites politiques montrent une incapacité criante et alarmante à adopter des mesures efficaces contre la crise. Cette incapacité est d'autant plus intolérable qu'elle prolonge celle de ne pas avoir vu venir la crise et ainsi la prévenir. On en vient à se demander si elles sont à la hauteur des engagements que suppose le contrat social. A ce constat d'incompétence s'ajoute le soupçon que des mesures adéquates et radicales, susceptibles de juguler la crise, ne sont pas prises parce que les politiques se couchent devant les élites économiques ou sont de connivence avec elles. Les paroles grandiloquentes de certains dirigeants quant à la fin du capitalisme immoral qui sont restées non suivies d'actions concrètes ne peuvent que renforcer ce soupçon, en l'alimentant.

Quant aux élites économiques, elles ont donné toute la mesure de leur aveuglément par la recherche effrénée et irrationnelle du profit. Essentiellement responsables de cette crise mondiale, elles ont perdu toute crédibilité et leur cote est au plus bas. Le coup terrible que leurs inconséquences portent au contrat social ne vient pas tant du fait qu'elles se seraient fourvoyées dans une certaine logique économique, mais plutôt et surtout de leur obstination à s'accrocher aux privilèges indus qu'elles se sont octroyés.

Cette attitude d'une bonne partie des élites économiques n'est pas qu'immorale, comme on le dénonce régulièrement et à juste titre, elle est aussi profondément attentatoire à l'idée de solidarité sociale. Ainsi, dégageant des bénéfices et payant de juteuses dividendes malgré la crise, les entreprises et leurs principaux gros actionnaires ne montrent aucune vraie propension à consentir des sacrifices pour diminuer l'impact de la crise qu'elles ont fomenté sur les couches les plus fragilisées de la société à cause de cette même crise. Cette indifférence ne pourra avoir comme effet négatif à long terme que de creuser le fossé d'incompréhension et de ressentiment entre les couches populaires et elles-mêmes.

Quant aux élites intellectuelles qui devraient former, guider, montrer le chemin et surtout être critique par rapport au système, elles se sont laissées aller à la fascination devant les miroitements du système. Au lieu de tirer la sonnette d'alarme contre les dérives, elles en sont arrivées à les célébrer, les justifier et de ce fait les légitimer. Pour n'avoir pas su garder ses distances, elles ont été aspirées dans l'emballement de la mécanique du système. Elles en sont venues à donner l'image d'être son organe de légitimation. Elles y ont laissé leur crédibilité et leur parole est devenue suspecte.

Cet échec des différentes élites les remet en cause aux yeux des couches populaires. C'est là une fracture dangereuse dans le contrat social. Si elles ne se ressaisissent pas vite, on peut craindre que les masses populaires ne s'abandonnent à d'autres voix. D'autres voies. Ce serait un scénario grave de conséquences pour la démocratie.


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