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Billet de blog 11 décembre 2025

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Centre experts ou canada dry des soins psy ?

J’écris sur le santé mentalisme et le FondaMentalisme depuis ma thèse de psychiatrie en 2010. Ce à quoi nous assistons n’est pas une guerre de chapelle en psychiatrie. Ceci est une bataille politique et culturelle avec les tenants de l’ordre dominant qui veulent imposer leur hégémonie dans le champ de la santé mentale. Les récalcitrants seront soit assimilés sous le prétexte « d’avancer tous ensemble », soit silenciés.

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J’écris sur le santé mentalisme et le FondaMentalisme depuis ma thèse de psychiatrie en 2010. Ce à quoi nous assistons n’est pas une guerre de chapelle en psychiatrie. Ceci est une bataille politique et culturelle avec les tenants de l’ordre dominant qui veulent imposer leur hégémonie dans le champ de la santé mentale. Les récalcitrants seront soit assimilés sous le prétexte « d’avancer tous ensemble », soit silenciés voire éliminés.

En ce qui me concerne, diagnostiquer, expertiser, orienter sans soigner reviendrait à trahir mon éthique médicale. Je suis psychiatre pour soigner, le temps qu’il faut et pas seulement pour faire des prestations expertes. Mon problème principal avec les centres experts c’est qu’ils entendent capter voire détourner les financements des soins réels, de terrain en faisant avaler aux grands publics que « ne pas soigner, c’est soigner ».

Il est nécessaire d’alerter et de se mobiliser notamment en signant la pétition contre la proposition de loi 385 qui arrive au Sénat le 16 décembre 2025.

Les centres experts sont le canada dry des soins : ça ressemble à des soins (diagnostic-recherche), ça se présente comme des soins (hôpitaux, blouses blanches, biomarqueurs, IRM, évaluations chiffrées) mais ce ne sont pas des soins. Etant entendu que soigner c’est être et faire avec les gens le temps qu’il faut.

Les centres experts sont les pointes avancées du santé-mentalisme : c’est un croisement de la cérébrologie (discours et pratiques centrés sur le cerveau) et du capitalisme algorithmique (produire des données, les valoriser, créer des marchés). L’enjeu : la diminution des coûts des services publics et l’augmentation des profits des acteurs privés.

Derrière l’offensive contre la psychanalyse, c’est en réalité une offensive contre des services publics accessibles qui soignent. Il ne faut pas tomber dans le piège tendu qui serait qu’une histoire de méthodes. C’est aussi et surtout une histoire de fric et de pouvoir.

L’enjeu est de savoir quelles politiques publiques voulons-nous ? Une politique de dépistage et de prédiction ou une politique de soin et de prévention ?

Deux problèmes :

1 – Le mantra de FondaMental depuis le début : la psychiatrie ne souffre pas d’un problème de moyens mais d’organisation. Conclusion : Donnons-lui les clés, le pouvoir et tout sera résolu dixit le livre « Psychiatrie : état d’urgence » co-édité par FondaMental et l’institut Montaigne en 2018.

2 - les centres experts servent à la privatisation du service public qui est vendu à la découpe aux start-up de la Mental Tech.

Ainsi :

1- Les patients sont transformés en « data mining », mines de données qu’il faut extraire pour nourrir les machines algorithmiques.

2- Les soignants sont transformés en outils d’extraction de ces données, leur travail est désormais un travail de datafication numérique et algorithmique standardisé. Le but : produire des données massives qui nourrissent les algorithmes.

3- Ces données sont accumulées et créent de la valeur, c’est à dire des profits grâce aux développements d’applications de e-santé mentale.

4- Les technologies FondaMentalistes se présentent comme des solutions à la pénurie alors qu’elles jouissent de la pénurie (en développant des marchés) et qu’elles renforcent la pénurie (en amoindrissant le financement des soins réels).

Il y a création d’un marché de la prédiction à partir de lien de corrélations et non de causalités. Et le grand public, les médias avalent ces discours sans critique. Repensons à la prise de sang qui devait diagnostiquer les troubles bipolaires, largement médiatisé en 2024. Dans la réalité des pratiques, qu’en reste-t-il ? Pas grand-chose.

Les patients sont les ressources humaines de cette extraction qui va profiter à la Mental Tech. Les soignants sont les ressources humaines pour aider le travail des machines et des algorithmes. Les politiques sont là pour donner leur validation à ce modèle de la santé publique qui bascule d’une offre de soins pour la population vers une création de marchés pour les intérêts privés / privatisés.

Le discours santé-mentalistes adressés aux politiques est toujours le même :

« La mauvaise santé mentale : 3 à 4 % du PIB », c’est « la première dépense de l’assurance maladie », « le coût en arrêt de travail » est lourd, c’est un « fardeau » pour l’économie. « La maladie mentale est une maladie comme les autres ». « Il faut déstigmatiser la maladie mentale ». « La santé mentale est une priorité de santé publique ». Nous avons déconstruit tous ces discours qui font de la santé mentale une problématique économique principale, plus une question de soins et de souffrance (dans « La santé mentale » paru à La Fabrique en 2014 puis dans « La révolte de la psychiatrie », la Découverte, 2020).

- l’IA, les applications, les algorithmes vont permettre de diagnostiquer et prédire le risque de rechute et fera mieux que les cliniciens dans leur bureau dixit les déclarations de Marion Leboyer au Big BPI de 2024 (accessible en ligne ici à 4h06 )

Illustration 1
Le capital algorithmique © Éditions Ecosociete

- Les liens avec les entreprises d’armement (Dassault), labos, cliniques, entreprises du monde du travail (Manpower) sont aussi des liens d’intérêt pour le développement de nouveaux marchés opportunistes, ils se font au nom du service public et sur le dos du service public, service public qui sera démantelé et qui ne soignera plus. D’ailleurs Dassault Systemes va héberger les données de santé extraites des centres experts de FondaMental au nom de la souveraineté. Souveraineté de qui ? Pour qui ? Pour quoi ?

En réalité nous assistons à une bascule extrêmement grave du santé mentalisme : la transformation des lieux de soins en désert médical et relationnel (les plateformes), des soignants en robots désaffectés, des patients en machine à prélever de la donnée. Cela a déjà commencé et avec ce projet de loi, cela va s’amplifier.

Arrêter la tentative hégémonique du FondaMentalisme est un impératif de soin et un impératif politique afin de construire, reconstruire des services publics de soins psy de proximité, humain et accueillant fondés sur les Droits des patients, sur le développement des contre-pouvoirs au sein des institutions, des services publics et de la société. Pas de psychiatrie qui soigne sans Etat de Droit et sans pluralité.

Mathieu Bellahsen, le 4 décembre 2025

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