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Billet de blog 22 juin 2024

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Parcoursuppression

Si la politique est aussi là pour améliorer la vie des gens, un seul programme énonce la suppression de Parcoursup. En tant que psy recevant des étudiants, en tant que parent, en tant que citoyen, cette mesure proposée par le Nouveau Front Populaire est de salubrité publique.

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Le pouvoir actuel a mis en place la préférence numérique depuis des années maintenant. Start-up nation dans tous les domaines : santé, éducation, travail, recours aux services publics… Avec la loi asile et immigration, la préférence numérique s’est définitivement mariée avec la preference nation. Cet « arc-de-préférence » n’a pas la remise en cause de Parcoursup comme perspective.

Parcoursup est une abomination. MonMaster est une abomination. Les algorithmes palliatifs aux pénuries de services publics, aux désertions de l’enseignement scolaire et universitaire, sont des abominations.

Facteurs d’angoisse, de découragement, de nihilisme, de haine.

Les algorithmes trient, rendent impossible l’accès à du lien inter-humain réel, à des personnes réelles. La gouvernementalité algorithmique est facteur d’exclusion et de violences aussi volontaires qu’inutiles. Préférer les machines aux personnes est une aberration qui nous contamine toutes et tous (que chacun pense à sa relation intime à son téléphone « intelligent »)...

Depuis quelque temps maintenant, je travaille auprès d’étudiants. Leur « santé mentale » - ou plutôt appelons ça leur détresse psychique et existentielle- est au plus mal. Pour l’expliquer simplement, le covid a bon dos. Car avant ça : inflation de la précarité étudiante, impossibilité de partir de chez ses parents, parcoursup, APB… Ne plus vraiment choisir ce qui nous plaît. Moins de marge de manoeuvre pour décider de son émancipation, de sa vie. Ne plus vraiment pouvoir chercher, tâtonner dans ce début de l’existence adulte. Pourquoi ?

Pour que les pouvoirs publics gèrent mieux les flux, pour qu’ils optimisent les déserts de service publics qu’ils ont créés par leurs politiques néolibérales autoritaires.

Sur le dos de qui ? De la jeunesse d’aujourd’hui, de la population active de demain. Choix délétère. Parfois, souvent, échouer, ne pas réussir, permet de se poser les bonnes questions, de s’orienter autrement dans la vie. Ce temps a été Parcoursupprimé.

Comment un gosse de 12-13-14-15-16-17-18 ans serait-il sûr de ce qu’il veut faire ? Les adultes, les vieux, rappelez-vous de votre vie, de votre jeunesse ! Cet impératif est monstrueux. Il dénie ce qu’est l’enfance, l’adolescence, l’entrée à l’âge adulte.

Cela ne fait-il pas partie de la vie d’hésiter ? De se confronter à ses idéaux ? De se coltiner des principes de réalité ?

Parcoursup concourt à la destruction de toute possibilité de transformation psychique. Du temps nécessaire. Ne plus être sûr de rien. Désirer une voie d’étude, d’apprentissage et se prendre dans la face le mur « dématérialisé » de l’algorithme. Puis se résigner, aller dans des filières où il y a de la place, le temps de refaire une demande… Etre en colère. Déprimer. Arrêter.

Comment les parents à travers tout l’hexagone acceptent-ils ça ? Comment acceptons-nous cela ? Le pouvoir disciplinaire de l’algorithme est une chienlit. Révoltant.

Une hypothèse. Il y a vingt ans, « la jeunesse emmerdait le front national », encore. Aujourd’hui, une partie d’elle est attirée par ce nihilisme qui érige la haine en désir. Effets de plusieurs années de Parcoursupplice ? D’abandon de la jeunesse au nihilisme des adultes : nihilisme écologique, social, de justice ?

D’ailleurs, est-ce normal en démocratie que le paramétrage des algorithmes soit inconnu ? Secret industriel de la start up nation autoritaire ?

Purée d’adultes privilégiés qui programment le désastre de nos gosses.

Il n’y a pas de désir algorithmique. Juste un désert. Et nous sommes responsables collectivement de le laisser prospérer.

Alors, que la suppression de Parcoursup soit inscrite dans un programme voilà une très bonne nouvelle pour sortir de cette fatalité largement partagée dans le pays. Certes, les privilégiés s’en sortiront toujours - Parcourstanislasisé-. Ils auront des combines pour maximiser les chances de leur progéniture avec l’algorithme. Et les autres ? La majorité ?

Pour toutes et tous, les psys sont convoqués : écoute, thérapies, traitements, médicaments… MonMaster-MonPsy, même logique.

Pourtant, cette logique individualisante de la souffrance est facile à désarmer. Il suffit de redonner un espoir à la jeunesse, des perspectives d’émancipation, de s’affronter en conscience aux réalités à venir. La posture de nos dénis -écologiques, psychiques, politiques - entraîne toujours et encore le désespoir, le repli, la désignation de boucs émissaires.

Bien sûr la suppression de Parcoursup, à elle seule, ne suffit pas. Elle doit être accompagnée d’un salaire universel pour les étudiants, de la création de places dans les universités et écoles publiques. D’une politique de création de logements étudiants dignes de ce nom.

Un seul programme porte cette proposition de salubrité publique, celui du Nouveau Front Populaire. Les deux autres n’en parlent pas. Le premier a mis en place Parcoursup et ne jure que par les dieux de la binarité numérique. Le second aime trop le tri, l’exclusion et la déshumanisation pour s’en priver. La start-up nation est une impasse. La prefer-up nation en est une autre.

Dans ce moment de notre société où les écrans remplacent les gens, supprimer Parcoursup et son grand frère Monmaster est une première brèche. Salubrité publique pour la démocratie, pour l’égalité et pour le lien social.

Arrêter de transformer l’intelligence des enfants en intelligence artificielle. En intelligence d’artifice. En Fake. Bon programme d’un point de vue du soin psychique. Ne plus faire des psys la réponse privilégiée à de programmes politiques toxiques.

Pour l’instant, le choix des pouvoirs publics est clair : algorithmer toujours plus partout pour définancer le public, pour créer des marchés aux boîtes privées. Spéciale dédicace à France Biotech qui fait de même dans le domaine de la santé.

Algorithmer ensuite pour déresponsabiliser les responsables de cet enfer machinique. Pour qu’il n’y ait plus de recours possible pour les « utilisateurs ». Plus besoin de parler de citoyens, d’usagers. Plus besoin de parler de services publics. Paroxysme du service client comme forme politique.

Algorithmer enfin pour supprimer les lieux de sociabilité, de parole, de rencontres et d’échanges. Car se relier, discuter, parler permet de se poser des questions sur le monde. Voire de le (re)mettre en question… Algorithmer pour déconstruire les collectifs de travail, de soin, de soulèvements.

Instituer des espaces de solidarité est un remède à cette logique algorithmique. Meilleur antidote aux poisons de l’inhospitalité, des peurs fantasmées. Inféoder les algorithmes aux logiques humaines. Pas l’inverse.

Aujourd’hui, les recalés de Parcoursup se tournent vers des écoles et facs privés à plusieurs milliers d’euros par an. Les étudiants font des prêts, s’endettent, travaillent le week-end, sont exploités. Quand ils échouent dans ces boîtes à étude, ils sont ruinés. Quand ils réussissent, au mieux ils ont un carnet d’adresse, au pire ils ont des diplômes peu ou pas reconnus. Au pire du pire, ils feront partie de la cohorte des futurs nihilistes destructeurs. Ils y sont bien arrivés, que les autres s’y plient. Logique de soumission, de domination.

Beaucoup se poseront ensuite la question de bifurquer devant ces bullshit-studies et leur suite logique, ceux des bull-shit jobs made in Start up global nation.

Là, pas besoin de trop faire d’études pour voir comment se mesure le coût psychique de cette politique abjecte. Désespoir, anesthésie affective, clivage, tentatives perverses, mélancolisation, bêtises. Les chemins de l’amputation psychique individuelle et collective sont multiples.

Si ça continue, dans quelques années, nous aurons des équivalents d’Occupy Wall Street pour contester les prêts étudiants, l’inflation de la précarité et de la déliaison.

Les algorithmes pressurisent les enfants, les adolescents, les étudiants, les parents, les familles. Au lycée, des élèves ne se rendent plus à certaines évaluations, pour ne pas être pénalisés dans les calculs obscurs de l’algorithme. Les algorithmes redessinent la réalité comme waze le fait avec le trafic routier. Des petites rues inconnues deviennent des lieux de passage du trafic de masse.

Parcoursup-Monmaster pressurisent toute la chaîne de l’enseignement (profs et administrations) qui se retrouve, elle aussi, plus souvent face à des écrans qu’à des élèves. Les algorithmes produisent du fake, du toc. La réalité de masse qu’elle génère est celle du désespoir, de l’arbitraire, de la violence.

Dans certaines facs, des vigiles ont été engagés pour refouler les étudiants qui tentent de se rendre physiquement à l’administration pour avoir des explications, en vrai. Le marché de la sécurité - matériel lui- a de beaux jours à l’heure de la « dématérialisation » algorithmique.

Alors supprimer Parcoursup, oui, c’est une proposition de salubrité publique. Elle toucherait de façon positive des millions de personnes et en premier lieu les adolescents, étudiants, parents.

Il est urgent que ce thème de campagne sorte de l’ombre. Nous avons deux semaines pour que puisse être stoppée cette mutilation de la jeunesse.

Illustration 1
Parcoursuppr

Mathieu Bellahsen, le 22 juin 2024

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