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Billet de blog 29 mars 2023

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Conseil Constitutionnel, contention psychiatrique et dénis

Pour la troisième fois en trois ans, le Conseil Constitutionnel rendra une décision concernant l'isolement et la contention en psychiatrie ce 31 mars. Aucun débat sur ces mesures gravement attentatoires à la liberté et à la dignité. Il est tant que cela cesse. Avec ses morts tous les ans, l'abolition de la contention mécanique doit devenir une priorité de santé publique.

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Ce 31 mars 2023, pour la troisième fois en trois ans, le Conseil Constitutionnel rendra une décision sur le contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention en psychiatrie suite à deux QPC (questions prioritaires de constitutionnalité). Ces pratiques d’entraves qui consistent à enfermer des personnes et à les attacher avec des sangles aux pieds, poignets et abdomen ont provoqué des inconstitutionnalités en cascade. 

Depuis trois ans, le gouvernement refuse d’avoir un débat d’ampleur sur ces pratiques coercitives et utilise à chaque fois des véhicules législatifs inadaptés : loi de finance de la sécurité sociale 2021 et 2022, loi sur le pass vaccinal (cette mode a donc été lancée avant la contre réforme des retraites...). Une réponse exclusivement technique est apportée à ces pratiques traumatisantes pour les personnes qui y sont soumises. Depuis trois ans, le débat démocratique contradictoire manque là aussi. 

Alors que de nombreux pays et instances internationales sont sur le chemin de l’abolition de la contention mécanique et de la décroissance des mesures d’entraves, à l’instar de l’ancien ministre de la Santé Véran les gouvernants et une majorité de soignants en France considèrent ces mesures comme « thérapeutiques ». Si certaines de ces mesures de contrôle s’avèrent nécessaires dans de rares situations, les revendiquer comme thérapeutiques légitime leur usage et les abus. Il est ainsi perpétué la culture de la soumission et de la coercition sur les corps psychiatrisés équivalent psychiatrique de la culture du viol et de la domination au sein de nos sociétés.

En 2021, sur les 78500 personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement, plus de 29 000 ont été en chambre d’isolement et de surcroît 10 000 d’entre elles ont été attachées. Derrière ces chiffres des catastrophes existentielles et une perte de confiance parfois irrémédiable dans les soins.

Ces mesures dites de « dernier recours » se systématisent à mesure que le système contentionnaire se renforce en psychiatrie. Dans l’indifférence des pouvoirs publics français se développent les complicités et les maltraitances institutionnelles généralisées. Elles s’expliquent par de nombreux facteurs : imaginaire sécuritaire prégnant dans la société et dans les soins, pénuries de moyens psychiques et humains pour accueillir les personnes troublées, désintérêt de la psychiatrie pour l’activité de soins complexes, contentions financières du service public psychiatrique et contention législative par l’absence de débat éclairé.

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Abolir la contention et le système contentionnaire (Libertalia, 2023, à paraître) © Libertalia

Dans un travail à paraître prochainement, j'ai pu constater que du côté de la littérature scientifique internationale, le désintérêt est patent. Entre 1976 et 2023, 296 articles traitaient de la contention mécanique en psychiatrie alors qu’ils étaient plus de 110 000 à traiter des médicaments antipsychotiques... L’enjeu est aussi au niveau des politiques internationales comme nous y invite le Conseil de l’Europe dans un rapport de 2021 pour « prévenir et réduire la coercition dans les établissements de santé mentale ». L’Islande a aboli la contention et de nombreuses initiatives se développent partout en Europe et dans le monde : Espagne, Norvège, Suisse, Québec, Etats Unis, Nouvelle Zélande… 

Dans ce contexte, la France doit-elle se contenter du retour à un fonctionnement asilaire transformant l’emprise sur les corps des personnes psychiatrisées en « soins »? Or la contention tue. Entre 2011 et 2019, l'ANSM relate dans un rapport récent quarante deux morts déclarés dus à la contention mécanique.

Comme en témoignent les Assises de la santé mentale de 2021, les pouvoirs publics sont désormais plus intéressés par la e-santé mentale et sa dématérialisation ; dans les pratiques de la psychiatrie « ordinaire » cela se traduit par la sur-matérialisation de sangles et de murs. 

Nous demandons que s’ouvre un débat national en vue de politiques réelles et de pratiques concrètes soutenant la dignité des personnes ayant des troubles psychiques graves, la sauvegarde des Droits Humains fondamentaux. La psychiatrie doit (re)nouer avec des dimensions thérapeutiques réelles, sans se contenter exclusivement des gadgets de la e santé mentale et des recrudescences asilaires répressives et coercitives.

Le silence, le mépris et la honte qui nous attachent toutes et tous au système contentionnaire doivent cesser. 

Mathieu Bellahsen, le 29 mars 2023

PS: je profite de ce billet de blog pour signaler la soirée autour des Révoltes Psy organisée par les éditions La Fabrique le jeudi 6 avril 2023 à 19h au cirque électrique à Paris, place du Maquis du Vercors, Paris XXème.

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Révoltes Psy au cirque électrique, 6 avril 2023 © La Fabrique

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