Ils et elles sont les grands oublié-e-s des réformes sociétales qui ont traversé l’Europe ces dernières années. Dans un rapport documentant la situation des personnes transgenres dans sept pays d’Europe — dont la France — Amnesty International dévoile la violence des systèmes juridiques à leur encontre. Une communauté discriminée et "invisibilisée", qui représente pourtant plus d’un million et demi de citoyennes et citoyens.
Les droits humains sont souvent le fer de lance des discours des pays européens, prompts à donner des leçons aux pays jugés moins "progressistes". Pourtant, l’Europe est loin de pouvoir se targuer d’une législation respectueuse et protectrice des choix et des parcours de vie des trans. C’est ce qui saute aux yeux à la lecture du rapport publié mardi 4 février par l’organisation Amnesty International. Dans les sept pays (Irlande, Danemark, Finlande, Norvège, Allemagne, Belgique et France) documentés par le rapport, le simple fait d’aspirer à faire reconnaître son genre ressenti est source de violence vis-à-vis des trans. "Sur l’Etat-civil figure une particularité physique, son sexe, et non l’identité que la personne porte dans sa vie. C’est ce porte-à-faux, cette distinction qui est source de situations quotidiennes d’une extrême violence", explique Geneviève Garrigos. Pour la présidente d’Amnesty France, "c’est l’ultime bastion de la différence entre les hommes et les femmes" défendu par les conservateurs, pour qui s’y attaquer serait l’effondrement de la société.
"L’Etat décide qui je suis"
C’est le titre de ce rapport et une manière de résumer l’ingérence des pouvoirs publics sur les corps (et l’esprit) des trans. Ces dernières sont d’ailleurs toujours reconnues atteintes de "dysphorie de genre", donc malades, par l’ouvrage international de psychiatrie de référence [DSM4, ndlr], tout comme à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dès lors, les législations ont intégré ce "diagnostic" en conditionnant le changement d’Etat-civil — quand cela est possible — à tout un processus médicalisé voire psychiatrisé. Il faut passer par une évaluation psychiatrique très longue, puis par une opération appelée de "réassignation sexuelle" et donc une stérilisation forcée. Ce n’est seulement après avoir fait "ses preuves" qu’un juge peut accorder le changement de prénom et de sexe sur ses papiers. Un parcours usant, niant également la diversité des transidentités : "Les Etats ne devraient pas forcer les personnes transgenres à faire tel ou tel choix en faisant dépendre le changement d’état civil d’interventions chirurgicales, de traitements hormonaux ou de stérilisation", a d’ailleurs déclaré dans un communiqué Marco Perolini, spécialiste de ces questions au sein de l’organisation de défense des droits humains. En Europe, c’est au Danemark qu’existe le pire scénario : si le psychiatre considère que la personne est atteinte d’un trouble, il peut s’opposer à la délivrance d’un traitement hormonal, mais aussi au changement d’Etat-civil. Seuls les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède et la Pologne n’imposent plus d’opérations et de stérilisations. Loin du modèle argentin (changement d’Etat-civil automatique devant le maire à la simple demande de la personne concernée) cité en exemple par les associations trans. Et il règne sur le continent une "véritable omerta" sur le sujet, constate encore Geneviève Garrigos. 30 000 personnes seraient officiellement concernées par une opération ou un changement de sexe à l’Etat-civil. Mais d’après les chiffres d’Amnesty, fondés sur du déclaratif, près d’un million et demi de personnes transgenres vivent en Europe. D’où l’urgence de légiférer, notamment en France.
Toujours pas de loi, toujours pas de droits
Dans la pratique, pouvoir faire reconnaitre son identité de genre en France passe par l’avis d’un expert, puis par une opération (et donc stérilisation) pour avoir une chance de voir le juge statuer en sa faveur. Car en dehors de la jurisprudence, pas de texte législatif. En 2011, une proposition de loi, de la députée PS Michèle Delaunay, avait été déposée. Laissée pour morte, elle avait été reprise à la mi-2013, après que des auditions pour une nouvelle mouture soient ouvertes par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) et auxquelles Amnesty participe. Une nouvelle proposition, pour une "simplification de la procédure de changement de la mention du sexe dans l'Etat-civil" était attendue pour la fin de l’année dernière. Elle n’est jamais arrivée.
Et ce texte, au grand dam des associations trans, ne remettait pas en cause la médicalisation et la psychiatrisation de la transition. Mais ce qui a frappé la présidente d’Amnesty France durant ces débats, c’est l’idée d’évaluation de ce choix. "Le juge ne devrait pas pouvoir décider de ce changement pour la personne", estime-t-elle. Allant même plus loin : "Ce changement est ancré dans les racines patriarcales de notre système. Comme si l’on se disait : "mais comment un homme peut-il décider d’être un être inférieur ou à l’inverse, comme une femme ose-t-elle prétendre qu’elle se sent homme".
Une transgression
C’est parce qu’elle est toujours perçue ainsi que la question des droits des trans semble si difficile à aborder. Les derniers fantasmes de négation de la différenciation sexuelle à l’école sont la preuve d’une transphobie latente d’une société où le sexe de la naissance serait le genre intangible d’un individu qui se construit. Pourtant "en permettant à l’individu de construire sans les stéréotypes genrés et de décider de devenir homme ou femme, sans passer par le médical, on abolit la hiérarchie entre les sexes et on met l’ensemble des êtres humains sur un pied d’égalité", défend Geneviève Garrigos. L’essence même de l’engagement d’Amnesty International sur ce sujet : "Lutter contre toutes les formes de discriminations, c’est s’attaquer à cette distinction entre les sexes. Alors défendre le droit des trans, c’est un combat des droits humains." De 2008 à 2012, 1 083 homicides de personnes transgenres ont été recensés dans le monde. Et les recherches montrent que le nombre de morts augmente chaque année.
Plus d’infos sur http://www.amnesty.fr