Anatomie du con : l’enseignant macroniste face aux élections
Il y a cinq ans, on sait qu’environ 38 % des enseignants avaient voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle. Après un quinquennat de mépris de la part du ministre Blanquer, qui entre autres n’a pas hésité à falsifier les résultats du baccalauréat lorsque des enseignants se sont mis en grève et ont retardé la publication des notes de 250 000 copies environ, Macron et ses sbires ne peuvent plus compter sur la naïveté des 870 000 électeurs potentiels que représente le corps enseignant. C’est sans doute un des facteurs qui a poussé le président à flatter non plus seulement la droite, dont il a désormais complètement occupé le terrain, mais carrément l’extrême-droite, pour récupérer là les voix perdues à gauche au fil du quinquennat, à mesure que le masque tombait.
Sa rupture avec le cadre républicain est désormais totale : sa différence avec la droite classique de Pécresse n’était plus que cosmétique jusqu’à ce que celle-ci, par réaction, adopte pour s’en distinguer des positions extrême-droitières qui la rendent presque indissociable de Marine Le Pen et Eric Zemmour. Une des raisons pour lesquelles le président Macron entrera dans les livres d’histoire est bien celle-là : c’est sous son quinquennat que l’échiquier politique aura glissé spectaculairement vers l’extrême-droite contre laquelle il devait incarner le barrage républicain, et c’est sous son quinquennat, et encouragée par ses sorties (on se rappelle celle sur les comoriens) que ce sera banalisée une parole raciste, banalisation qui a permis la candidature d’un polémiste raciste multi-condamné promu par des médias privés aux mains de milliardaires d’extrême-droite (Bolloré par exemple ne cache plus sa volonté de faire advenir son projet de société). Que des ministres comme Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer se soient mis à employer un vocabulaire jusque-là réservé à la fachosphère comme « islamo-gauchisme », et s’engagent même à chasser cette prétendue idéologie des universités et du corps enseignant en dit long sur la lepénisation calculée du gang mafieux qui s’est emparé du pouvoir en 2017 sans base sociologique et sans ambition autre que de servir des intérêts privés qui leur rendront la pareille lorsqu’ils iront pantoufler dans quelque grand groupe industriel ou financier.
Or traditionnellement, le corps enseignant est plutôt considéré comme imperméable aux idées d’extrême-droite (contrairement à la police, par exemple, corps de fonctionnaires ouvertement raciste et gangréné par des influences néonazies), et attaché à l’intégrité du service public. Il se trouvera pourtant certainement encore, au 10 avril 2022, des enseignants prêts à glisser un bulletin macroniste dans l’urne. Ces enseignants relèvent d’une catégorie particulière qu’à défaut d’une meilleure appellation, nous appellerions, ordinairement, le con. Mais comme cette catégorie est d’une part entachée de sexisme, et que d’autre part elle manque de précision et d’ampleur à la fois pour donner la pleine mesure de la déchéance intellectuelle et morale de l’enseignant macroniste, il nous faudra examiner les abjections successives qui font du prof de droite un type social aussi répugnant qu’improbable. C’est ce que je me propose ici, en m’appuyant sur des conversations que j’ai eu le déplaisir de tenir avec l’un d’eux, mais bien évidemment aussi sur tout ce qui est de notoriété publique et que je ne ferai ici que rappeler et synthétiser.
Ainsi donc, le prof macroniste existe, je l’ai rencontré : Alexandre B. est par exemple responsable de La République Ensemble, dans le département de la Dordogne. En 2017, il était déjà peu capable de justifier sa position politique avant le premier tour. Pourtant enseignant en histoire-géographie, Alexandre B. (non, ce n’est pas Benalla, on reviendra sur Benalla plus loin) aurait pu par exemple arguer de la posture pseudo-gaullienne (le fameux ni droite ni gauche) de son candidat, ou d’autres paroles creuses de communicant (on sait qu’ils ne manquent pas dans l’équipe d’Emmanuel Macron, et on pense notamment à la fameuse Mimi Marchand, depuis inquiétée par la justice (https://www.mediapart.fr/journal/france/131121/tout-comprendre-l-affaire-mimi-marchand-sarkozy-en-moins-de-10-minutes). Mais dans une réponse d’une pauvreté confondante, Alexandre B. Avait à l’époque justifé son vote macroniste par la promesse du candidat de dédoubler des classes dans le primaire. Cette mesure, qui pouvait être vue d’un bon œil par beaucoup d’enseignants qui n’auraient pas poussé plus loin la réflexion, constituait une forme de rupture avec des politiques précédentes en apparence seulement : on pressentait qu’elle se ferait à moyens constants, c’est-à-dire en déshabillant Pierre pour habiller Paul (dédoubler dans le primaire impliquait d’alourdir les effectifs ailleurs, obligatoirement). On sait désormais qu’elle s’est faite sur fond de suppressions de postes.
Je cite : « La suppression de postes est devenue une constante chaque année alors que les effectifs des élèves augmentent, créant autant de besoins. L'embauche d'enseignants pour répondre (à niveau constant) aurait dû être la réponse normale. Mais non, depuis 2017, ce sont 7 490 postes d'enseignants du secondaire qui ont été supprimés sur l'ensemble du territoire. Ces postes supprimés depuis le début du quinquennat représentent l'équivalent de 166 collèges entièrement dotés. » (https://nvo.fr/chiffre/7490-suppressions-de-postes-dans-les-colleges-et-lycees-depuis-2017/)
Par ailleurs, cette mesure n’a pas eu l’efficacité escomptée comme le démontre une étude :
« S'il est certain que la réduction des effectifs a amélioré le climat de classe et les relations entre les professeurs et les élèves, l'amélioration du niveau reste à démontrer. [...] C'est peut-être parce que les élèves de Rep+ ne sont pas que des élèves. Ce sont aussi des enfants de parents pauvres. Selon l'Insee si l'on compte 15% de pauvres dans le pays, la pauvreté touche 21% des enfants. Certains sont à la rue. D'autre sont ballotés d'hôtel en hôtel. D'autres encore vivent très mal. Les réformes éducatives poursuivies depuis 2017 ont réduit leur nombre de journées de classe en CP et CE1 et alourdi ces journées. Leurs écoles sont plus touchées que d'autres par le manque d'enseignants. Parallèlement les conditions de vie de leurs parents se sont dégradées depuis 2017. Et on ne voit pas que le système éducatif se soit davantage adapté à eux après le CE1. » (http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/09/30092021Article637685820073902210.aspx )
La seule motivation d’Alexandre B. Pour voter Macron en 2017 s’avère donc être un leurre, surtout au regard de la politique anti-pauvres menée par le même gouvernement.
Si l’on ajoute à cela le mépris affiché par le ministre et son autoritarisme, celui-ci communiquant par voie de presse et non par la voie hiérarchique officielle (le dernier exemple flagrant a été le protocole sanitaire de la rentrée de janvier, communiqué le dimanche soir pour le lundi matin dans une interview au parisien depuis Ibiza), on comprend que 95 % des enseignants soient mécontents du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui a continué de geler leur rémunération au point qu’un enseignant débute à 1,2 fois le SMIC en 2022 alors qu’il débutait à 2,4 fois le SMIC en 1986. Le bilan de Jean-Michel Blanquer est surtout un bilan médiatique : aucun ministre de l’éducation n’aura passé autant de temps sur les plateaux télé ou à la radio (moins dommageable puisqu’elle épargne au public sa tête qui a pu être comparée à un suppositoire). Le plus antipathique des ministres de l’éducation depuis Claude Allègre est malheureusement celui dont on aura dû subir les mensonges le plus souvent : ce qui est logique, puisqu’avec la censure (première mesure mise en œuvre par Blanquer vis-à-vis des enseignants avec l’article 1 de la loi pour une « école de la confiance »), le monopole de la parole reste un moyen très sûr pour étouffer la vérité. Cette omniprésence médiatique aura inspiré de nombreux surnoms en salle des profs : personnellement, j’ai un faible pour « Oncle Fétide », en référence au personnage de La Famille Adams.
On pourra apprécier la ressemblance ici :
https://www.pinterest.fr/pin/600738037782981325/
Mais visiblement ces 95 % de profs mécontents n’ont rien compris, ils se fourvoient, puisque Alexandre B. , prof d’Histoire-géo et d’Education Morale et Citoyenne, non content de voter Macron au premier tour en 2017, a depuis pris des responsabilités politiques locales dans le mouvement La République En Marche. Motivé par un arrivisme tardif, ce quadragénaire chauve et légèrement hydrocéphale arbore un sourire colgate sur les photos officielles de son parti. Tant pis si ce sourire lui donne l’air d’un psychopathe. Cet engagement, par lequel notre collègue persiste et signe, revient à assumer le bilan de la macronie dans son ensemble. En particulier, pour un enseignant, le bilan de la politique éducative de Macron, mais aussi son projet pour l’école, annoncée comme grand chantier du second quinquennat qui se profile.
Ce programme, fait de vieilles recettes néolibérales, est une déclaration de guerre aux enseignants, guerre dans laquelle Macron compte enrôler les parents d’élèves : « L'idée de rendre les remplacements obligatoires va séduire les parents. Mais elle est elle aussi totalement inefficace. Dans le premier degré les élèves du maitre absent sont répartis entre les classes. Les professeurs ne sont pas payés pour cela et je doute qu'ils le soient à l'avenir. Dans le second degré on ne peut pas remplacer au pied levé un professeur absent. On peut faire une garderie ce qui n'est pas du tout la même chose. » Et dresser les parents contre les profs est sans doute le pire qui puisse arriver pour les élèves, qui vont se trouver pris au milieu.
Compte tenu du bilan calamiteux de Blanquer et du programme destructeur de Macron, il n’est guère surprenant que les enseignants se détournent du banquier improvisé devenu petit chef autoritariste. Si la communication de l’ancien ministre de Bercy pouvait faire illusion en 2017 et donner l’espoir d’un renouveau politique, la médiocrité, notamment intellectuelle, du personnage, est apparue au grand jour depuis, de même que celle de son programme, qui ne fait que reprendre des recettes néolibérales de Friedman, oui, celui-là même qui a participé à l’accession au pouvoir d’Augusto Pinochet au Chili en 1973 et inspiré son programme de réformes libérales qui ont appauvri le peuple chilien et enrichi les multinationales américaines, (voir Naomi Klein, La stratégie du choc, premier chapitre). Pas de renouveau dans les orientations économiques, donc, mais pas de renouveau non plus dans la posture politique : il s’est avéré que le personnel politique promu par Macron, venant du privé, était encore plus corrompu que celui des gouvernements précédents. Médiapart a ainsi recensé pas moins de trente affaires dans l'entourage direct du président (qui vont des délits de cols blancs comme la prise illégale d'intérêts jusqu'à l'agression physique avec probable intention de donner la mort) :
https://www.mediapart.fr/journal/france/060422/emmanuel-macron-cinq-annees-de-republique-exemplaire
Là où l’on s’était accoutumé à des petits détournements d’argent public, via des emplois fictifs par exemple, comme avec François Fillon ou Marine Le Pen, les confusions entre public et privé dans la carrière des fonctionnaires de la Macronie a érigé le conflit d’intérêts en système de gouvernement : si le pantouflage était un phénomène bien connu, l’opinion publique française a découvert avec les macronistes le rétro-pantouflage. Désignant de manière souvent péjorative le fait, pour un haut fonctionnaire, de quitter le service de l’Etat et de rejoindre une entreprise privée, cette notion de pantouflage évoque aujourd’hui, à gauche, une forme de « corruption » des élites. Non content d’aller chercher un salaire plus élevé dans de grands groupes privés, en attendant une nouvelle échéance électorale par exemple, les macronistes sont des experts de l'aller-retour, et une fois au pouvoir, n’hésitent pas à accorder des faveurs aux entreprises privées dont ils ont été les employés, quitte à le faire au détriment de l'Etat : en somme, les macronistes ne rentrent au service de l'Etat que pour le desservir, et sont en réalité des traîtres à la solde du capital.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/23/aux-origines-du-pantouflage_6085272_3232.html
Si pour un marxiste, il est évident que l'Etat est au service du capital et de la classe dominante, la conception française de l'Etat-providence n'avait pas été complètement anéantie par les politiques libérales depuis 1983. La France n'a pas connu le thatchérisme ou le reaganisme. Elle a finalement joui d'une certaine exception dans la mesure où les politiques libérales ont été d'abord mises en oeuvre par la gauche historique, ce qui d'une certaine manière a protégé les français d'un libéralisme plus brutal. Il est clair désormais que la nouvelle génération d'enarques (une véritable bande organisée en vue de prendre le pouvoir) n'a pas cette culture social-démocrate, pas davantage que le souci du bien public. Le service de l'Etat n'est, pour les macronistes, qu'un des chemins du pouvoir et de l'argent. La frontière entre l'intérêt de l'Etat et l'intérêt privé s'estompe, ou plutôt les macronistes mettent l'Etat au service de leurs anciens employeurs capitalistes.
Le phénomène est aujourd’hui flagrant avec le cabinet de conseil McKinsey, dont les enquêtes parlementaires révèlent qu’il a été sollicité pour des missions, payé pour ces missions, mais que les documents produits sont insignifiants au regard des sommes perçues, le tout sur fond d’évasion fiscale. Autrement dit, d’anciens employés de McKinsey ont attribué des marchés publics à McKinsey pour effectuer des tâches que les fonctionnaires de l’État étaient en capacité d’accomplir, ces tâches n’ont jamais été effectuées, et l’argent perçu par le cabinet pour ces tâches fictives a été envoyé dans un paradis fiscal (on appelle ça le transfert de bénéfices). Le gouvernement de Macron ne fait même plus semblant d’oeuvrer pour le bien public : il donne directement de l’argent public à des entreprises privées, sans contrepartie. L’argent magique existe bel et bien. Lorsque Macron répond à une infirmière qui dénonce le manque de moyens des hôpitaux qu'il n'y a pas d'argent magique, il ment : il ment pour dissimuler que cette politique de restriction budgétaire est inspirée par McKinsey (ou un autre cabinet de conseil néo-libéral du même genre, puisqu'ils photocopient leurs rapports d'une année sur l'autre et pompent tous leurs recommandations chez Friedman ou Hayek) et que l'argent qui est pris à l'hôpital public va directement dans les poches de McKinsey, sur les conseils de McKinsey. La confusion est totale entre l'argent public et les bénéfices privés. Les donneurs d'ordres privés sont les bénéficiaires directs des politiques publiques qu'ils recommandent.
Le trafic d’influence quant à lui, est tellement complexe et innerve tellement profondément l’appareil d’État qu’il devient très difficile de tout suivre mais on se rappelle que certains ministres avaient modifié leur page wikipédia après leur nomination pour dissimuler leur passage dans certaines entreprises. Edouard Philippe, premier ministre au lendemain de l’élection de Macron, est un ancien lobbyiste du nucléaire. Etrangement, après s'être opposé aux lois sur la transparence de la vie publique adoptées en réaction à l'affaire Cahuzac, il se retrouve, en 2014, « parmi les 23 députés ou sénateurs (sur 1 048) dont la déclaration de patrimoine est assortie d'une « appréciation » de la HATVP »43, une mention réservée aux « manquements d'une certaine gravité ». Dans sa déclaration, Édouard Philippe avait écrit « aucune idée » dans la rubrique consacrée à la valeur de ses biens immobiliers et avait refusé de donner le montant de ses rémunérations d'avocat et chez Areva. (wikipédia) On imagine ce qui arriverait à un contribuable lambda s’il s’avisait d’écrire « aucune idée » sur sa déclaration de revenus.
On ne peut donc se faire aucune illusion, en 2022, sur la nature profonde de l’animal politique qu’est Emmanuel Macron, sur son entourage, ni sur les maîtres qu’il sert : bien que sa communication le présente comme soucieux du sort des français, il n’est pas « avec vous » : ce n’est qu’avec le cynisme le plus scandaleux qu’il a repris presque mot pour mot, dans son unique meeting de campagne le slogan du Nouveau Parti Anticapitaliste : « Nos vies valent plus que leurs profits. » À ce stade, il s’agit d’une provocation : le roi s’amuse ; on imagine aisément qu’en coulisses, il ait fait un pari avec un de ses courtisans. « Chiche que je reprends un slogan de Poutou et que je me fais applaudir par les abrutis qui seront dans le public. » Pari tenu. Macron peut raconter n’importe quoi devant ses fans, ce qui compte, finalement, c’est le spectacle. Voilà où s’arrête le « avec vous » : à une pure théâtralité. Macron n’est « avec vous » que le temps de la mise en scène : Edouard Philippe lui-même n’en était pas dupe lorsqu’en 2016, avant de devenir Premier Ministre, il soulignait qu’il y avait le Macron des discours et le Macron des actes.
Et si l’on y regarde de plus près, en fait, Macron est contre presque tout le monde, et son projet politique ne vise qu’à accroître la fortune et l’emprise de ceux qui l’ont mis au pouvoir : les médias possédés par des milliardaires, et la portion la plus fortunée de la population française, qui s’est considérablement enrichie pendant cinq ans, grâce à une série de mesures visant à exempter les plus riches de la plupart des impôts.
En tant qu’enseignant, voter pour Macron en 2022, c’est donc bien voter contre son intérêt corporatiste : les profs ne font pas partie des classes sociales favorisées par Macron, bien au contraire, et le quinquennat qui s’annonce sera désastreux aussi bien pour leurs conditions de travail que pour leurs relations avec les parents ou avec les élèves, sans compter que la réforme des retraites sera pour le corps enseignant d’une brutalité inouïe (pour ma part elle prévoit que je doive travailler jusqu’à 69 ans pour une retraite amputée de 30%).
Pourquoi le con vote-t-il Macron ?
On ne saurait reprocher à quelqu’un a priori de voter contre l’intérêt de sa classe sociale : lorsqu’il s’agit de concourir à l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres, on pourrait même qualifier cette attitude de charitable. Mais la motivation d’Alexandre B., notre enseignant macroniste, est tout autre : il choisit de maintenir au pouvoir un pantin dont le seul rôle est d’engraisser les riches, ce qui fait de lui, par collusion, un laquais du capital. À partir de là, je ne vois que deux explications à son choix politique : ou la bêtise, ou le cynisme. Bêtise parce que Macron détruira ses conditions de travail et le soumettra aux caprices d’un chef d’établissement et à des méthodes managériales dont a on vu les ravages à France Télécom puis la SNCF. À ce stade, voter Macron est professionnellement suicidaire. L’autre explication possible est le cynisme : peut-être Alexandre B. est-il marié à une cadre du privé qui espère bénéficier pleinement de la politique économique droitière de Macron (ou de sa politique fiscale). Ou peut-être Alexandre B. espère-t-il, par une victoire macroniste, accéder en tant que responsable local à une récompense sous la forme d’un poste de pouvoir lucratif dans l’appareil politique local.
Comme je l’écrivais plus haut, le choix est simple : déchéance intellectuelle (la bêtise qui consiste à scier la branche sur laquelle on est assis) ou déchéance morale (renoncer à sa mission éducative pour mettre la main sur une part de la grosse galette). Il se peut qu’Alexandre B. dans une combinaison de crétinisme et de mauvaise foi, soit aussi déchu moralement qu’intellectuellement.
C’est ce que laisse penser son rapport tout particulier à la vérité, aux faits, qui je n’en doute pas, laissera perplexe ses collègues historiens. Interpellant le quidam sur sa sympathie persistante pour Macron, et découvrant sa collaboration active avec le régime autoritaire du roitelet, ce qu’on appelle une démocratie dégradée selon les standards des relations internationales, j’ai lancé de manière synthétique tous les thèmes qui me semblaient devoir rendre incompatible le républicanisme d’un enseignant avec la politique macroniste :
« À ce que je vois tu es toujours dans le camp du racisme d’état, de l’exploitation, de l’évasion fiscale en bande organisée, de la destruction du service public, de l’accroissement des inégalités, du transfert direct de l’argent public vers les actionnaires, de la répression des mouvements sociaux, de la complicité avec l’extrême-droite. Et évidemment de la privatisation de l’éducation… »
L’interpellation était musclée (attention, dans la police on emploie cet euphémisme pour désigner l’agression et la torture, coups et blessures, etc., ici on le voit il n’y a pas d’agression, seulement des accusations très franches). La réponse est confondante :
« La caricature est un des moyens de s’exprimer librement. La désinformation est un autre problème. »
Je rappelle qu’Alexandre B. est enseignant en histoire-géographie et éducation morale et civique. Il parle de désinformation : autrement dit, les faits que je dénonce n’existeraient pas. Examinons-les un par un :
Privatisation de l’éducation ? Il est avéré que les dépenses consacrées à l’enseignement privé augmentent plus vite que celles de l’enseignement public. Le ministère favorise donc l’enseignement privé par rapport à l’enseignement public. Compte-tenu du projet de Macron pour l’éducation, qui introduit dans l’enseignement le management d’entreprise, parler de privatisation est peut-être caricatural, mais ce n’est certainement pas de la désinformation.
Complicité avec l’extrême-droite ? Le ministre de l’intérieur est un ancien membre de l’Action Française (qui jusqu’à preuve du contraire est un mouvement d’extrême-droite royaliste), qui trouve que Marine Le Pen est laxiste, et le président appelle Eric Zemmour au téléphone pendant trois-quarts d’heures pour le soutenir lorsque celui-ci se fait un peu chahuter (quelqu’un lui a crié dessus, le pauvre), et Macron lui demande même à la suite de cet entretien de rédiger une note sur l’immigration. Zemmour est pourtant multi-condamné pour racisme. Emmanuel Macron n’a pas appelé Théo au téléphone après son agression par des policiers, qui lui laissera pourtant de graves séquelles à vie. Par ailleurs, le groupe raciste Génération Identitaire, dissous, a défilé en faisant des saluts nazis dans les rues de Paris sans être inquiété, le 15 janvier 2022. Un militant d’extrême-droite a assassiné un ancien rugbyman en pleine rue, de sang-froid : pas un mot du président. En revanche, le gouvernement dissout un groupe antifasciste (GALE) qui n’a pourtant commis aucun délit, sur le seul motif d’appels à manifestations. La compromission avec l’extrême-droite est totale. Macron n’est pas le rempart contre l’extrême-droite qu’il prétendait être en 2017, sa relation avec l’extrême-droite est au contraire totalement ambivalente en apparence et en réalité pleinement complice. Tantôt il reprend des éléments de langage de l’extrême-droite pour des raisons stratégiques, pour lui piquer ses électeurs, tantôt il cherche à s’en distinguer pour ne pas perdre complètement son aile gauche, les centristes du Parti socialiste, dont il a encore besoin pour gagner des élections : ces déclarations ne sont qu’un écran de fumée : Emmanuel Macron a besoin de l’extrême-droite parce que celle-ci a noyauté la police et que Macron a eu grand besoin de la police, seul rempart entre lui et les Gilets Jaunes qui ont bien failli rentrer à l’Elysée. L’attitude de Macron face à l’extrême-droite est parfois opportuniste, mais sa fascination pour la guerre, sa propension a revêtir des uniformes militaires, ses concessions en faveur de la police (dont il garantit l’impunité depuis cinq ans) ne font aucun doute.
Sur l’évasion fiscale : Emmanuel Macron n’a jamais eu l’intention de lutter contre l’évasion fiscale. En tait qu’ancien banquer chez Rotschild, il est fort propable qu’il ait lui même aidé des clients à frauder le fisc : il n’a d’ailleurs déclaré qu’un patrimoine de 156 000 euros lorsqu’il est devenu ministre de l’économie alors que son activité chez Rotschild et notamment la négociation du deal Danone Pfizer lui ont vraisemblablement rapporté plusieurs millions. Un président fraudeur, donc. Comme toute la droite, il préfère évoquer le « pognon de dingue » que coûteraient aux français les transferts sociaux (ceux qui coûtent « un pognon de dingue ») : sécurité sociale, RSA, etc. Or il y a une énorme différence d’échelle entre la quantité d’argent que l’état redistribue aux plus démunis et la quantité d’argent que les plus riches volent à l’état en ne payant pas leurs impôts. Le RSA coûte peu, la fraude sociale est peu importante et même, de nombreuses personnes qui pourraient bénéficier du RSA ne font pas les démarches pour. On a donc bien deux poids deux mesures : les délinquants riches jouissent d’une grande tolérance, les pauvres sont systématiquement surveillés. Pas de surprise : une des premières mesures de Macron (avec l’achat de grenades lacrymogènes pour plusieurs millions d’euros qui annonçait sa guerre sociale) a été de diminuer les effectifs du ministère des finances, des contrôleurs fiscaux donc : 3000 postes en tout début de quinquennat. Le message était clair : on va laisser les riches frauder, et gazer les pauvres.
Apparemment, pour Alexandre B., parler d’évasion fiscale c’est faire de la désinformation : une stratégie rhétorique malhonnête, évidemment, mais qui se comprend ; après tout, s’il n’y a pas d’évasion fiscale, il n’y a pas besoin de lutter contre l’évasion fiscale. https://www.liberation.fr/debats/2019/05/03/le-gouvernement-minimise-t-il-la-fraude-fiscale_1724556/?redirected=1
La recette macroniste est la même sur l’évasion fiscale que sur les violences policières : ça n’existe pas dans un état de droit, donc il n’y a pas de problème. On peut lire sur le profil Facebook personnel d’Alexandre B. la devise suivante : « il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ». Oui, vous avez bien lu. La bouillie intellectuelle managériale dans toute sa splendeur. En l’occurrence, pour Alexandre B. et la Macronie en général, la solution consiste à affirmer (en dépit des preuves du contraire) que le problème n’existe pas. Merci Alexandre.
Plus concrètement, voici ce que dit Attac, dont la taxation des revenus du capital et des trasnactions financières est le cheval de bataille, sur les mesures proposées par la France au niveau européen :
« Comme le résume fort bien l’économiste Thomas Piketty, « si l’on en reste là, il s’agit ni plus ni moins de l’officialisation d’un véritable permis de frauder pour les acteurs les plus puissants ». Alors que Joe Biden proposait un taux à 21% et que les économistes de l’ICRICT plaident pour un taux à 25%, la France, elle, a fait pression pour un taux de 15%. Ce taux est très faible, proche de celui de l’Irlande (12,5%) et inférieur à celui du Luxembourg (17% du résultat d’exploitation pour les sociétés dont le revenu imposable dépasse 200 000 euros) ! Alors que l’évasion fiscale des multinationales prive l’État français d’au moins 36 milliards d’euros de recettes par an, une taxe à 15% ne lui rapporterait que 4 milliards d’euros. De plus, il existe un risque réel que ce taux plancher devienne une sorte de taux plafond : les gouvernements des pays qui présentent un taux nominal plus élevé pourraient à l’avenir arguer qu’il faut s’aligner sur ce taux de 15 %.
C’est pourquoi cet accord constitue une « non avancée historique », qui ne justifie en rien l’auto-congratulation bruyante des dirigeants du G7. [2]
Stéphane Séjourné vante également un autre accord, conclu au niveau européen, « tout aussi déterminant, en faveur de la transparence fiscale des grandes multinationales ». LREM ne manque pas de culot !
En effet, le gouvernement français a joué « double jeu », en se prononçant officiellement en faveur de cette directive mais en œuvrant en réalité pour la vider de sa substance. Stéphane Séjourné oublie ainsi de préciser que la directive adoptée a été remaniée pour en affaiblir la portée, à partir de « lignes rouges » fixées par la France.
Or, le média Contexte a révélé que la position française avait été rédigée à partir d’un document... rédigé par le Medef !
Mettre fin à l’opacité fiscale des multinationales en s’appuyant sur les revendications du lobby des multinationales françaises, c’est le « en même temps » Macronien ! »
et plus loin :
Comme le souligne à juste titre Lison Rehbinder, coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, « l’Union européenne avait l’occasion de permettre une réelle avancée, au final c’est un véritable échec, et ce sont les lobbys - le MEDEF en tête - qui remportent la mise ».
Bien entendu, Alexandre B. criera à la désinformation, car il est évident que les associations spécialisées dans la lutte contre l’évasion fiscale ne sont pas compétentes pour émettre de jugements sur ce sujet. Seul le président Macron, omniscient et infaillible, sait ce qu’il se passe réellement. D’ailleurs, les médias ne devraient diffuser que la parole du bien-aimé président, pour éviter toute désinformation.
Venant de n’importe quel citoyen, l’accusation de désinformation serait malhonnête et stupide. Venant d’un professeur d’Education Morale et Civique, elle est tout simplement indigne. La compromission de ces gens n’a aucune limite.
Décidément, les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.
Dans le régime de contre-vérité ou de post-vérité du macronisme, où le mensonge et la corruption sont érigés en mode de gouvernance et où la promesse d'une moralisation de la vie publique annonçait en réalité le culte du conflit d'intérêts, la malhonnêteté et la veulerie d'Alexandre B. seront grassement récompensées. C'est en tout cas avec cet espoir qu'il fait campagne, et qu'il glissera, dans le moment intime que lui offrira l'isoloir, son petit bulletin de traître dans l'enveloppe au ton pastel.
Juste après avoir écrit ces lignes, j'ai appris que le président Emmanuel Macron avait envoyé une lettre aux enseignants dans leurs établissements pour faire sa campagne de candidat. Tranquille. https://twitter.com/tpamz/status/1512490228682047492
Elle sera sûrement dans mon casier à la rentrée.