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Billet de blog 11 avril 2022

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Vous reprendrez bien un peu de lacrymo ?

Cinq ans de Macron, lacrymo à gogo.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis enseignant, et militant. À certains égards, j’ai même pu être un enseignant militant. Même si je porte des jupes régulièrement depuis quelques mois, je suis un homme cis-genre, blanc, et mon salaire d’agrégé m’agrège justement à la petite bourgeoisie. Je suis relativement privilégié, économiquement. Depuis que je n’ai jamais quitté l’école, je n’ai que rarement douté d’avoir de quoi payer mon loyer, ou mes courses au supermarché, et même si j’ai pu parfois connaître les affres du découvert pour des raisons diverses (mon rapport à l’argent est compliqué et je consens donc régulièrement à ce qu’on me le vole), c’est une angoisse qui n’a jamais duré bien longtemps, et j’aurais toujours eu la possibilité de demander de l’aide à mes parents si cela s’était avéré nécessaire. Je ne précise pas tout cela pour le plaisir de raconter ma vie mais pour que l'on sache d'où je parle.

L’impact de cinq années de politique néolibérale sur ma vie serait donc minime, économiquement parlant, si je demeurais dans la catégorie sociologique qui est actuellement la mienne : la déchéance des enseignants dans la société, leur déclassement, est déjà presque achevé et n’a pas été le fait unique de la politique macroniste : c’est une tendance longue, et chaque ministre, en conjuguant le gel du point d’indice (et donc de la rémunération) à un mépris croissant pour les professeurs de tous niveaux, a finalement oeuvré dans la continuité en dépit des déclarations de rupture. Chaque ministre a eu pour ambition de réformer l’école et de rajouter sa loi à l’édifice, dans une parodie de révolution permanente. Le dernier en date a même promis qu’il ne se lancerait pas dans une réforme de plus, avant d’engager la réforme la plus large, la plus destructrice depuis que je fais ce métier, depuis plus de quinze ans donc. Il n’est pas pour rien dans ma décision d’abandonner l’enseignement, où ma « résistance intérieure » comme a dit une camarade, est devenue intenable et me met en danger.

Aujourd’hui, c’est surtout en tant que militant que je vois un avenir plus sombre que jamais : les cinq années qui viennent de s’écouler (ou de s'écrouler comme le disait dans un lapsus un camarade) permettent en effet de prédire ce que seront les cinq années qui vont suivre : on va reprendre cinq ans de gazage, comme une peine de prison… Au long de mes engagements dans les luttes écologiques, anticapitalistes, antifascistes, je me suis fait matraquer déjà une fois (alors que j’étais debout, bras levés), interpeller, embarquer menotté au commissariat une autre fois pour avoir simplement transporté un masque à gaz ; j’ai respiré du poison lacrymogène tellement de fois que j’ai cessé de les compter, et on m’a tiré dessus au LBD (parfois dans l’obscurité et très souvent dans mon dos, alors que je m’enfuyais) tellement de fois que c’est un miracle que je sois intact… Il y a des balles qui ne sont pas passées loin. On ne peut leur échapper indéfiniment. La police mutile, la police assassine, et si elle vous rate un premier coup, elle insiste : les LBD ne tirent plus au coup par coup, les flics peuvent maintenant y aller par séries de six avant de recharger. Largement de quoi faire un carton, comme à la foire, ou comme dans un jeu vidéo : et les sociopathes assermentés de s'enjallier : "Bouyaka Bouyaka !" ou "A voté" a-ton pu entendre lorsqu'ils atteignaient leurs cibles. 

Et c’est cela qui nous attend : si toute la société (à l’exception des actionnaires et des militants d’extrême-droite) va souffrir d’un second quinquennat Macron, il n’y a pas de doute que la police va se sentir pousser des ailes ; le président-candidat, fasciné par l’uniforme et amoureux de Benalla qu’il a protégé comme une princesse de roman de chevalerie dans une parodie donquichottesque, matamore littéralement irresponsable, soldat fanfaron confortablement réfugié derrière des milliers de CRS, fait aux flics tellement de promesses qu’on ne sait plus s’il prépare un mariage officiel ou une orgie de matraques lubrifiées. Les deux, sans doute.

L’état policier est advenu : la police a loyalement protégé Macron des Gilets Jaunes, et Macron, qui est bien conscient d’être passé tout près de la fuite à Varenne, protège la police de toute sanction judiciaire pour tous les crimes commis dans l’exercice de ses fonctions, voire même en dehors comme on vu lors de la cavale de ce policier qui avait assassiné sa femme et que ses collègues n'ont pas recherché, préférant attendre qu'il se rende spontanément. La frontière entre la vie privée et le service est d’ailleurs brouillée puisque les policiers peuvent désormais garder leurs armes en permanence, y compris lorsqu’ils sont jugés psychologiquement instables, et surtout s’ils veulent prendre le train gratuitement. Il est vrai qu’il est important de pouvoir tirer sur des fraudeurs lorsque l’on est dans un espace clos, et qu’on roule à deux cents kilomètres heures. Des fois qu’ils essaieraient de sauter par la fenêtre.

Si toute la société va donc souffrir des mesures antisociales du banquier cocaïnomane, et en premier lieu les plus fragiles et les minorités, nous, militants écologistes, anticapitalistes, antisexistes, antiracistes et libertaires, aurons de toute évidence droit à un traitement de faveur. Après tout ce que j’ai vécu de répression, la perspective me donne envie de pleurer. Alors plus que jamais, on va avoir besoin les uns des autres. Et même si je suis très en colère encore contre les jusqu’au boutistes qui, angoissés par le spectre de l’effondrement de leur parti, paniqués devant leur propre obsolescence, ont préféré faire barrage à l’Union Populaire plutôt qu’à Marine Le Pen et Emmanuel Macron, je vais m’efforcer de passer outre. Parce qu’ensemble on va plus loin. Non, je déconne : ensemble on crève moins vite.

Même si, comme le rappelait le grand philosophe Didier Super, on va tous crever.

Allons nous faire gazer ensemble. Vive la Commune, et vive la révolution.

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