Elle commence bien, cette route de la crise. Mercredi soir. Je venais à peine de m'installer dans le TGV Paris-Bordeaux. Il est rentré dans le wagon, un grand monsieur avec des lunettes aux verres teintés. Je l'ai reconnu, le Michael Keal de Groland qui jouait au reporter bidon sur Canal Plus. Aujourd'hui, Benoît Delépine est surtout un réalisateur heureux. «Louise-Michel», le film (toujours en salle) qu'il a coréalisé avec son comparse Gustave de Kervern est un succès: plus de 250.000 entrées.
Ça tombait plutôt pas mal comme rencontre, alors que je partais pour Niort, première étape de mon périple. Louise-Michel commence exactement comme le quotidien de milliers de Français actuellement: une usine qui ferme, quelques milliers d'euros (là c'est 2000, vraiment pas lourd, le minimum légal) et plus rien, du jour au lendemain. Sauf que c'est du cinéma : car dans le film, Louise (Yolande Moreau) convainc ses collègues d'engager un tueur à gages pour liquider le DRH.
La bande-annonce de «Louise-Michel» (sur les écrans depuis le 24 décembre):
Dans le TGV, Benoît Delepine m'a fait une place à côté de lui. Cette histoire, il ne l'a pas (tout à fait) inventé. «Là, je retourne chez moi, près d'Angoulême. L'histoire à l'origine du film, c'est ce qui est arrivé dans une petite ville à côté de chez moi. Il y avait une usine, elle s'appelait la Cofpa. Il y a eu 80 licenciements, par surprise. La semaine précédente, le DRH leur offrait de nouvelles blouses et une semaine plus tard ils déménageait toutes les machines en un week end pour les emmener en Europe de l'est. Les salariés et leur piquet de grève, je les voyais tous les matins en emmenant mon gamin à l'école. Ils m'avaient fait visiter leur usine, ils étaient hallucinés, effarés. C'était effroyable de saloperie et de cynisme.»
Il dit que cette histoire pourrait très bien arriver, après tout. « A chaque fois qu'on discute avec des ouvriers qui ont vécu ça ils ont ce genre d'idées qui leur effleurent le cerveau mais ils sont vite repris par la réalité, la vie quotidienne, les enfants... Le film c'est un peu une catharsis, une façon de le faire mais en jouant.»
Ce week-end, Benoît Delepine va faire du tir à l'arc avec ses potes, dans son village près d'Angoulême. Sa «passion», il dit. Eux aussi lui parlent de leurs problèmes. «Y a un ou deux patrons de PME, ils me disent qu'ils n'ont plus aucune commande. Tout le monde attend. Et comme banquiers veulent pas financer les petites entreprises en difficulté ça fait assez peur pour ce qui ca suivre... Y a eu vraiment une grosse enculerie de départ du côté des banques : la bulle a éclaté et maintenant les entreprises vont réellement avoir des problèmes de liquidité.»
Bon, les difficultés de l'époque, il sait aussi en plaisanter. «On peut aussi avoir un regard totalement écologique et se dire 'espérons que soit une crise formidable, énorme, que personne ne consomme, que tout le monde soit dans la merde à l'africaine qu'on puisse au moins respecter les critères de Kyoto».
Je suis descendu à Poitiers, Benoît Delépine a continué. Direction le village mystère où, les fins de semaine, on s'essaie au tir à l'arc en parlant de la crise qui gronde.