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Billet de blog 31 mai 2008

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Ma nuit avec Maradona

[Archives] En novembre 2006, j'ai voyagé à côté de Diego Maradona dans un avion entre Mexico et Buenos Aires. Depuis, il a fait un film avec Kusturica, sur les écrans depuis le 28 mai. Il ne m'a pas invité à la première. L'ingrat, on avait pourtant passé une chouette nuit.

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En novembre 2006, j'ai voyagé à côté de Diego Maradona dans un avion entre Mexico et Buenos Aires. Depuis, il a fait un film avec Kusturica, sur les écrans depuis le 28 mai. Il ne m'a pas invité à la première. L'ingrat, on avait pourtant passé une chouette nuit.

Illustration 1

Diego n'a jamais pu allumer son cigare. Mais pendant le voyage, entre deux verres d'alcool, il m'a donné tout le temps d'admirer ses magnifiques tatouages.

Je m'étais assis dans l'avion. Place 6A, première classe, un Mexico-Buenos Aires payé par quelque entreprise allemande (à l'époque où, journaliste dans une autre rédaction, je faisais des voyages de presse). Chouette, me disais-je, le siège d'à côté est vide. J'allais pouvoir m'étaler.

L'avion allait décoller. Et puis un monsieur est arrivé. Barbu, bouclé, p'tit gros. Un mec du cru, me disais-je, jaloux de cette place qu'il venait de me prendre, là, sous mes yeux. Il s'est assis lourdement. Il a posé sa sacoche Vuitton dans le petit espace prévu à cet effet, en face de lui. Je me suis retourné, pour le dévisager. C'était Diego Maradona.

Dire que j'ai été saisi est plutôt, disons, faible. J'ai tressailli, j'ai été soufflé, j'ai dû m'empouprer, comme d'habitude. Puis j'ai levé la tête. Dans la cabine, tout le monde s'était déjà retourné. Les gens le dévoraient des yeux. Lui faisait celui qui n'a rien remarqué. Il téléphonait visiblement à un ami à qui il parlait de "Britney Spears", remuait sur son siège. Partout, autour de nous, la rumeur se répandait, et moi j'étais là, à la voir enfler, avec le plus grand joueur de foot de tous les temps à côté de moi, et tous ces yeux posés sur nous. Certains me faisaient des clins d'œil, genre "putain raaah la chance t'es assis à côté de Maradona, Ma-ra-do-na putain mais c'est fou, qu'est-ce qu'il fait là et putain t'es assis à côté de lui mais bon dieu mais c'est pas possible pourquoi c'est toi et pas moi enfin c'est rigolo putain t'as intérêt à tout raconter après".

Diego continuait de parler dans le téléphone. De plus en plus fort. Toute la cabine était debout et commençait à prendre des photos. Un mec venu de l'arrière de l'avion est venu lui passer le bras autour du cou pendant que son pote le photographiait avec Diego. Diego, toujours au téléphone, a enlevé le bras du mec, levé la tête, décoché un sourire mécanique, flash, puis sans un regard il a repris la conversation. Ça crépitait autour de nous, et moi j'étais là comme un idiot, ma trombine déjà sur toutes les photos. Diego, ça commençait à l'incommoder, tout ça, alors il a grommelé - le Diego grommelle, mais en espagnol - un truc du genre "attendez au moins que j'ai fini ma conversation". Tout le monde s'en foutait, ça crépitait.

L'avion s'est ébranlé, alors l'hôtesse, tremblante est venu dire à Diego de couper son portable. Il a encore continué quelques secondes, et puis il s'est arrêté.

Là, j'ai pris peur. Deux solutions. Soit je fais comme si de rien n'était, avec 60 personnes autour de moi qui lâchent des "Diego" murmurés tellement forts qu'ils m'en percent le tympan, et je le regarde pas de la soirée. Impossible. Soit je prends les devants. N'écoutant que mon courage, j'ai pris les devants.

"Esta un gran honor, ai-je murmuré en tentant d'imiter l'ibère -. Je voulais dire que c'était un grand honneur pour moi d'être assis à côté de lui, enfin bref, je voulais trouver un truc pour amorcer.

- ah! si si gracias, m'a-t-il répondu, tout gentil.

C'est comme ça que je me suis mis à parler avec Maradona.

Il m'a dit qu'il revenait de Cuba, où il est depuis quatre ans - j'apprendrais par la suite que c'est là qu'il a fait sa cure de désintox-. Que Fidel est un grand pote à lui, qu'il l'a eu au téléphone, qu'ils ont déconné et tout. Au début, ça allait, Diego parlait lentement, dans un mélange d'espagnol, d'italien et d'anglais. Il m'a dit que la vie à Cuba c'était bien : "Esta la vida, la vera vida". Que les gens étaient sympas, là-bas. je lui ai dit "moi je reviens du Mexique, eh ben la vie là-bas c'est... c'est... màs dura". Il a aquiescé. "Si si, màs dura". "Todo pobres" que j'ai dit. Je voulais dire "les gens sont pauvres". Il a saisi. "Si si" qu'il a répondu.

Ensuite on a parlé de George Bush qu'il aime vraiment pas, du président du Mexique Vicente Fox qui est sombre hère - il a utilisé un mot en espagnol, je sais plus ce que c'est, mais en tout cas c'était pas gentil.

La vérité c'est que Diego était déjà bourré. Il n'arrêtait pas de reprendre du vin rouge. Son manager, sorte de machin gras, venait régulièrement lui tenir le bras, prendre de ses nouvelles, lui essuyer le vin qui dégoulinait sur son siège - il fait pas gaffe Diego-. En fait, je crois qu'il était pas seulement bourré. Je crois qu'il était stoned, Diego.

Après c'est parti en sucette. Diego a voulu allumer un cigare. Le journaliste allemand - depuis le début du voyage, il me désespérait celui-là, vraiment pas drôle - qui était devant n'a pas aimé, alors il le lui a fait savoir, un peu à la façon des aigris du métro. "It is not possible" qu'il a articulé, le journaliste. Diego lui a roulé des gros yeux noirs, plein de menace, avec plein de fierté de Diego dedans.

On a recommencé à parler. Souvent, des gens venaient à côté de moi pendant que je parlais avec Diego, et ils se faisaient photographier en me disant "continue, chuis pas là". Avec Diego, on a parlé de foot, j'étais vachement calé... Je lui ai demandé s'il arrêterai un jour, il a dit non, jamais. Et puis il a dit un truc que j'ai pas compris.

Parce que plus ça allait, moins je le comprenais Diego. Il parlait plus qu'espagnol, parfois il me prenait par le cou en disant mon prénom. Il s'est levé, a mis une bouteille sur son front comme si c'était un ballon. Il voulait toujours allumer son cigare. Le journaliste allemand n'en pouvait plus.

Là où ça l'a énervé, c'est quand on a parlé de Beckham. "Solo un produtto marketing" - il parlait italien, là Diego, va comprendre. Il était assis sur l'accoudoir, parlait fort avec le photographe de la Bild Zeitung, un Italien vivant en Allemagne qui voyageait avec nous, et moi j'étais au milieu. Diego me postillonait dessus.

Il a dit que le plus grand joueur de foot du monde c'était lui.

On a parlé de sa famille. Il a dit qu'il venait rejoindre son papa et sa maman, qu'il ne venait pas en Argentine avec ses enfants parce qu'il avait peur qu'ils soient kidnappés. Il m'a parlé, je crois de son mariage, a semblé dire que c'était "la merde" le mariage. Il m'a demandé si j'étais fiancé. Non, Diego, non.

Après les amis de Diego sont venus. Il y avait une belle armoire à glace, footballeur en Italie, coiffé comme un danseur de tektonik, engoncé dans un haut en lycra vert. Il n'arrêtait pas de se lisser la mèche et de se toucher partout. Un autre italien, moins starlette, plus sympa. Et un ancien gardien de l'équipe d'Argentine. Je leur ai tous serré la pince.

Diego est parti boire avec ses copains. Moi aussi j'étais bourré à force de trinquer avec Diego. Alors je me suis dit que j'allais dormir.

La nuit, Diego a ronflé. Il sentait pas très bon. Le matin, il a raté le petit déjeuner. Je lui ai donné ma carte de visite. "Si un jour tu es à Paris", que je me suis entendu dire. Il a dit "oh merci". Vraiment très très poli ce Diego. Il l'a ostensiblement rangé, très soigneusement dans son portefeuille. Et puis il s'est levé. A partir de ce moment-là, il m'a plus regardé.

A Buenos Aires, Diego est sorti de l'avion comme un prince bourré et mal rasé. Mes camarades de voyages venaient tous me parler. Dans le hall de l'aéroport, en attendant de passer à la douane, la grâce m'envahit soudain. Comme après une nuit d'amour.