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Billet de blog 31 août 2009

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Sarkozy et les '"sociaux-traîtres"

Il n'y aura pas de remaniement gouvernemental, si l'on en croit l'édition de samedi du Figaro. Bien sûr, l'Elysée n'a pas officiellement confirmé, préférant faire oublier le suspense entretenu pendant des mois par le Château autour d'un évènement annoncé... qui finalement ne devrait pas avoir lieu. Avec une confirmation, le bruit médiatique aurait été bien trop fort.

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Il n'y aura pas de remaniement gouvernemental, si l'on en croit l'édition de samedi du Figaro. Bien sûr, l'Elysée n'a pas officiellement confirmé, préférant faire oublier le suspense entretenu pendant des mois par le Château autour d'un évènement annoncé... qui finalement ne devrait pas avoir lieu. Avec une confirmation, le bruit médiatique aurait été bien trop fort.

En juillet pourtant, avant que le président ne tombe en plein jogging, victime d'un malaise vagal, il n'était question que de ce remaniement. Nicolas Sarkozy voulait faire un coup d'éclat, encore un. Fin juin, devant des militants UMP à, Courbevoie, il promettait «de nouvelles surprises». Illico, un article du Figarodécryptait la parole présidentielle : l'ouverture va continuer. Une semaine plus tard, on comprenait un peu mieux ce que Nicolas Sarkozy avait en tête, à la faveur d'un autre article du même journal : débaucher un syndicaliste, officiellement pour s'occuper de l'épineux dossier des retraites, dont le chef de l'Etat a fait une priorité pour 2010. «L'Élysée prépare une surprise en sollicitant des personnalités du monde syndical», écrit alors un journaliste politique du Figaro, précisant que Nicolas Sarkozy serait très heureux d'accrocher un ponte de la CGT à son tableau de chasse. Des noms sont cités : Christian Larose, ancien responsable de la CGT textile et membre du Conseil économique et social ou Frédéric Imbrecht, responsable de la fédération CGT de l'énergie — et signataire d'un deal historique avec l'actuel locataire de l'Elysée comme Mediapart l'a raconté récemment.


Les jours suivants, la presse cite encore d'autres noms : Jean-Christophe Le Duigou, le "techno" de la CGT, spécialiste des retraites et membre du Conseil d'orientation des retraites, Jean-Marie Toulisse, négociateur CFDT de la réforme des retraites en 2003. Ou Jean Kaspar, ancien responsable de la CFDT reconverti depuis bien longtemps en consultant privé. Tous trois ont un point commun : dans certains rangs de la gauche, ils incarnent volontiers des figures pratiques de la «social-traîtrise». Le Duigou parce qu'une bonne partie de la CGT l'accusent de réformisme et trop frayer avec les hautes-sphères. Toulisse parce qu'il a signé la réforme des retraites en 2003, en pensant obtenir des garanties (la pénibilité, l'emploi des seniors) qu'il n'a jamais eues, ce qui a coûté bien des adhérents à son syndicat. Kaspar, parce qu'il monnaie désormais en tant que consultant son expérience passée de syndicaliste.

Pourtant, tous ont démenti — même si Jean Kaspar a un peu minaudé, comme le relève Marc Landré sur son blog. Deux mois plus tard, pourtant, le résultat est là : il n'y aura pas de remaniement, pas d'ouverture supplémentaire. Nicolas Sarkozy n'a réussi à débaucher aucun leader syndical, pas plus un cégétiste. Tout au plus devra-t-il se contenter de Nicole Notat (ancienne secrétaire générale de la CFDT) à la commission du grand emprunt, mais qui n'est plus syndicaliste et dirige désormais une entreprise de notation sociale, Vigéo.

Reste la dimension politique de l'épisode. Alors qu'en juin-juillet, les syndicats étaient en plein brouillard sur la suite à donner aux manifestations du printemps, Nicolas Sarkozy aurait bien aimé souligner par un tel débauchage la faiblesse des syndicats, un peu comme l'"ouverture" avec Besson, Bockel, Amara et aujourd'hui Michel Rocard fait apparaître celle de la gauche.

Cette stratégie a en partie échoué. En cette rentrée, les responsables des deux plus grands syndicaux ont tenu à s'afficher ensemble pour tenter de peser davantage au cours des prochains mois. Pourtant, Nicolas Sarkozy a quand même réussi à attiser la confusion. En annonçant qu'il voulait accrocher un syndicaliste, et si possible un membre de la CGT à son tableau de chasse, il a entretenu l'idée d'organisations si déconnectées de leurs bases qu'elles sont prêtes à tous les compromis avec le pouvoir. De grosses machines syndicales prêtes à toutes les traîtrises et les mauvais coups. Bref, il a réussi, l'air de rien, à accréditer cette antienne bien ancrée dans une partie de la gauche que la raison d'être des syndicats, leur seul et unique but est d'abourd d'étouffer les mobilisations, de dévoyer les luttes sociales et de se vendre en fin de compte au plus offrant. De trahir les salariés, plutôt que de les servir.

C'est peut-être une coïncidence, mais la petite musique du chef d'orchestre Nicolas Sarkozy s'est ensuite faite entendre tout l'été. La rupture de la base et du sommet a été un des thèmes d'une actualité estivale bien creuse. Bien sûr, elle existe, et il serait absurde de la nier. «Le décalage est logique, car nous ne sommes pas au même niveau de responsabilités», disait récemment François Chérèque, agacé que l'on ne retienne davantage les visites d'Olivier Besancenot dans les usines que les siennes. Ce décalage est naturel tant la crise est aïgue, le désarroi des salariés dramatique dans nombre d'entreprises, et les syndicats trop faibles pour répondre à toutes les sollicitations et encore affaiblis par l'état de l'opposition.

Bien sûr, les syndicats ne sont pas présents dans une myriade de petites entreprises où les licenciements se multiplient, en silence. Et oui, les salariés lassés, fatigués, dévalorisés par le comportement de certains patrons qui annoncent sans crier gare des licenciements, ont souvent envie de partir avec un gros chèque alors que les leaders syndicaux préfèrent en général obtenir des garanties à plus long terme sur l'emploi, le suivi des licenciements, la revitalisation économique.... Enfin, il est évident que les syndicats français sont à la fois trop institutionnels et trop faibles, ce qui les condamne à être souvent en contre-temps avec le terrain.

Malgré tout, en laissant penser que des syndicalistes pourraient accepter d'entrer dans son gouvernement, le chef de l'Etat a attisé le feu au lieu de le calmer. De fait, que se sont dit ceux qui luttent pour leur emploi dans les usines lorsqu'ils ont appris à la radio que le chef de l'Etat recherchait un syndicaliste pour son casting d'été? Que décidément, ces messieurs des confédérations sont prêts à toutes les compromissions. Coïncidence ou pas, cette petite musique, on l'a ensuite entendue tout l'été. Dans l'admonestation de Xavier Mathieu, de la CGT Continental, traitant Bernard Thibault et les autres leaders syndicaux de «racailles». Dans la critique de certains militants NPA chahutant lors de leur université d'été Annick Coupé de Solidaires ou Gérard Aschieri de la FSU, leur reprochant de s'accrocher à l'intersyndicale comme des moules sur leur rocher — Bernard Thibault n'y est même pas allé, la rupture entre la direction de la CGT et le NPA est consommée.

Nicolas Sarkozy l'a bien compris, et c'est probablement le sens de ses clins d'oeil appuyés aux syndicalistes en mal de gloire tentés par un maroquin ministériel : la crise fait cruellement resurgir les ambiguïtés du syndicalisme français. Son tiraillement permanent entre syndicalisme de lutte et syndicalisme de négociation, ainsi que la survivance d'un vieux débat : le syndicat doit-il être une courroie de transmission du parti ou, dans l'esprit de la charte d'Amiens, indépendant du politique?

Thibault, Chérèque et les autres plaident pour un syndicalisme indépendant — la CGT a fait un vrai travail en ce sens depuis la Chute du mur de Berlin, quoi qu'on en dise. Ceux qui les critiquent, NPA en tête, voudraient que le syndicat ne soit qu'un des outils au service d'une transformation sociale plus vaste. La longévité de ce débat (la charte d'Amiens date de 1906) est déjà assez frappante. Qu'il s'exacerbe alors que la priorité devrait être d'abord de s'occuper des chômeurs, des précaires et des licenciés, bref des victimes de la crise, voilà qui ne manque pas de troubler.