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« Bifurquer » c’est réorienter sa vie professionnelle pour mettre en cohérence ses valeurs écologiques et sociales avec son activité quotidienne. Jusqu’ici, ce sont principalement des diplômés de grandes écoles - pour qui ce changement de cap est associé à une perte de revenu significative et de statut social - qui sont désignés sous ce terme. Leur refus de parvenir (le refus d’accéder à des privilèges sociaux, matériels associés à leur diplôme et réseau) et les prises de paroles à l’occasion des remises de diplômes en fin d’année scolaire, ont eu un certain écho médiatique ces derniers mois.
Panorama de quelques enseignements issus de la mise en commun des expériences de ces jeunes et moins jeunes bifurqué.e.s, en quête d’une place pour prendre part à la grande transformation écologique de la société, et d’un nouvel équilibre de vie.
D’où vous parle je ? diplômée ingénieure agronome et éco-ingénieure. J’ai participé ces derniers mois à plusieurs ateliers entre ingénieur.e.s étudiant.e.s ou diplômé.e.s qui cherchent comment mettre en cohérence leurs valeurs écologiques et sociales avec leur activité de vie.
Je partagerai des citations issues principalement de deux d’entre eux :
- Un atelier avec les ancien.ne.s diplômé.e.s du Mastère Spécialisé Éco-ingénierie de Toulouse Institut National Polytechnique (une formation ouverte aux étudiant.e.s et aux personnes en reprise d’étude).
- Un atelier avec des adhérents de l’association Ingénieur Sans Frontières, étudiant.e.s et diplômé.e.s au sujet de l’engagement dans la vie professionnelle.
Suite à la bifurcation, des réalités multiples
Rappelons-nous, les étudiants d’AgroParisTech appelaient leurs collègues fraîchement diplômés à déserter en mai 2022. Déserter signifiait pour eux ne pas s’engager dans les emplois de transition écologiques promis en sortie d’école d’agronomie, les postes de Responsabilité Sociétale des Entreprises et les missions de développements de solutions innovantes dans l’industrie agro-alimentaire ou phytosanitaires. Ils donnaient l’exemple de ce positionnement par leurs parcours : « j’habite depuis 2 ans à la ZAD Notre Dame des Landes ou je fais de l’agriculture vivrière », « je suis en cours d’installation apiculture », « j’ai rejoint le mouvement Les soulèvements de la Terre, pour lutter contre l’appropriation des terres agricoles », « nous sommes en installation en collectif dans le Tarn sur une ferme Terre de Lien, avec un boulanger, du maraîchage, un brasseur ».
Bifurquer pour eux dépasse largement la question de l’emploi pour englober le mode de vie dans son ensemble : « Nous considérons que ces façons de vivre sont plus que nécessaires » concluent ils. Leur activité rémunératrice ou vivrière se trouve du côté de la production agricole ou bien au sein de mouvements associatifs. « Déserter » est ce qu’ils considèrent comme le juste niveau d’ambition pour leur bifurcation, face à leur analyse de la situation actuelle. Ils ne croient pas aux autres stratégies.
Les diplomé.e.s de AgroParis Tech sont un exemple.. Parmi toutes les personnes qui cherchent à mettre leur activité en cohérence avec leurs valeurs écologiques et sociales, il y a des étudiants mais aussi des personnes qui frayent dans le monde professionnel depuis longtemps. La bifurcation prend des formes variées. La nouvelle situation dépendra de l’analyse des enjeux et de l’identification des stratégies pertinentes pour faire bifurquer la société d’une part. Mais également, de l’état du marché de l’emploi, de la capacité à recycler des compétences, et enfin de la capacité ou non à faire évoluer sa vie personnelle en conséquence. Ce qui comprend intégrer un nouveau niveau de vie, présenter socialement une image nouvelle, embarquer sa famille dans l’aventure.
Nombre de bifurqué.e.s tentent de trouver un emploi écologique. En 2022, tout le monde parle d’écologie, cela devrait bien être possible…
Les emplois « verts » ne sont pas à la hauteur des enjeux
Le marché de l’emploi se verdit. Les postes au service de la transition écologique sont principalement des postes en Responsabilité Sociétale des Entreprises, chargé de transition énergétique (voir sur le site internet du CLER), chargé de transition écologique en collectivités et des postes plus rares dans des associations (par exemple Terre de Lien, monnaies locales, ONG…). Les sites de recherche d’emploi dédiés à la bifurcation sont nombreux également : JobsThatMakeSense, Shiftyourjob, Emploi-environnement, Fuyons La Défense… Pourtant, nombreux sont celles et ceux qui témoignent que ces postes apparemment en charge d’organiser la transition écologique ne sont pas à la hauteur des enjeux. Au mieux (ou au pire), ils semblent ambitieux, mais une fois en poste, les moyens ne sont pas au rendez-vous, l’inertie collective n’est pas adressée, la transversalité est fictive et la finalité de la structure est impossible à interroger collectivement. Le sentiment de désarroi peut être immense, voire source de souffrance au travail.
Dans le monde professionnel, les mots d’ordre écologiques sont globalement répandus, mais les enjeux sont souvent largement escamotés. Les enjeux environnementaux et sociaux systémiques sont la grande majeure partie du temps résumés sous le terme changement climatique. Le terme de transition écologique est employé, (quand enfin, on a pu se débarrasser du très vide développement durable), mais pas de décroissance, ni de bifurcation, ni de redirection écologique dans les missions. La transition écologique est elle-même, souvent réduite à transition énergétique. Les missions, et la réflexion possible sont alors orientées vers du bilan carbone à réduire, du verdissement de l’énergie (et la question du nucléaire n’est jamais discutée). La consommation de matières premières, les exploitations humaines tout autour du globe, l’effondrement du vivant et l’essentielle bifurcation dans nos modes de vie sont laissés de côté.
Avec des mots d’ordre restreints, les cadres de pensées et donc l’impact missions qui en découlent ne peuvent être que restreint également. Une fois en poste, qu’on soit chargée de transition écologique ou chargée de RSE, on nous demande souvent de ne penser qu’à la décarbonation. Cette tunnellisation empêche de s’organiser pour faire décroître nos consommations, nos modalités de production. Les besoins ne sont pas interrogés collectivement, on ne se demande pas « à quoi sommes nous prêts à renoncer ? », le renoncement est tabou. Or, c’est la première question que l’on devrait se poser, (Voir le scénario Négawatt pour une neutralité carbone à 2050)
Pour illustrer, prenons un exemple : les missions de décarbonation. Ces emplois, souvent dans la recherche et développement, sont à priori tout à fait au service de la transition écologique. Pourtant, il y a un risque que la mission promeuve le développement d’une technique à priori vertueuse, mais ne remette pas du tout en question nos modes de vie ou le besoin associé. « On m’a proposé un stage passionnant pour développer l’hydrogène sur les plateformes pétrolières, et à ce moment là, ce qui m’a fait accepter c’était de me dire que quand on aura fermé toutes celles qu’il faut fermer, il n’en restera que quelques unes, et celles ci devront être décarbonées… » témoigne, transparente, une ingénieure diplômée en 2015. Pendant que certain.e.s « décarbonent » est ce que d’autres sont bien chargés de fermer les infrastructures qui ne rentrent pas dans les limites planétaires (comme les infrastructures pétrolières dans le témoignage) ? Question rétorique, puisque parmi tous les ingénieur.e.s qui ont témoigné, aucun.e n’avait croisé d’offre d’emploi « chargé de fermeture » ou « chargé de redirection d’activité ». (Voir Héritage et Fermeture de Bonnet, Landivar et Monnin).
Comment s’y retrouver pour celles et ceux qui cherchent un emploi écologique dans son acceptation large et ambitieuse ? Ils et elles sont nombreux à se demander comment lire entre les lignes des discours d’employeurs (entreprises, mais aussi associations, ONG…) qui tiennent un discours sensible aux urgences écologiques, comment savoir à quoi s’en tenir une fois en poste. Malgré des profils variés, les interrogations sont communes : Aurais-je vraiment un impact ? Quel est le niveau de maturité des mots d'ordre de la bifurcation écologique ? Lors de l’atelier organisé par Ingénieur Sans Frontière, celles et ceux qui avaient déjà frayé dans le monde professionnel suggéraient de bien investir l’entretien d’embauche pour enquêter : « Vous pouvez demander, avez vous déjà refusé de travailler sur certains projets ? Pour quelles raisons ? », « La mission semble transversale mais vais-je avoir la légitimité d’aller interagir avec tous les chefs de service ? », « Comment nous assurerons nous que nos actions iront dans le sens de faire rentrer l’activité de la structure dans les limites planétaires ».
« Monter dans l’avion pour le détourner » c’est sous-estimer les systèmes complexes (et potentiellement se mettre en danger)
Entrer dans un système pour l’écologiser de l’intérieur, une fois fort de ses nouvelles compétences et connaissances, c’est une stratégie de vie professionnelle mise en œuvre par certain.e.s bifurqueurs et bifurqueuses. Avoir la possibilité de se lancer dans cette stratégie dépend du parcours personnel et politique des personnes présentes. D’un côté, certain.e.s souhaitent « entrer dans le système » en intégrant des entreprises parmi les plus polluantes, et espèrent y apporter un changement, ou au moins dénoncer ce qu’il s’y passe. Pour d’autres, prendre des responsabilités dans des entreprises ou institutions publiques devrait permettre de transformer en profondeur les organisations, et cela vaut la peine de prendre le temps qu’il faudra pour y accéder.
La dimension narrative de cette stratégie est séduisante : être patient le temps de gagner en responsabilité, pour ensuite s’assurer un impact important. Pour Cyril, ingénieur et diplômé de SciencePo, la voie est d’accéder à des postes de responsabilité comme Directeur de Service d’une grande collectivité. Il étudie actuellement à l’Institut National d’Etudes Territoriales qui prépare à des postes de direction, et compte maintenir une ambition exigeante vis-à-vis des enjeux contemporains écologiques et sociaux en dépit des contraintes associées à la fonction. Pour Yohan, récemment promu en responsabilité au sein de son entreprise de conseil en ingénierie de la construction et de l’industrie, l’investissement a été plus coûteux : « il a fallu avaler des couleuvres pendant plusieurs années avant d’être en position de peser sur les décisions de transformation en interne et de pouvoir incarner mes valeurs ».
Nombreux sont échaudé.e.s par leur expérience et témoignent que le prix à payer peut être important. Plus la situation dans laquelle on patiente nous coûte, plus c’est un pari risqué. Notre action, une fois en position de responsabilité, pourrait ne pas être à la hauteur de nos ambitions. « Où a-t-on le plus d’impact ? C’est là où je veux agir » presse une étudiante en seconde année lors de l’atelier, déçue de conclure suite à son stage dans l’agriculture urbaine que la ville ne sera probablement pas assez productive pour assurer son autonomie alimentaire, si urgente. Attention, car il est possible d’expérimenter une situation de souffrance au travail, bien avant d’avoir atteint le graal de la position puissante. Une diplômée de 2019, témoigne « Si l’impact est notre seule boussole, on s’expose au burn-out. Que ce soit en attendant de monter en grade ou même dans un emploi associatif et super écolo. On met difficilement des limites et on travaille jusqu’à épuisement sous prétexte que c’est pour la bonne cause. ».
Les systèmes que nous cherchons à transformer sont des systèmes complexes dans lesquels il est difficile voire impossible de mesurer l’impact de son action. Les systèmes complexes fonctionnent par boucles de rétroaction interconnectées, les effets seuils produisent des emballements du système, et les dynamiques qui y participent sont difficiles à cartographier et tout à fait impossible à contrôler. En se concentrant sur l’impact de notre action, on prend le risque de négliger le processus qui nous y mène. On hypothèque le présent pour un avenir incertain.
Que faire alors, lorsque l’urgence de trouver comment agir de manière impactante nous presse, et que montrer dans l’avion pour le détourner est une stratégie qui nous fait les yeux doux ? Il s’agit surtout, si on se lance dans cette voie, de se donner les moyens de la durabilité de son action. En établissant un diagnostic lucide de la maturité des mots d’ordres de transformation de l’organisme, en repérant ses alliés et en étant au clair sur sa capacité individuelle à évoluer dans un milieu « hostile ». Il est extrêmement difficile de combattre un système auquel on est intrinsèquement lié, par notre héritage culturel, nos représentations, notre vie matérielle, notre dépendance à des industries pharmaceutiques, agro-alimentaires... Les approches systémiques et l’agir penser en complexité qui s’appuie sur la transformation de soi au sein du système et du système sur soi peuvent y aider. (Voir Introduction à la pensée complexe, Morin)
La question pour s’assurer une action durable semble être « ici et maintenant, quel processus est à ma portée, à la fois pertinent et qui me permette de prendre soin de moi ? » (Voir l’article Bifurquer c’est tous les jours à refaire)
L’action publique peut être un endroit pour se mettre au service du bien commun, à certaines conditions.
Travailler dans ou avec l’action publique est une stratégie répandue parmi les bifurqué.e.s qui cherchent à participer à la transformation sociale et écologique de la société. Par exemple, dans la promotion du mastère spécialisé éco-ingénierie 2021-2022, environ un diplômé sur cinq travaille dans l’action publique locale ou souhaite travailler avec, dans une posture de conseil. « Sur le papier, l’action publique doit défendre le bien commun et la justice sociale. On dit que le service public c’est le capital de ceux qui n’en n’ont pas. Cela semble être un endroit libre de la contrainte de dégager une plus value économique, donc un endroit où on pourrait être payés à organiser la sobriété et la décroissance ! » espère un ingénieur aéronautique en reconversion.
Les témoignages concordent : malgré une bonne volonté de beaucoup d’agent.e.s et d’élu.e.s, la verticalité et la segmentation de l’organisation entraîne une inertie très importante. « La rigidité en interne nous pousse à vouloir accompagner depuis l'extérieur ! J’ai peur de devoir me contraindre à des protocoles de réunions à rallonge quand j’ai l’impression que l’urgence est là.» confesse une jeune diplômée éco-ingénieure, en recherche de son premier emploi. D’autres défendent que le changement peut être apporté, en investissant les interstices stratégiquement. « Est ce qu'on n'a pas été formé à poser la question du rapport de pouvoir depuis l'intérieur ? En cartographiant sérieusement les alliés en interne, en s’assurant d’aller vers des actions dont la légitimité est portée par la hiérarchie, on arrive à des choses.» assure Franck, en reconversion suite à une première carrière dans l’industrie. Il était chargé de la sobriété numérique dans les services d’une Communauté d’Agglomération l’année précédente. Il admet cependant volontiers qu’être un homme de plus de 40 ans, fort d’une première expérience professionnelle et d’une expérience d’élu local a grandement facilité sa capacité à solliciter et obtenir l’écoute des directions de services et élus de l’Agglomération lors de son stage. Bilan, l’action publique, oui, mais avec stratégie et diagnostic préalable des interstices existantes.
La notion de travail rémunéré est-elle compatible avec la décroissance qui permettrait de faire rentrer notre société dans les limites planétaires ?
Le débat sur la place du travail dans une société en bifurcation est difficile à avoir sérieusement, tant le procès en oisiveté est vite fait à ses porteurs. L’écologie serait un prétexte pour en faire le moins possible. Que l’on se rassure, prôner le ralentissement de la société ce n’est pas refuser de mettre les mains à la pâte. La plupart des bifurqué.e.s ont d’ailleurs leurs galons en woofing (volontariats dans des ferme bios), chantiers participatifs, voyages à vélo avec les sacoches pleines, potagers participatifs et corvée de topinambours à peler et à accommoder, toutes les semaines pendant 3 mois, parce que c’est ce qu’il y a tout l’hiver dans les paniers des AMAP (Association pour le Maintien à l’Agriculture Paysanne). Lorsque l’on en est à bifurquer professionnellement, c’est que l’on a compris que l’humanité avait gagné au loto énergétique il y a 200 ans, que nous avions pris nos aises et qu’il allait falloir retrouver de l’huile de coude.
Les concepts de sphère professionnelle et sphère personnelle sont puissamment interdépendants lorsque l’on décide de mettre ses actions en cohérence avec la bifurcation écologique de la société. S’investir dans un emploi de transition écologique, de 35 heures ou plus, peut facilement mener à un mode de vie accéléré et consumériste. « Ce qui me rebute dans les offres d'emploi écologiques que je vois passer c’est bien sûr le manque d’ambition. Mais également l’intuition que j’ai que si j'y allais, je crains que cela réinstalle dans ma vie un rapport au travail de type métro-boulot-dodo, qui me pousserait à des comportements consuméristes. Je ne voudrais pas travailler en serrant les dents et attendre mes vacances pour aller en avion à Bali… je caricature mais c’est l’idée. » témoigne Aurélien, ancien ingénieur dans l’aéronautique.
Il n’y a aucune reconnaissance actuellement, du travail qui est pourtant nécessaire dans une société qui rentre dans les limites planétaires : cuisiner les produits bruts, faire son potager, prendre du temps pour éduquer ses enfants, participer à la démocratie locale…etc. En parallèle, le niveau de richesse est proportionnel au niveau de consommation et donc au niveau de dégradation de l’environnement (Voir le rapport Oxfam sur les inégalités d’émissions). Une bonne partie des bifurqueur.euses cherchent à réduire leurs besoins et leurs dépenses monétaires et énergétiques. Parfois cela peut permettre de réduire le temps consacré à l’activité rémunérée, en attendant un revenu de transition écologique universel.
Si l’intention de décroissance personnelle est partagée, la mise en œuvre dépasse la simple bonne volonté. « J’ai démissionné à 40 ans d’un CDI car il était clair que mon activité participait au désastre écologique et donc à l’augmentation des violences et injustices que nous allions vivre en conséquence. Mais cet emploi assurait un certain cadre de vie à ma famille. En reprenant mes études, et en cherchant un emploi écologique, j’ai entraîné ma famille dans ce changement. Ils me soutiennent mais je me mets une certaine pression pour arriver à créer une activité ou à trouver un emploi qui me permettra d’ici un an d’avoir un certain salaire. Même s’il est à moitié diminué par rapport à mon précédent, changer les modes de vie de toute une famille ce n’est pas évident. » témoigne un des bifurqué.e.s.
Les emplois de décroissance doivent être un investissement collectif. A échelle individuelle, l'important est de trouver ses pairs pour assurer la durabilité de son engagement.
Au regard des différentes stratégies empruntables par les bifurqué.e.s, on se figure mieux pourquoi les diplomé.e.s d'AgroParisTech ont choisi de "déserter", et appellent à faire de même. Face aux demi teintes des parcours engagés, ils préfèrent être concrets et s'installer en exploitation agricole ou vivre dans un lieu qui expérimente des modes de vie créatifs et sobres comme la ZAD. D'aucuns tentent d'inventer leurs emplois, de trouver des modalités de financement qui permettent la transformation sans pression de plus value immédiate, souvent dans une activité d'accompagnement ou de conseil.
Tout le monde n’a pas les mêmes marges de manœuvre à réduire ses consommations, ou à transformer leur statut social et matériel. Bifurquer et décroître peut s'avérer difficile. Le milieu social et les proches sont plus ou moins soutenants, les dépenses engagées, par exemple dans des prêts ou dans des dettes étudiantes rarement compressibles, l’investissement individuel et familial des parcours transclasses pour accéder à une certaine situation professionnelle difficile à jeter avec l’eau du bain de la « bifurcation ».
S'il n'était pas la question de l'équilibre financier à échelle individuelle, bien sûr que les endroits où œuvrer pour la transformation de la société et la mise en œuvre de la décroissance sont nombreux et identifiés. Associations, partis politiques, ONG... Parmi les bénévoles des mouvements militants, comme le mouvement climat, on compte un bon nombre de "chomactivistes" par exemple. Ces personnes mettent leur temps de chômage au service du bien commun en travaillant, souvent plus qu'un temps plein, dans des associations a finalité écologique et sociale. Trouver cet équilibre financier et moral à échelle individuel est difficile quand on souhaite travailler à la nécessaire bifurcation de la société parce que la décroissance ne produit pas de plus value immédiate. C'est un investissement aujourd'hui pour moins de destruction de biens et de vies demain, aussi simple que cela, mais non compatible avec les logiques d'échanges marchands de biens et services actuels. Des investissements de cette sorte incombent à l'échelle collective et des mesures existent. Il s'agit de mettre en place le revenu universel de transition écologique par exemple.
A échelle d'un parcours individuel, il n’y a pas de recette unique pour bifurquer efficacement et trouver un équilibre. Les bifurqué.e.s qui témoignent se rejoigne absolument pour recommander de trouver ses pairs afin de construire une stratégie qui, ici et maintenant, nous convient. C'est la seule manière d’assurer la longévité de son engagement. Et il est essentiel d’être endurant.e.s et tenace, car l’urgence de la situation ne saurait nous faire oublier que lutter pour la justice sociale et la bifurcation écologique de la société relève plus du marathon que du sprint. Bon courage.
Références citées :
Remise des diplômes AgroParisTech : appel à déserter - Blog de Médiapart, mai 2022
Le Scénario Négawatt, neutralité carbone 2050
Héritage et fermeture de Bonnet, Landivar et Monnin
Introduction à la pensée complexe, E. Morin
Bifurquer, c'est tout le temps à refaire (et ça s'apprend) - Blog de Médiapart, mai 2022
Oxfam, rapport inégalités d’émissions
Co rédacteurices : Axelle Louise, Aurélien Mosson, Pierre Cancé, diplomés éco-ingénieur.e.s.