Malgré nos coups de fil répétés, Roland Dumas n'a jamais daigné répondre à nos questions -«simples»- sur le financement de la présidentielle de 1995: comment a-t-il pu, alors qu'il présidait le Conseil constitutionnel, valider les comptes de campagne truqués du candidat Balladur (comme Mediapart l'a révélé fin 2010)? Apposer son tampon sur ceux de Jacques Chirac, qui explosaient tout autant le plafond des dépenses autorisées? Décider, pour se donner bonne figure, de sanctionner un «micro-candidat», Jacques Cheminade (0,28% des voix), pour une histoire de prêt sans intérêt? Face à nous, Roland Dumas est toujours resté muet.
Il vient de «répondre» sur France 2, avec une indécente désinvolture. Dans le dernier Face aux Français, il explique, sans ciller, affalé dans un fauteuil rembourré, à l'invitation de Guillaume Durand: «Jacques Cheminade était plutôt maladroit. Les autres (Balladur et Chirac) étaient adroits». C'est aussi «simple» que cela.
Rires dans l'assistance. Et même applaudissements.
On croit rêver: Roland Dumas loue l'«habileté» avec laquelle Edouard Balladur et Jacques Chirac ont dissimulé leurs tricheries et enfreint des règles élémentaires de la démocratie!
Leur «adresse», en plus, est toute relative. En réalité, à l'époque, leurs comptes replâtrés n'ont trompé personne: en particulier, les rapporteurs du Conseil constitutionnel, ces hauts fonctionnaires chargés d'éplucher les copies déposées par les trésoriers des candidats, ont officiellement recommandé aux «Sages» de rejeter celui d'Edouard Balladur. En bref: ils ont repéré «l'omission» de plus de 13,3 millions de francs sur la ligne des dépenses ! C'est sous la pression de Roland Dumas que les «Sages», in fine, ont décidé d'enterrer leurs objections.
Les rapporteurs avaient aussi repéré un versement douteux de 10,25 millions de francs en grosses coupures, dépourvu de tout justificatif crédible. 16 ans plus tard, c'est ce dépôt qui intrigue encore les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, chargés d'enquêter sur les dessous des ventes d'armes conclues fin 1994 avec le Pakistan et l'Arabie Saoudite, soupçonnés d'avoir servi à dégager du «cash» pour la campagne d'Edouard Balladur.
Alors pourquoi la télé publique continue-t-elle d'inviter Roland Dumas, par ailleurs devenu l'avocat des causes les plus pendables -de Laurent Gbagbo à Louis Aliot (l'ancien secrétaire général du Front national), un proche de Marine Le Pen auquel il a offert une lettre de recommandation pour son entrée au barreau?
→ Ci-dessous, un mail à M. Dumas resté sans réponse:
→ Quelques archives sur le Conseil constitutionnel et le financement de la campagne de 1995:
• En 1995, le Conseil constitutionnel a replâtré les comptes de campagne de Balladur (7 octobre 2010)
• Balladur 1995: les secrets de la décision du Conseil constitutionnel (11 octobre 2010)
• Comptes de campagne de Balladur: le PS veut la vérité (14 octobre 2010)
• Balladur: les comptes truqués de 1995 (8 décembre 2010)
• Balladur 1995: Voynet dénonce la «complicité active du Conseil constitutionnel» (10 décembre 2010)
• Balladur 1995: les «petits» candidats indignés par la décision du Conseil constitutionnel (14 décembre 2010)
• Argent liquide: l'ancien trésorier de Balladur confirme les soupçons (1er mars 2011)
• Présidentielle 1995: un nouveau million suspect pour Balladur (17 mars 2011)