Je ne me remets toujours pas de ce Congrès de Versailles. De son étrangeté. Du manque d'aspérités de l'allocution présidentielle devant les parlementaires, ce lundi 22 juin. Du coup, j'ai regardé un peu les Discours sur l'état de l'Union prononcés par les présidents des Etats-Unis devant leur propre Congrès -modèles avoués de l'Elysée...
Et j'ai réalisé ceci: Thomas Jefferson, troisième président américain (1801-1809), le premier à s'être installé à Washington DC, philosophe éclairé, rédacteur de la Déclaration d'indépendance, l'un des quatre visages taillés dans la pierre du Mont Rushmore, a toujours refusé d'aller devant le Congrès délivrer le moindre Discours sur l'état de l'Union. Trop monarchique à son goût. Trop similaire au discours du Trône de la royauté anglaise.
La Constitution l'y autorisait. Mais en huit années d'exercice et deux mandats, Thomas Jefferson a jugé plus respectueux, à l'égard du Sénat et de la Chambre des représentants, de ne pas s'introduire dans leur périmètre.

Thomas Jefferon sur le Mont Rushmore (deuxième à gauche)
Lui qui avait cotoyé la Cour à Versailles en tant qu'ambassadeur (1785-1789), fréquenté les Lumières, Condorcet ou d'Alembert, avait toujours fustigé la monarchie absolue de Louis XVI et plaidé pour une République. Thomas Jefferson avait aussi défendu, très tôt, l'indépendance des journaux -au point qu'en mai dernier, pour la Journée mondiale de la presse, c'est lui que Barack Obama a voulu citer («Je préférerais vivre dans un pays qui a des journaux et pas de gouvernement, plutôt que dans un pays qui a un gouvernement mais pas de journaux»)...
Nicolas Sarkozy, donc, a négligé les leçons de cet homme-là, pour imposer à la représentation nationale son cérémonial de Président-Soleil à Versailles...
Le pire, c'est que Thomas Jefferson avait pris cette précaution dans un régime présidentiel, où la séparation des pouvoirs est institutionnalisée, où le Congrès a toujours les moyens de montrer les crocs et de répliquer. Le chef de l'Etat français, lui, s'est invité devant les élus d'un régime semi-parlementaire, dans lequel il jouit déjà du droit de dissoudre l'Assemblée nationale... Mais qu'est-il allé faire, décidément, à Versailles?